Moncef Ben Soltane a fait le bonheur de l’Avenir de la Marsa qu’il plaça avec une génération fabuleuse, sur l’orbite des conquêtes. Avant de faire pareil à La Goulette-Kram. Né le 18 mars 1948 à Tunis, il signa en 1961 à l’ASM une première licence minimes. Avec les seniors, il porta entre 1964 et 1972 les couleurs de l’Avenir, avant de passer de 1973 à 1983 à l’EOGK, d’abord en tant qu’entraîneur- joueur (deux saisons), puis de simple entraîneur. A son palmarès, 4 championnats et 6 coupes de Tunisie avec l’ASM et 1 championnat avec l’EOGK. De 1964 à 1974, il renforça l’équipe nationale avec laquelle il enleva 3 championnats d’Afrique des nations en 1964, 1967 et 1971 et plusieurs championnats maghrébins, participant aux Jeux olympiques 1972, aux Jeux méditerranéens 1967 et 1971 (4e place à Izmir) et à plusieurs championnats et coupes du monde.
Tout d’abord, comment analysez-vous le déclin du volley national ?
Depuis une bonne trentaine d’années, des gens n’ayant aucun lien avec le volley se trouvent à la fédération. Aucun critère objectif ne préside au choix du cadre technique national. Aucune commission technique n’a été mise sur pied, sauf en 1983-85 par Feu Zizi Belkhodja. Les dates des Conseils nationaux ou fédéraux prêtent à équivoque. Ils se tiennent toujours l’été, soit au moment où les clubs renouvellent leurs bureaux directeurs. Les anciens joueurs sont marginalisés. Bref, le volley est malade de ses dirigeants et de leurs pratiques laxistes. Sans rigueur ni discipline, on n’ira pas loin.
A votre avis, le sport tunisien doit-il intégrer le professionnalisme ?
Il l’avait déjà fait pour le football, et cela a donné un régime professionnel hybride, bâtard et boîteux. Il me semble prématuré d’instaurer un régime professionnel. Sinon, les autorités seraient bien inspirées d’instituer un plafond des salaires.
Enfant de Bab Souika, logiquement promis comme tant d’autres à pratiquer le foot à l’EST, comment étiez-vous venu au volley-ball et à l’ASM ?
J’étudiais au lycée de Carthage où mes copains pratiquaient le volley. Un jour, ils soufflèrent à notre professeur qu’il y a un bon gabarit qu’il peut piloter vers l’Avenir de La Marsa. Les frères Nafaâ allaient me convaincre de signer pour le club du Safsaf. J’y ai trouvé une famille qui m’a adopté. A commencer par les frères Bey, Rachid, mon idole, et son frère Habib qui était l’entraîneur de l’équipe. Je dois beaucoup à ces deux-là.
Cette fabuleuse génération marsoise allait brillamment dominer la scène nationale…
Absolument. Durant trois ans de suite, l’Avenir remporte le doublé cadets, puis trois fois le doublé juniors. Arrivée chez les seniors, cette génération dorée enlève coup sur coup 4 championnats et 6 coupes.
De qui se compose-t-elle ?
Raja Hayder, Naceur Bounatouf, Rachid Bey, Hamadi Tej, notre premier passeur, Moncef Attia, Chedly Fazaâ, Ridha Nafaâ. Viendront après Behi Ouayel, Mourad Nafaâ, le frère de Ridha… Habib Bey, notre entraîneur, nous a pris dans la catégorie cadets. Il nous a accompagnés jusqu’au dernier souffle de notre épopée.
Votre famille vous a-t-elle encouragé à pratiquer le sport ?
Mon père Amor étant décédé en 1956, c’est ma mère Zbeida qui nous a élevés. Elle m’a encouragé à percer dans le volley pour la simple raison qu’elle estimait que c’était une occupation saine et bénéfique pour la santé, en tout cas bien meilleure que les mauvaises fréquentations.
Quelle était votre idole ?
Le «Sang et Or» Hassine Belkhodja et le Marsois Rachid Bey. En les voyant jouer, je me demandais si je parviendrais un jour à leur niveau.
A votre avis, quels sont les meilleurs volleyeurs de tous les temps ?
Rachid Bey et Raja Haydar (ASM), Hassine Belkhodja et Youssef Besbès (EST), Samir Lamouchi (EOGK)…
Et les meilleurs entraîneurs ?
