Dans la multitude des marchés de Noël organisés depuis les débuts du mois de décembre, deux expositions-vente, « Artisane » et « Souk El Kahina », se distinguent par leur dimension en lien avec le commerce équitable. Un commerce qui valorise les savoir-faire locaux, la parité salariale entre les femmes et les hommes et s’appuie sur des chaînes plus courtes et transparentes tout en permettant aux producteurs et productrices de vivre décemment de leur travail
L’exposition « Artisane » du Pnud : incursion des savoir-faire des femmes du Sud dans la médina
Le Palais Kheireddine, dans la médina de Tunis, s’est paré du 3 au 11 décembre des mille et un savoir-faire des femmes originaires des gouvernorats de Gabès, Kébili, Tataouine, Gafsa, Tozeur et Médenine, dans le sud tunisien. L’exposition « Artisane » s’inscrit dans le cadre du programme conjoint Pnud-ONU Femmes : « Faire face au prix de la violence sociale et économique dans la Tunisie post- Covid-19 » financé par le Canada. Elle incarne le couronnement d’une expérience lancée en mars 2022, au cours de laquelle près de 300 artisanes se sont attelées, encadrées par deux designers, à savoir Olfa Trabelsi et Marwa Fehri, à développer une variété de produits de l’artisanat local. Une panoplie de compétences transmises à travers les âges : tapisserie, poterie, joaillerie, produits de vannerie, tissage à la main et broderie. Dans le coin boutique de l’exposition, des produits de l’agro-alimentaire de ces terroirs, au packaging soigné et revisité par Marwa Fehri, s’offrent aux consommateurs.
Pour ce programme précis, le Pnud a cherché des solutions adaptées à chaque artisane ou groupe d’artisanes pour les faire gagner en autonomie financière, en développant l’attractivité de leurs produits. Ce qui leur fournirait les moyens de se protéger des crises actuelles et futures. Face aux conséquences désastreuses du Covid sur l’artisanat tunisien (40 millions de stocks d’invendus en juin 2020), les artisanes, qui représentent 80 % du secteur, restent aux premières lignes de la crise économique.
L’exposition « Artisane », qui a ciblé des femmes vivant dans des zones parfois enclavées et n’ayant pas bénéficié de circuits de valorisation et d’appui à leurs compétences, semble avoir atteint son objectif. Il s’agit de réaliser des objets de qualité destinés aux nouveaux marchés, ceux du commerce équitable notamment, et former des artisanes aux réflexes professionnels sur plusieurs aspects du produit, tels que le choix des couleurs, l’image de marque ainsi que les méthodes de présentation et de communication autour des produits.
« Tout en fournissant aux femmes les matières premières et les encadrant légèrement, nous les avons laissées elles-mêmes chercher, cogiter, brain stormer pour trouver les meilleurs modèles, formes et astuces afin de développer leurs produits. Certaines se sont révélées d’une grande ingéniosité, vraiment douées pour le design », témoigne Olfa Trabelsi encore émue par ce processus d’immersion dans les ateliers.
Des chemins de table brodés de motifs prophylactiques, des mergoums teints avec des coloris naturels, des plaids moelleux à base de laine vierge, des luminaires légers comme une feuille de palmier, des tabourets en jonc tressé, des colliers pour les mariages à base de skhab, une pâte d’épice connue pour être aphrodisiaque, de grands vases en poterie à l’allure primitive, modelés et polis à la main, solides et durables grâce au façonnage en colombins très fins.…Esthétique et fonctionnalité vont ici de pair, tout en racontant un héritage transmis de mère en fille depuis la nuit des temps.
« Si les prix des pièces qui se présentent à nous semblent élevés, c’est parce que nous nous sommes habitués à sous payer les artisanes. Il s’agit à mon avis du juste prix, celui des heures passées sur leurs ouvrages. Comment peut-on les encourager si on continue à les exploiter ? », s’insurge Nadia Jelassi, plasticienne, commissaire d’expositions et fille de brodeuse, qui a consacré deux visites à l’exposition.
« Artisane », qui a connu une large affluence, s’est achevée le 11 décembre. Les femmes sont rentrées dans leur Sud, les yeux pleins d’étoiles et quelques commandes dans les poches. « Pourvu que ça dure », souhaitent-elles. La commercialisation de leurs produits avec l’approvisionnement en matières premières restent les blocages récurrents des travailleuses dans ce secteur.
« Souk El Kahina », d’Enda-Interarabe : dans la verve de la mouvance « Be Tounsi »
Du 22 au 25 décembre, la Cité de la culture s’est transformée en une grande foire des producteurs et artisans vivant et travaillant du nord au sud de la Tunisie. Céramique, poterie de Sejnane, bijoux, vannerie, tapis, costumes, décoration intérieure…une créativité foisonnante s’est déployée dans le hall central de la Cité. Le point culminant de l’évènement se présente à travers les produits de l’agro-alimentaire labellisés El Kahina, rassemblés dans le grand stand, Souk El Kahina où s’affairent une centaine d’artisans et de petits producteurs offrant à la dégustation et à la vente près de 150 produits certifiés : des épices, de l’harissa, de la tapenade,des tomates séchées, du miel, de la bsissa, de l’huile d’olive, du zrir, du couscous, des eaux florales…
L’évènement, coorganisé par Enda-Inter arabe et Enda Tamweel en partenariat avec l’Agence française de développement, la Caisse des dépôts et consignations Tunisie et Expertise France, couronne une dynamique de développement régional entamée en 2019. Inspiré par les valeurs de l’économie sociale et solidaire, il vise à appuyer et soutenir les petits agriculteurs et artisans dans les régions du Cap Bon, du Kef et de Sidi Bouzid. La démarche du projet consistant à les accompagner notamment à coups de formations dans le secteur de l’agriculture durable et responsable (réduction des pesticides et utilisation des semences locales) pour la valorisation de leurs produits, leur certification par des experts et l’écoulement de leur marchandise à des prix équitables.
Bahija Ben Abdallah, coordinatrice générale d’Enda-Interarabe, raconte l’idée de monter ce circuit de commerce équitable : « Nous avons travaillé sur la contractualisation sur le long terme des relations entre les groupements agricoles formés par de femmes en général et les petites unités de transformation. Les seconds achetant chez les femmes les produits agricoles à des prix justes. Notre objectif consistant à commercialiser ces produits au niveau des consommateurs responsables. Nous cherchons également à sensibiliser le public quant au commerce équitable, qui prend en considération la « sueur », des agriculteurs et agricultrices et leurs droits à la sécurité sociale et au congé ».
Souk El Kahina est en train de créer une chaîne commerciale solidaire où l’intermédiaire est écarté afin d’accéder directement au marché. Le réseautage entre les différents membres de la « communauté » Souk El Kahina, qui promet de devenir annuel, est un autre objectif de l’évènement, qui a été clos dimanche après-midi à Tunis.
« La deuxième phase de notre projet après avoir certifié les produits agricoles bruts puis transformés consiste à intégrer l’artisanat autre qu’agro-alimentaire », ajoute Bahija Ben Abdallah.