S’il y a un dossier social complexe qui traîne au fil des années, c’est bien celui des ouvriers de chantier, partout, dans toutes les régions. Cet emploi précaire a toujours été perçu comme une épine dans le pied. Sans solution !
« Cela suffit, la coupe est pleine ! On en a marre de cette politique d’atermoiements et de fuite en avant adoptée par ce gouvernement et par ceux qui l’ont précédé, depuis la révolution. Signé en 2020, le fameux accord portant régularisation de notre situation n’a pas encore pris effet. Sans que l’Ugtt, notre porte-voix syndical, ne tienne parole pour en finir avec ce dossier qui a trop traîné », s’écria, émue, Samar Chaâbani, une des membres de la coordination régionale des ouvriers de chantier à Ben Arous, lors d’une conférence de presse tenue lundi au Snjt à Tunis.
De la poudre aux yeux
Ce fut, pour elle et ses collègues, une occasion où ils ont tout dit aux médias, révélant que la décision de recrutement et d’affectation entreprise en leur faveur n’est, en fait, qu’un bluff politique visant uniquement à jeter de la poudre aux yeux. Finie la trêve, retour à la case départ. « Demain, 12 janvier, nous reviendrons à la charge, entamant une série de mouvements de protestation régionaux pour réclamer la régularisation de notre situation », a annoncé, en colère, Hiba Saadi, coordinatrice nationale des travailleurs de chantier âgés de moins de 45 ans. Leur mobilisation s’annonce massive, menaçant d’escalade à n’en plus finir.
Et là, personne ne peut imaginer des suites éventuelles, à moins que le gouvernement fasse de son mieux pour répondre favorablement à l’appel. Or, cela ne semble pas évident, dans la mesure où il ne cesse de prendre toute revendication à la légère. « Que ce dossier soit résolu à jamais », lance-t-elle.
Cela fait 12 ans et même plus que l’on rabâche ce problème d’emploi précaire et promet monts et merveilles et sa résolution une bonne fois pour toutes.
Ce qui n’est pas le cas. « Nous, la catégorie socioprofessionnelle la plus vulnérable, continuons à souffrir dans notre chair. Sans couverture sociale ni sanitaire, on a du mal à vivre dignement et pouvoir subvenir aux besoins de nos enfants », se lamente Chaâbani, cette ouvrière de chantier âgée moins de 45 ans et qui peine encore à être confirmée dans son poste. Ses pairs, de même âge, soit 31 mille travailleurs concernés par l’accord précité, n’ont pas eu, jusqu’ici, gain de cause. Mais, ce chiffre tel qu’a été officiellement déclaré, nous confie-t-elle, n’est guère bien fondé, affirmant que leur effectif réel est d’à peine 17 mille ouvriers à l’échelle nationale. « L’Etat voudrait, tout juste, masquer la réalité, faisant semblant de ne pouvoir plus gérer en bloc tout le dossier. Pour ce faire, il a opté pour tout régler, tranche par tranche », indique-t-elle.
Droit de vivre dignement
Et de souligner que le gouvernement avait failli à ses engagements, étant donné qu’il n’est même pas parvenu à satisfaire définitivement la première tranche, laquelle couvre quelque 6 mille travailleurs. Soit environ 1.500 seulement ayant été réaffectés dans la fonction publique au titre de 2022, depuis octobre dernier. Et encore ! Ceux-ci, à vrai dire, n’ont pas, à ce jour, touché leur salaire, ni bénéficié d’aucun rappel de majorations salariales, conformément aux recommandations de l’accord conclu en 2020 entre le gouvernement et l’Ugtt. « Alors que certains d’entre eux, pourtant inscrits sur la liste des recrutés, n’ont pas encore pris leurs nouvelles fonctions. Drôle d’un Etat qui ne sait pas gérer dûment ses dossiers ! », ironise l’ouvrière.
Père de famille, ayant un enfant à sa charge, Sabri Ben Slimane, membre de ladite coordination, s’est aligné sur les recommandations de ses collègues, demandant que ce dossier soit méthodiquement réglé.
Et que la chronologie des recrutements des cinq tranches dont relève l’ensemble des travailleurs concernés soit également respectée. « Cela dit, les procédures de régularisation de notre situation devraient être parachevées d’ici 2025, comme déjà convenu », insiste-t-il, appelant à boucler la liste de 2022 et s’engager au recrutement de deux tranches au cours de cette année.
Et d’arguer que ces ouvriers de chantier ont dû prendre leur mal en patience. Ils sont répartis sur tous les départements et institutions de l’Etat. Gardiens d’école ou d’hôpital, guichetiers au sein des établissements, femmes de ménage dans plusieurs ministères, agents agricoles et même des fonctionnaires dans certains laboratoires d’analyses médicales, ces ouvriers diplômés ou non méritent, eux aussi, de vivre dans la dignité et sortir de l’ornière. « L’ère de l’injustice est révolue… », conclut-il sur un air de défi.