En regroupant les membres de l’ASR autour d’une même table et pour parler le même langage afin de s’entendre sur la numérisation de la collecte des données, notamment qualitatives et fiables, il y a une avancée de taille vers de meilleurs résultats en matière de sécurité routière.
Après le dernier workshop en mars 2022, l’ASR a poursuivi le travail autour de la collecte des données en collaboration étroite avec les mêmes partenaires en visioconférence, à savoir Susana Zammataro, directrice générale de l’International Road Federation, et Patrick Kinyanjui de Global Alliance. Dans ce cadre, un atelier, qui s’est déroulé jeudi dernier à Gammarth, et rehaussé par la présence des membres de l’Observatoire national de la sécurité routière, dont le directeur général, a été une occasion pour l’ASR, ONG militante depuis une décennie pour des routes plus sûres en Tunisie, de présenter un exposé sur la collecte des données.
L’examen du Plan d’action conjoint a été au centre des travaux d’études dirigés par Afef Ben Ghenia, présidente de l’ASR, qui s’attelle à ce que tous les membres prennent connaissance du champ d’intervention du projet et l’appropriation de ses spécificités techniques. Les études de cas du projet de coalition Learn réalisées au Kenya en 2019, au Sénégal, en Ouganda et en Zambie en 2021, pilotées par Global Alliance, sont à présent tournées vers la Tunisie, qui entame la Phase II de son projet Learn. Les quatre pays africains précités ont obtenu des réalisations, mais sont également dans l’attente de nouveaux défis.
Expérience des pays africains
La Tunisie doit s’inspirer de l’expérience des pays qui l’ont devancée dans le projet Learn pour anticiper et agir de façon efficace. Il en ressort essentiellement la nécessité d’assurer l’identification des lacunes liées à l’infrastructure autour des écoles et la détermination des besoins appropriés. L’objectif global est de renforcer la gestion de la sécurité routière pour une intervention fondée sur des preuves, grâce à des données fiables sur les accidents de la route, au renforcement des capacités de recherche, de suivi et d’évaluation. Des aspects négatifs et des obstacles ont été relevés tels que la lenteur dans l’obtention des accords et permis de construire, les faibles niveaux d’encadrement technique qui s’ajoutent aux difficultés de financement pour trouver des bailleurs de fonds en vue d’accompagner le projet Learn dans ces pays.
En Tunisie, le champ de bataille se présente différemment et les membres de l’ASR s’impliquent continuellement en vue d’améliorer la collecte des données en coordination avec l’Onsr et les ministères concernés. La nouveauté signalée durant l’atelier réside dans l’importance d’avoir un coordinateur local pour assurer le suivi et l’avancement du projet Learn en Tunisie.
Axer sur les données qualitatives
Intitulé « Renforcement des systèmes d’information sur la SR en Tunisie : l’importance de la recherche », ce panel conduit par Fatma Snoussi, docteur en psychologie et enseignante à l’université Manar, était assez instructif. Elle a rappelé que si les données quantitatives présentent une vision globale, celles qualitatives donnent plus de détails et de précisions, notamment en se basant sur des témoignages et des focus groupes. L’apport des données qualitatives et non mesurables sur les accidents de la route a été aussi évoqué. Si la collecte de données quantitatives est importante pour recenser nos victimes sur la route, celles d’ordre qualitatif doivent être également élaborées. On ne saurait rappeler l’utilité des témoignages des blessés et accidentés de la route chaque jour en Tunisie, pour signaler leurs ressentis après un choc ou une blessure. De toute évidence, ils pourront constituer un outil précieux pour connaître où se situent les dangers et quels sont les risques pour les piétons et les automobilistes. La sécurité routière en Tunisie nécessite une meilleure appréhension des données qualitatives et appréciables, essentiellement basées sur les témoignages des accidentés de la route et celles qui indiquent les lieux de déroulement de l’accident, les circonstances et les motifs, pour connaître leurs détails et spécificités et agir ou raisonner en fonction de ces indications.