Le Tchèque Josef Broz qui nous a tout appris en sélection nationale, en 1968 et 1969, y compris comment se comporter en dehors des parquets. Il créa une formidable osmose entre joueurs venant de plusieurs clubs. C’est ainsi que les Espérantistes Raouf Bahri, Fethi Caied Essebsi…allaient devenir nos meilleurs copains.
En 1972, entraîneur, vous quittez l’Avenir pour aller entraîner l’Etoile Olympique de Goulette-Kram. Pourquoi ?
J’ai eu un différend avec le directeur technique Habib Bey sur le respect de l’horaire des entraînements et la discipline. Notre sélectionneur Broz n’a eu de cesse d’insister sur le respect d’une discipline stricte et rigoureuse, et je voulais installer ce modèle-là à l’Avenir. J’étais parti avec Hamadi Tej à l’EOGK où j’ai trouvé les Lamouchi, Ben Slimène, Ben Sedrine, Ben Othmane, le Français Paul Arnaud… Nous terminons la première saison à la 3e place, alors que le club était habitué à lutter contre la relégation. L’année suivante, nous enlevons le championnat. L’EOGK a également disputé trois finales de coupe. J’y suis resté une bonne dizaine d’années en tant que joueur-entraîneur avant de partir exercer dans le Golfe.
Quelle différence y a-t-il entre le volley d’hier et d’aujourd’hui ?
Je ne suis pas particulièrement nostalgique. Pourtant, je dois admettre que tout a changé. C’était un tout autre modèle dans l’approche du sport. Jadis, c’était constamment la fête, le miracle permanent. Notre sport était très populaire. Au stade Zéphyr de La Marsa, les spectateurs étaient accrochés aux arbres parce que tous les sièges étaient occupés. On savait donner du plaisir. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune action réfléchie, spectaculaire, les échanges sont très brefs. Je me rappelle d’un quart de finale de la coupe de Tunisie ASM-EOGK conclu au 5e set par (16-14). Feu Nejib Khattab a alors écrit dans son journal: «Dame coupe poursuivra-t-elle sa randonnée entre La Goulette et La Marsa ?». Je me rappelle aussi d’un match où l’Egypte menait (14-2) contre le Maroc et n’était plus qu’à un petit point de la victoire. Eh bien, ce point manquant, les Pharaons allaient trimer avant de l’arracher face au brio du Maroc de Abderrazak Allem qui revint à (13-14).
Que vous a donné le sport ?
Il m’a instruit, et appris à bien me comporter dans la société, à bien me tenir à table. Il m’a permis de connaître des gens devenus des frères pour moi. Grâce au volley, j’ai fait le tour du monde. Le seul grand pays que je n’ai pas visité est le Japon. Il faut dire qu’en sélection, Mustapha Mazigh, responsable à l’Espérance, ne faisait jamais de ségrégation entre les joueurs venant de l’EST et ceux de l’ASM.
Votre meilleur souvenir ?
Notre première finale de la coupe de Tunisie remportée en 1967 devant l’Espérance de Tunis (3-1). Ce jour-là, on s’était dit: «Nous y voilà !», tout simplement parce que nous avons été formés dans cet objectif-là: arriver un jour à battre l’EST qui représentait un ogre quasiment invincible. C’était une fixation encore plus importante pour nous que la réussite dans les études quoique nous étions très amis dans la vie avec les joueurs «sang et or». Face à l’EST, notre entraîneur Habib Bey nous demandait une première fois de marquer par exemple 10 points par set, puis dans le match suivant contre le même adversaire de remporter un set, et par la suite deux, et ainsi de suite. Une sorte de politique des étapes appliquée au sport. Cela s’est ainsi fait progressivement. Puis vint le jour où notre objectif a été tout simplement la victoire. C’était un peu la conquête de l’Ouest, si vous voulez ! Nous avons fini par prendre l’ascendant sur eux. Ce jour-là, j’ai disputé deux finales de coupe de suite: celle juniors, remportée à l’annexe du Palais de la Foire face à la Saydia (3-2), puis celle seniors face à l’Espérance ST.
Et le plus mauvais ?
