Mongi Bennani vient de conduire Assalmia du Koweit au championnat arabe des clubs de handball qui se poursuit à Hammamet. Comptant dans ses rangs Noureddine Mawa, le transfuge de l’Etoile Sportive du Sahel, le champion d’Asie des clubs a crânement défendu ses chances dans une poule conduite par le Club Africain. Ce n’est pas là la première aventure internationale vécue par Bennani qui peut se targuer d’être, avec Faouzi Benzarti en football, à la barre des Marocains du Raja de Casa, le seul entraîneur tunisien à avoir conduit son équipe en finale de la Coupe du monde des clubs. Cela s’était passé en 2014 à la barre d’Al Sadd du Qatar. En vérité, l’ancien handballeur du Stade Nabeulien a coaché plusieurs clubs de Tunisie et du Golfe, en plus des sélections nationales des jeunes : SN seniors, JSM, Ebsbk, El Mida, SC Moknine, EM Mahdia, AS Hammamet, US Témimienne, EST (un championnat et une Coupe de Tunisie, et un championnat arabe), Al Sadd du Qatar, Assafa et Al-Nasr Club de Dubaï (Emirats arabes unis). Il a, par ailleurs, été sélectionneur national cadets et juniors.
Commençons par le début de l’aventure. Comment êtes-vous venu au handball ?
J’étais gardien de but de football dans mon quartier de Boughedir, à Nabeul, où la tradition est partagée entre le hand et le basket. Ces deux sports doivent énormément à la ville des Potiers. Moncef Selmane, notre maître de sport à l’Ecole Larbi Zarrouk, m’a fait signer au SN handball alors que j’étais benjamin. Et c’est Noureddine Ben Ameur qui m’a convoqué pour la première fois en sélection cadets en 1982 après avoir assisté à un derby entre le lycée technique de Nabeul et le lycée de Hammamet dans le cadre des championnats scolaires. J’ai joué mon premier match international cadets contre l’Algérie. Nous avons fait match nul (10-10). J’ai réussi trois buts. Pas mal pour un arrière dont la première qualité consiste à donner des assists.
Vos parents vous ont-ils encouragé à faire du sport ?
Mon père Hassen, commerçant, me disait, souvent, qu’un jour, je serais entraîneur comme Sayed Ayari. Quant à ma mère Aroussia, elle vivait intensément les derbies lorsque j’entraînais le club «sang et or».
Quels furent vos entraîneurs ?
Moncef Selmane, Abdellatif Gherib et Aounallah chez les jeunes, Fethi Mechaâl, Lotfi El Behi, Moncef Ben Amor, Hamadi Azzam, Fethi Chakroun, Brahim Agrebi, Hafedh Zouabi et le Polonais Tom chez les seniors.
Quelle était votre idole ?
Samir Abassi, l’homme à tout faire du CS Hammam-Lif puis de l’EST.
Avez-vous été contacté par d’autres clubs ?
L’AS Hammamet a voulu m’engager alors que j’étais encore cadet. Je n’ai pas répondu à la proposition car ça aurait été pécher contre la tradition qui voulait alors qu’un joueur soit celui d’un seul club durant toute sa carrière. Et puis, au SN, je me sentais très bien. Mon club était encore bien plus fort que l’ASH avant que la roue de l’histoire ne tourne. Nos dirigeants suivaient en même temps notre scolarité. L’un d’eux, Samir Bouaouina à qui je dois beaucoup, assurait des cours à l’intention des joueurs avant les séances d’entraînement.
Justement, comment analysez-vous la crise du handball à Nabeul, un des bastions historiques de la petite sphère en Tunisie ?
A Nabeul, la menace du basket reste vive. La balle orange a drainé les meilleurs sportifs de la ville, a pris les grands dirigeants et les plus grosses parts du budget du club, la plus grande part du public, aussi. A croire qu’à Nabeul, il n’y a de place que pour le basket, ce qui est archi-faux. De plus, les grands cadres techniques issus du SN ont émigré vers le Golfe : Moncef Ben Amor, Lotfi El Behi, Fethi Mechaâl, moi actuellement…
Que représente le Stade Nabeulien pour vous ?
Toute ma vie. J’y ai passé 18 superbes saisons, et pratiqué le plus beau hand grâce à Moncef Ben Amor, un technicien hors pair. Mechaâl a fait de moi le capitaine d’équipe. Avec Brahim Agrebi, j’ai appris ce qu’est le professionnalisme. Hamouda Fray m’a inculqué la touche académique. Tout ce que j’ai réussi en qualité d’entraîneur, j’aurais aimé le vivre avec le SN.
Avec Faouzi Benzarti en football, qui disputa la finale du Mondial des clubs à la tête du Raja du Maroc, vous êtes le seul entraîneur tunisien à avoir conduit un club en finale de Coupe du monde. Vous devez sans doute en tirer beaucoup de fierté, non ?
