L’expert comptable, Mohamed Derbel, estime qu’il est judicieux de laisser tomber le processus de réforme fiscale enclenché en 2013, du moment que les recommandations formulées à l’issue des assises nationales de la fiscalité sont devenues caduques. Il propose d’engager un nouveau discours pour une réforme aboutie et une nouvelle politique fiscale cohérente avec la nouvelle donne économique.
Intervenant lors de la rencontre-débat qui a été organisée, jeudi dernier à Tunis, par l’Ordre des experts comptables de Tunisie (Oect), sous le thème « apports de la loi de finances 2023 et impératif de relance », l’expert comptable Mohamed Derbel est revenu sur le bilan de la réforme fiscale qui a été engagée en 2013, avec la tenue des assises nationales de la fiscalité. « Point d’orgue de la réforme », lesdites assises ont abouti à l’émission de 266 recommandations articulées autour de cinq objectifs, à savoir : la simplification du système fiscal, l’équité fiscale, la lutte contre l’évasion fiscale, la modernisation de l’administration fiscale et le renforcement de la décentralisation et la promotion de la fiscalité locale.
Huit axes
Elles se sont déclinées en huit axes qui sont l’impôt direct, l’impôt indirect, la lutte contre l’évasion fiscale, la modernisation de l’administration, le renforcement de la transparence fiscale et des règles pour la concurrence loyale, la révision du régime forfaitaire, la fiscalité locale et l’appui des garanties au contribuable. Ainsi pour une réforme aboutie, il a été prévu d’appliquer toutes les recommandations émises en les intégrant progressivement dans les lois de finances.
Dix ans après l’enclenchement de ce processus, le premier bilan à faire s’avère mitigé, affirme Derbel. En effet, avec un taux global de réalisation de 53%, les résultats du parcours effectué sont mi-figue mi-raison. «C’est un taux de réalisation important. Mais ceci ne nous empêche pas de poser les questions sur les raisons pour lesquelles on n’a pas pu appliquer les 47% des recommandations restantes », a commenté Derbel.
Passant au peigne fin les lois de finances qui ont été adoptées depuis 2013, l’expert comptable a, en somme, révélé que le processus de réforme allait decrescendo, (l’intégration de 5 recommandations seulement dans la LF 2023) même si, sur le plan législatif, les possibilités étaient ouvertes.
563 mesures
«De 2014 à 2023, il y a eu 563 mesures qui ont été votées dans le cadre des lois de finances successives de 2014 à 2023, dont 15% seulement s’inscrivent dans la réforme fiscale. On avait la possibilité législative d’appliquer les recommandations des assises au niveau des lois de finances. Chose malheureusement qui n’a pu être faite», a-t-il souligné. Et d’ajouter : «Peut-être que ces recommandations sont aujourd’hui caduques et ne peuvent plus s’appliquer tellement on a rajouté des couches sur le dispositif fiscal actuellement en place. Quand on voit le choix du gouvernement au niveau des axes, on constate qu’il y a un focus sur les impôts directs, les impôts indirects et la lutte contre l’évasion fiscale».
En effet, en entrant dans les détails, il s’avère que c’est au niveau de la fiscalité locale que le taux de réalisation était le plus faible (28%). Pour les axes impôt direct, lutte contre l’évasion fiscale et révision du régime forfaitaire, les taux de réalisation sont respectivement de 44%, 60% et 60%.
Derbel a, par ailleurs, ajouté qu’au cours des dix dernières années, le système fiscal s’est alourdi davantage. «En dix ans, on a compliqué le système fiscal. On a instauré des centaines de mesures dans les lois de finances alors que le système fiscal se composait déjà de 508 articles. On a également émis 4.003 prises de position et 222 notes communes. Le système fiscal est devenu très lourd pour ceux qui veulent consentir à l’impôt. Il est très lourd à gérer aussi bien pour le contribuable que pour l’administration», a-t-il commenté.
Difficile de garantir l’équité fiscale
Soulignant que le taux de défaut de déclaration s’élève à 50%, Derbel a affirmé qu’il est très difficile d’assurer l’équité fiscale, du moment que le ministère des Finances n’est pas doté des moyens matériels nécessaires. L’expert-comptable estime qu’il faut garder le cap sur les orientations stratégiques de la réforme mais il recommande d’abandonner le processus engagé en 2013, étant donné que les mesures recommandées sont devenues caduques et « dépassées par le volume des textes qui ont suivi». «Pour une nouvelle réforme fiscale réussie il faut élaborer une politique fiscale cohérente avec les objectifs économiques qui ont changé depuis 2013.
Il faut revoir notre politique fiscale, simplifier le système fiscal et éviter ces divergences entre comptabilité et fiscalité qui nous mènent à des contentieux houleux qui sont fatigants aussi bien pour l’entreprise que pour l’administration. Il faut, également, moderniser l’administration, alléger les ponctions fiscales et élargir la base des contribuables, pour bien répartir cette pression fiscale. Pour réformer il faut vraiment une détermination. Je crois qu’il faut oublier la réforme de 2013 et engager incessamment un nouveau discours pour une réforme fiscale réussie», a-t-il conclu.