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Tribune | Mon plus bel été

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Par Max FITOUSSI *

1962, une année marquante de ma vie personnelle et sportive !

C’était pour moi l’année du bac (à l’époque, on ne disait pas « Terminale », mais « 2e partie de bac »). Alors que j’avais passé la quasi-totalité de ma scolarité au merveilleux Lycée de Carthage, de la 8e en 1952 jusqu’à la 1ère en 1961, j’avais dû me résoudre à rejoindre le Lycée Carnot pour préparer mon bac « Sciences Ex ».

Je n’avais alors qu’une idée en tête : réussir à cet examen dès le mois de juin pour pouvoir passer un été tranquille, détendu et entièrement consacré à la pratique de mon sport favori : le volley-ball. Pour y parvenir, j’avais multiplié les séances de révision, seul ou en groupe, en travaillant sur des dizaines d’Annales du bac.

Heureusement, mes efforts furent récompensés puisque j’ai obtenu mon bac du premier coup … je devrais dire « mes bacs », car j’avais passé aussi bien les épreuves de la Mission culturelle et universitaire française (bac français) que celles du ministère de l’Education nationale (bac tunisien). Je fais ainsi partie de cette génération dont beaucoup présentent la particularité d’être titulaires de 4 bacs, 2 français et 2 tunisiens.

Le bac en poche, je pouvais alors penser au volley-ball. Il faut dire que je faisais partie, depuis un an, de l’Equipe nationale qui, après avoir été entraînée par un Yougoslave, M. Sirotanovic, venait d’être confiée à un entraîneur hongrois de grande qualité, Ernö Hennig.

Finis les après-midi de stage, à Bir El Bey et à Ben Metir, où,  pendant que mes camarades jouaient aux cartes ou faisaient la sieste entre deux séances d’entraînement, j’allais m’enfermer dans les toilettes pour réviser mon bac. L’esprit libre, je pouvais désormais préparer sereinement les compétitions internationales qui s’annonçaient.

Justement, nous devions rencontrer, dans le cadre du Festival des sports, qui se déroulait tous les ans pendant la première semaine de juin, la redoutable équipe d’Egypte qui était alors réputée largement supérieure à celle de Tunisie, car elle l’avait battue, quelques années auparavant, sur le score sans appel de 3-0. Dès sa prise de fonctions, M. Hennig nous avait fait changer de système de jeu en remplaçant le classique 3-1-2 par un 3-3 plus moderne et censé être plus efficace. La différence entre les deux systèmes tenait au fait que l’arrière central (position n° 5) ne devait plus assurer la couverture des 3 attaquants, mais balayer toute la ligne de fond pour couvrir les arrières latéraux à qui revenait désormais la tâche de protéger les attaquants des contres et des lobs. C’est donc contre l’Egypte, le 3 juin 1962, que nous avons inauguré ce nouveau système de jeu. Nous partions dans l’inconnu, car nous ne l’avions pratiqué qu’à l’entraînement, et nous n’avions donc aucune idée de ce qu’il allait donner dans des conditions réelles de match.

De surcroît, je dois dire que nous étions impressionnés par la taille, la stature et la puissance des joueurs égyptiens. Ils avaient fait une entrée spectaculaire sur le terrain, en courant, vêtus de survêtements blancs flambants neufs, une serviette éponge autour du cou, et sans oser le dire nous nous demandions tous, au fond de nous-mêmes, à quelle sauce nous allions être mangés.

Après la traditionnelle séance d’échauffement, pendant laquelle les smashes de nos adversaires s’écrasaient sur le plancher du Palais de la Foire tandis que leurs services puissants passaient en rasant le filet, le match débuta dans la composition suivante : Zizi Belkhodja (capitaine), Gilbert Bellaïche, Alain Cohen, Chedly Fazaa, Anouar Tebourbi, et moi-même, Max Fitoussi.

Jusqu’alors, mes participations aux matches de l’Equipe nationale s’étaient limitées à des entrées en cours de jeu. Ce fut notamment le cas l’année précédente, au printemps 1961, lors de mon premier match international, au stade de la Pépinière.  Je venais d’avoir 18 ans, et jouer contre la fameuse Tchécoslovaquie, qui comptait dans ses rangs deux joueurs de classe mondiale, les passeurs Paulus et Musil, m’avait beaucoup impressionné. Heureusement, les anciens, notamment Rachid Bey et Max Sitruk, m’avaient rassuré et encouragé et je n’ai donc pas eu à rougir de ma prestation, même si elle a été limitée.

Mais là, dans un Palais de la foire plein à craquer, c’était la première fois que je faisais partie du « six majeur » et que je débutais un match en tant que titulaire à part entière. J’étais alors l’un des plus jeunes joueurs de l’Equipe nationale (19 ans depuis quelques jours) et je dois avouer que, tout en ayant du mal à réaliser ce qui m’arrivait, je n’en étais pas peu fier.