Bien évidemment car cela n’arrive pas tous les jours dans la carrière d’un coach. En septembre 2014, à la tête d’Al-Sadd du Qatar, j’ai accédé en finale de l’IHF SuperGlobe, la Coupe du monde des clubs de handball. Nous avons été battus par Barcelone après avoir éliminé en demi-finales les Allemands du SG Flensburg Handewitt, champions d’Europe. Un moment particulier dans la vie de chaque technicien. Je me rappelle qu’en phase de poules, nous avons disposé de l’Espérance de Tunis.
Que vous veniez alors de quitter pour partir vers l’aventure dans le Golfe…
Parfaitement. J’ai décroché trois titres avec le club «sang et or» : championnat et coupe de Tunisie, en plus du championnat arabe. La culture de ce club veut que chaque joueur doit jouer dès son plus jeune âge pour les trophées et les premières places. Par la suite, j’ai pris la direction technique de l’EST où je chapeautais pas moins de 13 entraîneurs, une charge colossale, avouez-le.
En ce temps-là, comment viviez-vous le derby tunisois ?
A l’unisson avec mes joueurs, j’étais convaincu qu’il fallait s’imposer même dans un derby amical. La rivalité était telle que la tension montait dès que nous avions en face le Club Africain. En tant qu’entraîneur, j’ai gagné trois derbies sur quatre, concédant une fois le nul.
Quel est votre meilleur souvenir ?
La finale mondiale avec Al-Sadd contre les Espagnols de Barcelone. Je citerais également nos belles saisons parmi l’élite, du temps où Noureddine Aounallah revint au Stade Nabeulien. Avec Kerkenni et Khaled Ben Salah, nous pratiquions un jeu de pure tendresse. Je citerais également notre superbe saison avec le SN, en 1997. Nous avons terminé quatrièmes de la Nationale A. On a même battu l’ESS (33-30).
Et le plus mauvais ?
Mon problème cardiovasculaire découvert alors que j’étais étudiant à l’Institut supérieur des sports Ineps (actuel Issep) à Ksar Saïd. Cela m’a incité à arrêter ma carrière à seulement 27 ans. Mais déjà, je préparais une carrière d’entraîneur.
Comment trouvez-vous le handball tunisien aujourd’hui ?
Les mêmes maux vécus par le football produisent les mêmes effets en handball. Les résultats priment. On change d’entraîneur comme on change de chemise. Souvent, on engage des techniciens manquant de formation, d’anciens joueurs hâtivement recyclés comme entraîneurs. Les meilleurs joueurs partent à l’étranger. On y va de plus en plus jeune. Les moyens manquent terriblement. Il y a également une crise de dirigeants qui oublient leur vocation d’éducateurs. Chaque saison, le niveau technique de la compétition baisse un peu plus.
Parlez-nous de votre famille…
En 1991, j’ai épousé Sonia, ancienne handballeuse de l’Association Mégrine Sport et prof d’EPS. Nous avons trois enfants : Hassen, directeur commercial installé au Qatar, Malek et Skander qui sont étudiants. L’aîné est espérantiste, les deux autres clubistes, tout comme mon épouse. Imaginez l’ambiance dans la famille après un derby…
Quels sont vos objectifs ?
Entraîner un jour le Sept national seniors. Avec la sélection juniors-cadets que j’ai coachée durant quatre saisons, j’ai formé les Wissem Hmam, Wael Horri, Touati, Amor Khedhira, Maher Kraiem, Marwane Belhaj, Tajouri… Dans l’esprit de certaines gens, l’équipe nationale ne doit plus être entraînée que par un étranger. Je crois que cette vue de l’esprit est étriquée puisqu’elle reconnaît mal le mérite des cadres tunisiens qui savent s’imposer là où ils passent.
Enfin, un entraîneur, quand doit-il arrêter sa carrière ?
C’est vraiment difficile à dire car il n’y a pas de règle. Personnellement, après plus de 30 ans de carrière, dont 7 consacrées à la formation des cadres, je suis habité par la même envie et la même passion. Les challenges, on ne s’en lasse jamais. Je figure dans le gotha des techniciens de handball du pays.
Vous devez cette percée à qui ou à quoi au juste ?
Rien qu’à mes efforts et à mon mérite, car personne ne m’a fait de cadeaux. Au contraire, je viens d’un «petit» club (façon de dire, car l’histoire du SN constitue une légende), et, à ce titre, je dois surmonter beaucoup plus de handicaps que les autres. A bien y réfléchir, si mon club, le Stade Nabeulien, connaît une longue traversée du désert, on ne doit pas oublier que, dans les années 1960 et 1970, il était le troisième club du pays, derrière l’Espérance de Tunis et le Club Africain.