Ma grave blessure à la cheville à l’entraînement, deux jours avant un match devant l’EST. Nous avons été balayés par notre grand rival (3-0) en à peine une vingtaine de minutes. Le journaliste Ali Safi titrait le lendemain: « Le match le plus court de l’histoire du volley tunisien!». Il fait dire que j’étais le pilier de l’équipe marsoise, et que ma blessure a chambardé tous les plans de l’entraîneur.
Vous rappelez-vous du match le plus curieux de votre carrière ?
Aux Jeux olympiques 1972 à Munich, contre la Corée qui n’était pas encore le monstre sacré du volley mondial que l’on connaît aujourd’hui. Les Asiatiques étaient tellement rapides et imprévisibles qu’on ne voyait pas le ballon revenir. Nous étions habitués à un jeu plus académique où le ballon «prenait le temps dans l’air», comme on dit. Résultat: une défaite 15-1, 15-3 et 15-1. Une véritable correction !
Pourtant, la Tunisie avait réussi, une année plus tôt, aux Jeux méditerranéens d’Izmir, en Turquie à terminer quatrième….
Oui, mais cette année-là, nous avons bêtement laissé filer la médaille de bronze. Nous étions tout près de conclure victorieusement notre match face à la Grèce quand une dispute éclata entre deux parmi mes coéquipiers. L’un d’eux a insulté la mère de l’autre qui venait alors de décéder. Cette querelle a été mise à profit par les Grecs qui n’en croyaient pas leurs yeux pour revenir dans le match.
Je me rappelle d’une autre remontada à nos dépens: celle de l’Egypte en finale de la coupe d’Afrique des nations 1971, justement en Egypte. Nous menions 2 sets à 0 lorsqu’il y a eu une coupure du courant électrique qui a duré 1h45. Cela nous a «refroidis». L’Egypte put ainsi revenir à 2 sets partout. Finalement, la Tunisie s’imposa au 5e set sous les applaudissement du public local, très fair-play et fin connaisseur. Le match s’est joué au stade de football d’Ezzamalek, dans un coin de la touche. Sur les gradins, il y avait le grand public d’un match de football.
De quel ordre étaient vos primes ?
Nous n’en recevions aucune, à l’époque. Par exemple, pour notre victoire aux championnats maghrébins des clubs champions avec l’AS Marsa face au CS Casa du grand Abderrazak Allem (3-1 en finale à El Menzah), nous avons eu droit à un dîner et un ticket de cinéma.
Parlez-nous de votre famille ?
Fin 1973, j’ai épousé Naziha, ancienne traductrice à l’ambassade américaine. Nous avons deux enfants: Selima, chirurgienne dentiste, et Malik qui gère une société d’import-export.
Comment passez-vous votre temps libre ?
J’aime écouter les grands chanteurs classiques Fayrouz, Oum Kalthoum, Abdelwahab, Ismahane…J’aime m’adonner aux plaisirs de la pêche, et regarder à la télé les films policiers, de guerre, d’action, d’espionnage, western.. Je ne suis pas trop porté sur les fameux plateaux politiques. Je ne supporte pas leur cacophonie et le manège des disputes en direct !
Comment voyez-vous l’avenir de l’ASM ?
Avec les anciens du club, nous proposons des idées pour notre club de toujours. L’équipe de volley-ball est rentrée dans les rangs, et c’est pourquoi tout le monde s’est rabattu sur l’équipe de football, habituée au mouvement d’ascenseur.
Etes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?
Malgré toutes les épreuves, la Tunisie saura trouver le salut. Je ne peux qu’être optimiste, comptant sur la maturité et l’esprit de modération du Tunisien.
Aujourd’hui, vous sentez-vous un homme comblé ?
Oh oui, Dieu merci, j’ai atteint tous mes objectifs dans la vie. J’ai beaucoup de connaissances à La Marsa, à La Goulette et à Sidi Bou Said notamment. Je me suis marié avec une femme intellectuelle, j’ai un garçon et une fille. Et le plus important, je suis bien portant. La santé, c’est la chose la plus importante dans la vie.
Enfin, si vous n’étiez pas dans le sport, dans quel autre domaine auriez-vous aimé exercer ?
Tout jeune, mon frère m’avait transmis le virus du Septième Art. Cet univers me subjugue. J’allais d’ailleurs faire des études de metteur en scène.