56 ans après, mes souvenirs ne sont pas suffisamment précis pour donner des détails sur le déroulement du match. Je sais simplement que nous avons appliqué à la lettre les consignes de M. Hennig, que chacun a rempli le rôle qui lui était assigné, que notre nouveau système de jeu a fonctionné à merveille et que, après avoir remporté le 1er set, puis le 2e, nous avons finalement battu les ogres égyptiens par 3 sets à 0.

Inutile de dire combien notre joie fut grande. Nous l’avons savourée en communion avec tout le public, avec les officiels de la Fédération, et surtout avec notre entraîneur que nous avons porté en triomphe à la fin du match.

Conséquence de ce succès, l’Equipe nationale a été invitée par le Fédération égyptienne à un tournoi qui devait avoir lieu, au mois d’août suivant, à Alexandrie, avec la participation d’équipes libanaises et égyptiennes.

Ce fut pour moi l’occasion d’éprouver une satisfaction supplémentaire, car j’allais alors voyager à l’étranger et donc prendre l’avion pour la première fois. Il faut dire que ce qui est devenu banal aujourd’hui ne l’était pas du tout à l’époque et j’ai pu alors mesurer la chance que j’avais de vivre, si jeune, une aventure aussi rare et aussi motivante.

Au tournoi d’Alexandrie, nous n’avons cependant pas pu rééditer notre exploit du Festival des sports, et l’Egypte a logiquement pris sa revanche sur nous.

Une anecdote à propos de ce tournoi : avant l’un de nos matches, au moment de l’exécution des hymnes nationaux, ce n’est pas l’hymne de la République Tunisienne qui a été diffusé sur les haut-parleurs du stade … mais l’hymne beylical. Une fois passé un moment de stupeur compréhensible, M. Doagi, Président de la Fédération tunisienne, s’est rassis sur sa chaise, les mains sur les oreilles pour marquer sa désapprobation et son mécontentement. Ce jour-là, nous avons frôlé l’incident diplomatique mais, heureusement, les officiels égyptiens se sont excusés pour cette méprise et, après la diffusion du véritable hymne national tunisien, le climat s’est apaisé et le match a pu se dérouler normalement.

Après l’Egypte, une nouvelle compétition, d’une tout autre importance, nous attendait : les championnats du monde qui devaient avoir lieu en U.R.S.S., au mois d’octobre. C’était pour moi la poursuite d’un rêve, celui d’un jeune de La Goulette qui allait réaliser, à 19 ans, l’objectif que tout sportif vise : participer à une épreuve aussi prestigieuse en ayant l’opportunité de rencontrer les meilleures équipes du monde.

Le 9 octobre 1962, j’ai donc pris l’avion pour Paris, où nous devions faire escale une nuit avant de nous envoler le lendemain, à bord d’un Tupolev, en direction de Moscou. Au cours de notre bref passage à Paris, nous avons eu le plaisir de retrouver le puissant smasheur Max Sitruk qui était venu nous saluer et passer l’après-midi avec nous avant notre départ pour Moscou. Précision : à Paris, nous étions logés, face à la Seine, à l’hôtel de la gare d’Orsay, qui est devenu par la suite le prestigieux Musée d’Orsay.

Le volley-ball m’a donc permis de découvrir Moscou, la lointaine et mystérieuse capitale de l’U.R.S.S., de traverser les plaines d’Ukraine en train de nuit, et de séjourner à Kiev, au bord du fleuve Dniepr, … des lieux mythiques que Gilbert Bécaud a chantés dans sa très belle « Nathalie », une chanson qui, depuis, a forcément pris dans ma tête une résonance particulière.

Une autre anecdote, en relation cette fois avec notre séjour à Moscou : les Etats-Unis et l’U.R.S.S étaient alors en pleine « guerre froide », et c’est justement à ce moment-là qu’éclata la fameuse « crise des fusées de Cuba ». J’ai le souvenir d’une manifestation monstre et impressionnante qui s’est déroulée sur la Place Rouge, et de centaines de milliers de moscovites, hommes et femmes, qui y défilaient en rangs serrés en scandant des slogans que je ne comprenais pas mais dont je pouvais aisément deviner le sens. Tout le monde se demandait alors si le bras de fer Kennedy /Kroutchev n’allait pas déboucher sur la 3e guerre mondiale, et nous-mêmes nous nous demandions si nous allions pouvoir rentrer à Tunis. Fort heureusement, l’U.R.S.S. ayant accepté de démanteler les fusées installées à Cuba, la raison a fini par l’emporter, la crise a pu être dénouée et le pire a été évité.

Voilà, c’était une page du livre de ma vie, une page spéciale, belle, mémorable et importante pour moi.

M.F.

(*) Ancien volleyeur de l’équipe nationale tunisienne

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