Qui n’a pas été concerné de loin ou de près par un accident de la route au cours de sa vie ? On ne compte même pas les accrochages et mauvaises surprises du quotidien dans la rue, sur les trottoirs et les chaussées…L’environnement routier en Tunisie est dangereux. Il n’y a pas de mal à l’admettre et à le reconnaître; au contraire, il faut en profiter pour remédier aux choses. Non pas qu’on risque la mort chaque jour au volant ou en tant que piéton mais il y a un danger à plusieurs niveaux à fréquenter la rue, notamment pour les personnes vulnérables. A savoir les personnes âgées, les enfants et les personnes malades. Faute d’assistance, elles frôlent le pire dans la rue, celui de se blesser, de tomber, de trébucher. Les automobilistes qui sont la majeure composante des circuits au sein des villes se rendent bien compte des difficultés d’être piéton par exemple, une fois descendus de la voiture, en plus de celles de conduire. Mais ce n’est pas leur affaire puisqu’ils ne le sont qu’occasionnellement donc ils ne s’en plaignent pas. Il ne s’agit pas de faire le procès des automobilistes parce que les piétons distraits et indisciplinés ont également de nombreux torts. Tant que les Tunisiens continuent d’avoir des comportements peu respectueux des autres sur la route, peu de choses évolueront, car déjà l’état de l’infrastructure, notamment les routes exiguës et encombrées de commerces de part et d’autre, compliquent la donne. Les voitures et les piétons coexistent quotidiennement avec peu de signaux de sécurité à la fois pour les usagers et les piétons. La « zone 30 » implémentée par l’ASR est une initiative courageuse et salutaire parce qu’elle contraint les automobilistes à réduire sensiblement la vitesse, chose qu’ils ont beaucoup de mal à faire, pour protéger les piétons vulnérables comme les élèves devant leurs écoles. Il faut envisager plus de zones piétonnes en ville, pareillement. Ce sont des endroits où on aura réduit à néant le risque de mortalité.
Numérisation des données des PV
On apprend de bonne source que les agents de police au niveau des feux de circulation auront de nouvelles attributions lors de l’enregistrement des PV des accidents de la route en numérisant toutes les données à hauteur de 70%, laissant 30% pour les besoins de l’enquête avant de boucler le dossier. Toutes les indications, clés de la carte grise de l’automobile, à la plaque d’immatriculation et bien d’autres indicateurs seront instantanément saisis. Il y aura même une étude comparative entre la méthode classique de collecte des données et celle nouvelle, à savoir la collecte numérique. Le projet Botnar sur la numérisation des données des accidents de la route est étroitement lié à celui en cours d’exécution, le projet Learn. Dans le cadre de la décennie d’action 2021-2030, la Tunisie vise à réduire de 50% les accidents de la route sur son territoire par rapport à la décennie précédente.
La collecte des données qualitatives impliquera davantage les agents de police présents sur les lieux de l’accident et les enquêteurs qui pourront livrer et dévoiler les défaillances au niveau de la sécurité de la route et comment y remédier. Comme avec le drame d’Amdoun à Béja un triste et mémorable 1er décembre 2020, il a fallu attendre que l’accident se produise pour agir et sécuriser la chaussée en zone montagneuse.
On doit apprendre ou réapprendre à prévenir les lieux dangereux et anticiper les drames routiers. Il ne faut pas banaliser les morts sur les routes et intervenir sur ceux qu’on pourrait éviter par l’action et l’efficacité. La problématique de la sécurité routière concerne tout le monde et nécessite l’implication des parties prenantes, à savoir des membres des ministères de la Santé, de l’Intérieur et des Transports autour d’une même table et pour travailler de concert ensemble.
Pour rappel, le projet Learn va durer un an jusqu’au 15 mars 2023, dans le cadre d’un partenariat pour de meilleures données de la sécurité routière en Tunisie dont l’ultime but est le renforcement des différents systèmes d’informations, en vue de générer des indicateurs et des outils performants pour aider à la prise de décision. Les résultats attendus concernent l’amélioration de l’appropriation de Learn par la coalition locale, l’exploration des moyens de débloquer des ressources pour soutenir la coalition Learn en Tunisie, d’envisager une approche progressive pour adopter des systèmes de données et d’informations conformes aux normes internationales en matière de sécurité routière. Enfin, il s’agit d’initier un processus consultatif pour développer des recommandations pour la révision des textes réglementaires pour la collecte des données relatives à la sécurité routière. « Sans données, vous êtes simplement une autre personne avec une opinion », avertit W. Edwards Deming, scientifique en matière de données, qui rappelle le poids et l’efficacité du « Data » dans de nombreux domaines et disciplines.