Accueil Magazine La Presse Abdelaziz Ezzaier, ancien champion de judo: «La fatigue, je connais pas !»

Abdelaziz Ezzaier, ancien champion de judo: «La fatigue, je connais pas !»

Le sélectionneur français, Maurice Gruel, lui a proposé un jour d’être naturalisé français afin de bénéficier d’une bourse de sportif d’élite alors qu’il était installé dans l’Hexagone. Médaillé d’or aux 2e Jeux africains 1973
de Lagos où il a été élu meilleur judoka du tournoi,
Abdelaziz Ezzaier a marqué de son empreinte toute une génération du judo national. Né le 26 décembre 1953 au Bardo, notre invité a signé sa première licence en 1967 en faveur de l’Ecole fédérale de judo pour laquelle il a combattu entre 1967 et 1969. Il émigra par la suite à l’Espérance Sportive de Tunis de 1969 à 1971, et en 1975. Entre 1971 et 1974, Ezzaier évolua sous les couleurs de Saint-Martin, en France. Troisième dan depuis 1975, il a glané la médaille d’or et le Prix du meilleur judoka aux Jeux africains Lagos-1973. Son palmarès compte également plusieurs  championnats de Tunisie, et le championnat de France juniors 1972. Paysagiste et sculpteur, Ezzaier est marié et père de cinq enfants.


Abdelaziz Ezzaier, comment êtes-vous venu au judo ?

Ce sont mes frères Mehrez et surtout Maâmar qui m’ont piloté vers les arts martiaux. Je n’étais pas très intéressé par les études, mais j’avais de l’énergie à revendre. Un jour de l’année 1967, Maâmar m’acheta un kimono au Magasin Général au prix de trois dinars et demi. J’ai signé à l’Ecole fédérale, Rue Kamel Ataturk, où Hamadi Hachicha nous entraînait. Avant de rejoindre l’Espérance Sportive de Tunis où j’ai suivi l’entraîneur Ali Soumer qui exerçait également à l’Ecole fédérale. Hedi Mhirsi, qui allait devenir président de la fédération, était entraîneur puis président de section à l’EST. Entre-temps, mon frère Maâmar m’emmena avec lui en France pour faire de la couture. J’ai signé au club de Saint-Martin, du côté de Saint-Denis. J’ai été champion de France juniors catégorie légers. De retour au pays, je comptais ouvrir une représentation d’une grande marque de couturier et styliste français. J’ai tout importé: les modèles, les tringles, les affiches des prix… Mais las d’attendre le feu vert de la douane, j’ai tout vendu.

L’influence de votre frère Maâmar, Grand maître dans les Arts martiaux, a été énorme, non ?

Depuis mon jeune âge, Maâmar s’occupait de moi. Il me peignait les cheveux, m’apprenait à bien me tenir… Il a servi d’exemple pour moi, une sorte d’idole. Vous imaginez : grâce à lui, à seize ans, je partais en France faire ma vie ! C’est un vrai sportif, il n’arrête pas un jour de faire du sport. Même durant les vacances, sur la plage où il lui faut faire du footing, des abdominaux, des pompes… Son destin était d’être Grand maître.

Vous souvenez-vous de votre premier combat ?

Je n’avais que treize ans, et je devais peser quelque chose comme 40 Kg. Je voulais disputer un premier combat. J’étais impatient, mais notre coach à l’Ecole fédérale, Hamadi Hachicha, ne faisait que me dire d’attendre. Pourtant, je ne pouvais pas discuter sa décision. Tout en pleurs, j’étais allé vers Hamadi Boulahia qui lui demanda de me donner la chance de jouer. Il se portait garant, en cas de malheur. Eh bien, j’ai gagné coup sur coup deux combats, et n’ai chuté qu’au troisième. J’aimais faire ce qu’on appelle dans le jargon le grand écart. J’étais très souple, j’esquivais facilement. Tôt le matin, je faisais avec mon frère Mehrez un footing du Bardo au TGM, puis le retour du TGM au Bardo. Soit deux fois dix kilomètres. En France, après des entraînements de trois heures dans une salle, je passais dans une autre salle pour trois autres heures de travail. Jusqu’aujourd’hui, je ne ressens jamais la fatigue.

