Plus de deux ans après l’adoption de la loi relative à l’économie sociale et solidaire, très peu d’avancées ont été réalisées dans ce domaine.
Le concept, aux contours encore flous, n’a pas réussi à faire mouche auprès des acteurs concernés, malgré la ribambelle d’avantages socioéconomiques qu’il présente. Dans l’optique de lever les équivoques autour de l’ESS et de l’entrepreneuriat social et approfondir la réflexion et la discussion sur ce sujet, le think tank Solidar Tunisie vient d’organiser un atelier sur le thème “Vision et perspectives de l’entrepreneuriat social”. La tenue de cet atelier coïncide, selon la présidente de l’ONG, Lobna Jeribi, avec le déclenchement du processus de mise à jour de l’arsenal législatif relatif à l’économie sociale et solidaire au sein des différents ministères de tutelle. Lors de cet événement, qui a réuni des spécialistes de l’ESS, des économistes ainsi que des acteurs de l’écosystème, notamment des représentants des centrales syndicale et patronale, mais aussi des associations spécialisées et des institutions de l’Etat, il était question de clarifier les concepts aux frontières élastiques qui relèvent du registre social et solidaire, tels que l’auto-entrepreneur, le PPP social et les entreprises sociales et communautaires. Il était également question d’identifier les difficultés rencontrées par les acteurs de l’ESS, mais aussi les freins qui empêchent l’essor de ce secteur, pourtant très important pour l’économie nationale au vu des crises économique et financière que traverse le pays.
«Nous essayons de déceler les causes de non-appropriation de l’intérêt de l’économie sociale et solidaire par les divers acteurs. On voit par exemple que pour les agriculteurs, 2% seulement adhèrent aux coopératives agricoles et aux Smsa. Le débat porte également sur les moyens d’amélioration de la compétitivité des acteurs à travers ces mutuelles et ces groupements. Peut-être qu’il faut mettre en place une stratégie de communication au sein des différents acteurs de l’écosystème pour qu’il y ait une meilleure appropriation de ce concept. En tout cas, à l’issue de cet atelier, les recommandations seront émises et elles porteront sur tous types de difficultés législatives, organisationnelles, institutionnelles, mais aussi culturelles», a souligné Mme Jeribi à La Presse.
Décloisonner les visions
La présidente de Solidar Tunisie a affirmé que cet atelier vise aussi à décloisonner les visions des divers ministères de tutelle autour de l’économie sociale et solidaire et consigner les bonnes pratiques dans ce domaine qui permettent de concrétiser d’une manière pertinente ce concept. «Tout le monde connaît le cas de Jemna, mais il n’y a pas que cette expérience. Il y a énormément de projets qui ont été réalisés dans divers secteurs notamment agricole, de l’artisanat et même des projets avec le ministère de la Femme, et d’autres en relation avec l’enfance et l’éducation. Donc, notre ambition est de capitaliser sur ces expériences et travailler sur des régions pilotes, à savoir Jendouba, Kébili, et Béni Khiar pour voir les difficultés pratiques et opérationnelles, rencontrées sur le terrain, mais aussi les attentes des acteurs, et ce, au niveau législatif et de conceptualisation, afin d’apporter des solutions concrètes et de s’éloigner de l’aspect théorique», a-t-elle conclu.
Des contraintes liées au financement
Interrogé sur l’efficacité de la pléthore de lois relatives à l’entrepreneuriat social qui n’ont pas été suivies de programmes de mise en œuvre, Mohamed Madhkour, représentant du cabinet Value Development (mandaté par Solidar Tunisie pour mener une étude sur l’entrepreneuriat social), a souligné, dans une déclaration à La Presse que l’accompagnement, le financement, la vulgarisation et la formation sont les éléments qui permettent à ce vivier et à cette dynamique autour de l’ESS d’éclore. «En Tunisie, on a tendance à croire qu’un texte de loi va changer la donne, installer un nouveau modèle économique, ou créer des emplois. Un texte de loi ne crée pas d’emplois ou de développement. Ce qui est à faire, c’est de mettre en œuvre des programmes d’appui, des programmes de développement et de capitaliser sur ce qu’il y a. Il y a des dynamiques privées, publiques et associatives qu’il faut promouvoir, encourager et surtout faciliter le lancement des choses. Il faut que les services publics admettent de laisser éclore ce vivier de dynamique et de l’accompagner. C’est l’accompagnement, le financement, la vulgarisation et la formation qui peuvent permettre tout cela », a-t-il indiqué. S’agissant de la problématique du financement qui demeure, selon les intervenants, la pierre d’achoppement des entrepreneurs sociaux et des structures de l’ESS, l’expert a fait savoir que deux problématiques subsistent à ce niveau. La première est liée à l’accès au financement des différentes formes juridiques. «Est-ce qu’une association en Tunisie peut avoir un crédit? Non. Est ce qu’aujourd’hui le financement public des associations existe? Très peu et très contraignant. Si on prend les coopératives, ce qu’on appelle aujourd’hui les Smsa ou les GDA, est-ce qu’ils ont un accès au financement au-delà de l’accès au financement public? Très difficilement», a-t-il expliqué. La deuxième problématique est liée, selon Madhkour, à l’accompagnement.
Pour l’intervenant, il ne suffit pas de mettre en place des mécanismes de financement (à l’instar de la ligne publique installée via la BTS), mais il faut accompagner les acteurs dans l’élaboration du Business Plan, dans la maîtrise de leurs besoins en financement, pour qu’ils puissent accéder à ces mécanismes. Et de conclure : «Il est vrai que le texte de loi a prévu un mécanisme de financement dédié avec une banque coopérative. Mais dans l’état actuel des choses en Tunisie, la création d’une nouvelle banque va être compliquée. Par contre, installer des lignes de financement c’est possible. Là encore il y a plusieurs projets de développement et de coopération internationale qui offrent des lignes de financement, sauf qu’il y a énormément de contraintes réglementaires au-delà des contraintes de capacités de ces acteurs à accéder à ces financements».