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Tribune | Demain peut-il être pire ?

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Par Mohamed Salah Ben AMMAR*

Plus grand monde ne prête plus attention aux signaux rouges qui s’allument dans tous les domaines. Des pans entiers de la vie économique, culturelle, sportive, académique sont à l’agonie. La principale richesse du pays, le capital humain, est en train d’être dilapidée. Et comment s’en étonner devant le peu de confiance qu’ont les citoyens en l’Etat ?

Lassitude, découragement, désintérêt, désengagement pour la vie publique, démission, bref un sombre fatalisme s’est installé dans la société. Comment l’expliquer ? Un réflexe de survie, chacun pour soi ? Par l’absence d’alternative claire ?  Par le retour de la peur ?

En essayant autant que possible d’être factuel, un échantillon d’étapes qui, mises bout à bout, ouvriront peut-être les yeux de ceux qui de bonne foi se sont résignés : 

Interprétation tendancieuse de l’article 80 et omission volontaire de certains passages : «…le Président de la République peut prendre les mesures que cette situation nécessite…mais il doit : garantir le retour dans les plus brefs délais à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics… Durant toute cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de réunion permanente…Dans ce cas, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement».

Décret présidentiel n° 2021-117 du 22 septembre 2021, relatif aux mesures exceptionnelles.

Consultation électronique biaisée dont l’interprétation, partiale et tendancieuse des résultats, a ouvert la voie au référendum constitutionnel.

Référendum constitutionnel qui n’a mobilisé que 28 %, des électeurs. C’est-à-dire que près de 7 millions d’électeurs n’ont pas jugé utile de se déplacer, pire nous n’avons pas de chiffres précis mais tout indique qu’une immense majorité des participants n’a pas lu le projet de Constitution. La publication tardive d’une version initiale truffée de 76 fautes suivie d’une autre version corrigée peut expliquer en partie ce désaveu. Enfin, il est aberrant d’interroger sur 142 articles alors que chacun des articles nécessiterait à lui seul un référendum.

Rédaction unilatérale d’une Constitution sur mesure.

Dissolution du Conseil supérieur de la magistrature.

Dissolution de l’Instance supérieure indépendante des élections.

Dissolution de l’Instance nationale de lutte contre la corruption.

Décret n° 2022-55 relatif aux élections et aux référendums.

Décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication.

Mouvements annuels de la magistrature, des diplomates pour 2022-2023 non faits.

Cour constitutionnelle non-mise en place 18 mois après le 25 juillet 2021…

Cette liste est factuelle mais non exhaustive. Les conséquences de chacun de ces exemples devraient inquiéter les plus fervents partisans du processus. Les plus déçus de la «décennie noire» doivent réaliser que la situation se dégrade de jour en jour. Beaucoup d’entre eux avaient perdu le sens de la mesure devant la réelle menace de théocratie qui pesait sur le pays, ils en étaient à rêver d’un coup d’Etat ! Mais tout sauf Ennahdha ne peut pas faire office de politique. L’angoisse compréhensible en 2012 n’explique pas tout.

Les décisions unilatérales, non motivées, partiales, injustifiées, ne provoquent plus aucune réaction. Certains de nos concitoyens continuent de répondre, c’est toujours mieux que les Frères musulmans ! Indifférents devant les communiqués de presse en plein milieu de la nuit, ils réagissent par un bof, de toutes les façons il n’y a rien à faire !

Cette apathie citoyenne est le pire danger pour l’avenir du pays. Les fondements même des régimes démocratiques sont attaqués. La liberté de la presse, la démocratie représentative, la séparation des pouvoirs, tout a été remis en question. Et alors, disent les amis ? La conception actuelle de l’exercice de l’autorité décourage les plus téméraires.

Notre vie politique était d’une médiocrité sans nom, mais le remède administré s’est révélé pire que le mal. Au fil des événements, nous réalisons que la finalité de la manœuvre était d’imposer une vision idéologique, impossible de qualifier tant elle est confuse.

Il s’agit en fait d’une manœuvre de démolition méthodique mais camouflée. En effet, la réussite du projet présidentiel nécessite le contrôle de tous les rouages de l’Etat à travers la mise en place d’une nouvelle classe dirigeante, fidèle et convaincue. La vie politique était malsaine et nul ne le conteste mais était-ce propre à la Tunisie, n’est-ce pas le cas de toutes les jeunes démocraties qui sont nées après des régimes dictatoriaux ?

Diaboliser la vie politique ouvre la porte de l’enfer. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Sous prétexte de lutter contre l’argent sale et la corruption en politique, le décret n° 2022-55 relatif aux élections et aux référendums a introduit des changements importants dans le système électoral.

A l’épreuve, ce texte ne servira qu’à faire émerger une nouvelle classe politique. Les illuminés et les opportunistes n’auront aucun mal à survivre à ces nouvelles règles et à en profiter. C’est inéluctable et n’en déplaise aux plus vertueux, l’argent politique continuera à circuler.

Le maître de Carthage ne réalise pas que ce climat a un impact destructeur sur la vie économique du pays, il sape la confiance des investisseurs. Désormais, le pays est écartelé entre la  détresse économique, les demandes sociales des citoyens et les injonctions du Fonds monétaire international (FMI) qui conditionnent l’octroi de nouveaux prêts nécessaires au redressement des comptes publics, il ne sait plus à quel saint se vouer.

Le Président tunisien fera de plus en plus face à la rude épreuve de la réalité des échecs de sa politique. Ils ne sont pas tous de son fait, la situation internationale et climatique peu favorable y est pour beaucoup, raison de plus diront les plus sages. Les échecs ne feront qu’accroître le sentiment de désespoir chez les citoyens. Les déceptions seront plus grandes, car beaucoup ont cru en l’homme et non au projet politique et c’est peut-être l’une des origines du malentendu actuel.

Le «peuple» a rêvé d’un sage et honnête homme or en accaparant tous les pouvoirs, Kaïs Saïed a établi un nouveau deal. Le risque est qu’en concentrant un peu plus tous les jours tous les pouvoirs, il concentre en même temps tous les mécontentements ! Ce faisant, il ferme définitivement la porte de l’espoir.

Il reste un mince filet de lumière. Beaucoup d’alternatives s’offrent au maître du jeu. Il doit simplement réaliser que la seule solution viable passe par l’instauration d’un dialogue national élargi, sans exclusion pour faire émerger les solutions qui permettront, avec un peu de chance, de sortir le pays de l’impasse dans laquelle il est actuellement.

M.S.B.A.

*Médecin et ancien ministre de la Santé

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