Votre combat le plus dur ?

Non, je ne parlerai pas de combat dur, mais plutôt de combat drôle. Nous étions trois judokas à représenter la Tunisie au tournoi d’Espagne, à Séville : Mohsen Mahjoub et Abdessalam Besbès dans les poids lourds, et moi-même dans les légers. Nous jouions la compétition individuelle et par équipes. Dans cette dernière, vous êtes obligé de jouer contre des poids tout à fait différents du vôtre. Ce fut dans mon cas un Espagnol de 100 kg du nom d’Arufa. Je me suis retourné vers Nejib Hachicha pour lui dire : «Vous connaissez le combat d’un taureau contre un agneau ?». Eh bien, le gentil agneau va se payer la tête du féroce taureau ! Grâce à ma spécialité, le Morote-seoi-nage, j’étais parvenu à le vaincre.

Et celui le plus important ?

Contre le Malgache Jaksos Djidji en finale des 2e Jeux africains de Lagos, en 1973. Mon combat dans la catégorie moins de 71 Kg ne dura que trois secondes. Le président de la délégation, Hassen Kacem, vêtu d’une superbe djellaba, prenait tout son temps pour s’installer à la tribune d’honneur de la salle de Lagos. Quand il a fini de le faire, il n’a rien compris : le juge arbitre levait déjà mon bras. Le match était fini ! L’Algérien Ahmed Moussa et le Sénégalais Jacques Ndiaye, que j’ai battu en demi-finales, devaient se contenter du bronze.

De qui se composait la sélection à l’époque ?

Mohsen Mahjoub, Abdelmajid Snoussi, Abdessalam Besbès, Abderrazak Matoussi, Fethi Gharbi, aujourd’hui établi aux Etats-Unis…

Quels furent vos entraîneurs ?

Le Japonais Yuji Danjo en sélection, Hamadi Hachicha à l’Ecole fédérale d’où partit l’aventure, Ali Soumer à l’Espérance Sportive de Tunis, en France Maître Péquier. Sans oublier mon frère Maâmar qui m’a tout appris : comment me tenir, un mouvement plus efficace et plus adapté à vos qualités plutôt qu’un autre…

Quelles sont les qualités d’un bon judoka ?

Il doit être vigilant, rapide, souple et assez fort debout et au sol. Avec le temps et beaucoup d’entraînement, on finit par devenir performant. Un mouvement se travaille en quatre ou cinq styles différents.

En France, la naturalisation des gros talents est une pratique courante. N’avez-vous jamais été sollicité dans ce sens ?

Une fois lorsque le sélectionneur de l’équipe de France, Maurice Gruel, assista à mon combat dans un tournoi ouvert aux étrangers et il était possible d’opposer des athlètes de poids différents. Je pesais 63 kg, alors que mon adversaire en avait 75. J’ai tenu jusqu’au bout. Le coach de la sélection française vint me demander si j’étais intéressé de bénéficier d’une petite bourse, à condition de jouer pour la France. Je ne maîtrisais pas alors suffisamment la langue française. J’ai appelé mon frère Maâmar pour discuter avec lui. Malgré l’attrait d’un logement et d’une prise en charge assurés, j’ai refusé cette offre.

Que représente le judo pour vous ?

Une éducation, une culture, un mode de vie, une philosophie de l’existence. Je conseille les parents de diriger leurs enfants vers cette discipline parce que c’est un sport de défense avant toute chose. Il y a quelqu’un qui vous attaque, vous le laissez venir pour l’esquiver et l’accrocher. Si vous maîtrisez suffisamment cet art, vous pouvez vaincre un jeune de vingt ans. Le judo m’a servi dans la vie pour me donner la confiance. Je peux sortir la nuit sans ressentir la moindre peur.

Votre carrière n’a pourtant pas été un long fleuve tranquille…

Loin de là. Il me fallait affronter les coups bas, la jalousie, les combines venant de mes partenaires aussi. Heureusement que j’ai appris à aller toujours de l’avant, à foncer sans me retourner.

Comment jugez-vous la situation du judo en Tunisie ?

