«Lettre à Nikola», un documentaire de la réalisatrice d’origine grecque Hara Kaminara, aborde le sujet de l’immigration clandestine avec pudeur et doigté, mêlant une dimension subjective à une portée de documentaire. Voilà ce qui imprègne ce film d’une touche éminemment personnelle.
«Regards croisés des cinéastes femmes du Sud et du Nord», une autre innovation de cette 33e édition des JCC qui veut mettre en valeur la créativité des femmes dans un secteur qui reste dominé par le masculin, un secteur très peu paritaire. Cette nouvelle section a abordé parmi ses thématiques, la question brûlante de l’immigration clandestine sur les bateaux de la mort. Deux regards croisés à travers deux films documentaires projetés pendant les Journées ont traité de ce sujet : «Quand les hommes pleurent», de Yasmine Kassari (Belgique) et «Lettre à Nikolas», de Hara Kaminara (Belgique/Grèce).
Ce dernier film de 50 mn est une sorte de journal de bord d’une future maman, adressé à son enfant encore dans son ventre. Au bord de l’Aquarius, qui a porté secours à 29.523 personnes en Méditerranée entre 2016 et 2018, Hara fait la connaissance de Max, dont elle tombe amoureuse. Max est chef de l’équipe qui réalise les sauvetages des migrants en mer. Ils font quelques voyages ensemble. «Il était une fois un navire orange qui naviguait en Méditerranée. Sa mission était d’aider les personnes en danger qui tentaient de traverser la mer. C’est sur ce bateau que j’ai rencontré ton père», ainsi commence la longue lettre de Hara, photographe professionnelle d’origine grecque partageant son temps entre Marseille et la Belgique, et dont c’est là le premier film.
Lorsque la vie prend le dessus
Frappée par l’interdiction de circuler infligée au bateau qui perd son drapeau lui permettant d’accoster, condamnée à rester à terre, Hara décide de faire un film. Dans «Lette à Nikola», la portée subjective de l’histoire —la vie personnelle de Hara, ses sentiments, ses peurs, ses colères et ses doutes— se mêle à la dimension documentaire que ses photos et images filmées des migrants en détresse, échappant de justesse à la mort captent. C’est peut-être ce qui donne autant d’originalité et surtout d’empathie et d’humanité à un thème largement abordé par le cinéma, fiction et documentaire confondus.
«Plusieurs personnes voyageant avec lui sont mortes noyées durant la nuit. Nos regards se sont croisés, et j’ai vu le chagrin et la douleur dans ses yeux. A cet instant, alors que mon regard plongeait dans le sien, un sourire sincère et tellement humain est apparu sur son visage, brillant à travers les ténèbres», raconte la voix de Hara Kaminara dans le film. La mort et la souffrance qui rodent, Hara les a converties en instinct de vie. Cette vie qu’elle portera tout au long de la préparation de son film et jusqu’à quelques mois après lorsque l’enfant paraît. Elle sera imprégnée pour tout jamais par la mer en devenant elle-même mère.
Parce qu’elle a parlé avec les survivants, écouté leurs récits de vie, chanté avec eux au moment des fêtes spontanées organisées sur le bateau, elle s’interroge : «Tous ces pères, ces mères, ces enfants, qui finissent en numéros, en statistiques ?».
«Lettre à Nikola» est pourtant loin d’être un film sombre, misérabiliste, au discours cru. Rempli de rires et de chants des migrants secourus, il dépeint leurs heurs et malheur avec beaucoup de doigté, préservant leur dignité, leur pudeur ainsi que toute leur joie de vivre.
Ce film, écrit et réalisé par Hara Kaminara, image Hara Kaminara, son Hara Kaminara, montage Cédric Zoenen et Hara Kaminara, a été produit avec l’aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Service public francophone bruxellois et de la Wallonie.