Il nous faut consentir davantage d’efforts. Il ne suffit plus d’envoyer des athlètes en stage au Japon. C’est vrai, ce pays était le passage obligé.

Plus maintenant avec l’émergence de pays comme la France, devenue numéro un, le Kazakhstan, Cuba, la Russie, le Brésil… Avec des athlètes de 120 kg qui font 2,10 m, on a de plus en plus affaire à des hercules qui font vraiment peur. En Tunisie, la matière première existe, nous avons toujours eu de bons judokas. Il suffit de travailler sérieusement.

Tel ces artistes superbement ignorés, votre carrière phénoménale ne semble d’aucun secours afin que les autres se rappellent qu’il y eut un grand champion du judo que vous êtes…

Depuis mon retour d’Arabie Saoudite où j’étais parti entraîner l’école française et la Sûreté intérieure, personne ne s’était rappelé un jour de ma modeste personne pour me réserver un petit hommage qui aurait d’une certaine façon couronné ma carrière. Sauf le 2 août dernier lorsque la fédération m’avait honoré. J’ai été un des athlètes les plus titrés de ma génération. J’ai pourtant sacrifié ma jeunesse pour ce sport. Avec mon frère Maâmar, nous avons honoré notre pays en France. J’ai vaincu par ippon des gens d’un tout autre poids, de 120 kg, alors que j’évolue dans celle des moins de 71 kg. On a honoré quelques anciens champions d’Afrique, c’est un fait sélectif, et on a oublié le reste. Tant qu’on n’a pas de respect pour les anciens, on n’ira pas très loin ! Pourtant, je ne peux pas ignorer tout ce que m’a donné le sport, c’est–dire le respect et l’amour des autres. Vous sentez grâce à ce que vous avez réalisé en termes de performance sportive que vous valez quelque chose. Le sport est fabuleux. C’est quelque chose de sacré à condition d’être entre de bonnes mains.

Depuis votre retraite sportive, êtes-vous

resté dans le milieu ?

Non, j’ai même effectué une rotation à 180 degrés en me reconvertissant dans un autre art, car le judo en est un. J’ai, à un certain moment, ouvert une salle de sport à El Manar. Un club vidéos, puis un magasin de fleurs, aussi. Depuis quinze ans, la sculpture remplit ma vie. Je la pratique aussi bien en tant qu’amateur que professionnel. D’ailleurs, je suis membre de l’Union des artistes plasticiens tunisiens. Je n’ai appris la sculpture, qui est magnifique, que sur le tas. C’est un don du ciel. Cette activité me prend quatre à cinq heures par jour. Je suis spécialiste de la sculpture métallique en fil de fer. C’est un nouvel accomplissement pour moi, une joie renouvelée.

En attrapant le virus des arts plastiques,

vous découvrez donc un tout autre monde…

Le sport est également une activité artistique, à mon sens. Toute activité peut, d’une certaine façon, être appréhendée comme de l’art : cuisiner, marcher dans la rue, recevoir les gens chez soi… C’est notre quotidien, le passé et l’avenir.

Parlez-nous de votre famille ?

J’ai épousé Selma en 1975. Nous avons eu six enfants, dont un, Ahmed, est décédé. Il s’agit de Hela, Haifa qui travaille avec moi comme paysagiste et dans le jardinage, Lobna, employée dans une société allemande, Aymen, employé à Sigma Conseil et Alaâeddine, ancien paysagiste.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Je m’occupe en partie de la boutique de jardinage. A la télé, j’aime suivre les plateaux politiques. Leur défaut, c’est qu’ils n’apportent jamais de solutions ou des propositions.

Quel est votre club préféré ?

Le Stade Tunisien. D’abord parce que je suis un enfant du Bardo. Ensuite, parce que l’ancienne star Hedi Braiek est un cousin.

Etes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?

Nous sommes tous obligés de l’être. Cela va se décanter, mais on espère que le tribut du sang ne sera pas très lourd.

Enfin, si vous n’étiez pas dans le judo, quel autre sport auriez-vous pratiqué ?

La boxe. A un certain moment, débordant d’énergie, j’ai vraiment aimé aller vers le noble art. Mais l’amour du judo a fini par avoir le dessus.

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