Accueil A la une Rapport du Pnud sur l’économie informelle en Tunisie : Un terreau fertile pour l’agriculture

Rapport du Pnud sur l’économie informelle en Tunisie : Un terreau fertile pour l’agriculture

 

L’acceptation d’emplois informels serait un moyen pour les jeunes de participer au marché du travail, d’acquérir de l’expérience et, éventuellement, de trouver un emploi formel, car l’informalité diminue rapidement avec l’âge.

Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), en partenariat avec l’Organisation internationale du travail (OIT), vient de publier une étude sur « L’économie informelle en Tunisie : définitions, analyse exploratrice et esquisse d’une stratégie intégrée ».

L’étude vise l’approfondissement des connaissances actuelles sur l’étendue de l’économie informelle en Tunisie et des facteurs explicatifs des comportements informels pour permettre d’orienter les politiques publiques et engager un plaidoyer national sur l’importance d’assurer la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle à travers le développement de données clés sur l’économie informelle (poids en termes d’emploi, d’entreprises, de déficits de travail décents et de vulnérabilités, de PIB, recettes fiscales manquées…,) et des orientations de politiques publiques.

Emploi : entre hausse et baisse

Grâce à l’utilisation de diverses sources de données statistiques (enquêtes auprès des ménages, recensements, données administratives), il a été possible de constituer une série statistique retraçant l’évolution de l’emploi informel sur la période 2005-2020.

Il convient de noter que le taux d’emploi informel a suivi une tendance à la baisse sur la période 2005-2011 avant d’amorcer une tendance à la hausse sur la période 2012-2015 et de s’inscrire de nouveau à la baisse au cours de la période 2016-2018. En effet, le taux d’emploi informel, qui a culminé à 34,4 % en 2005, est tombé à 27,5 % en 2010, a augmenté à 29,4 % en 2015 avant de retomber à 26,9 % en 2018.

Toutefois, une nouvelle tendance à la hausse, perceptible à partir de 2019, s’est poursuivie en 2020. Les difficultés sans précédent que les acteurs économiques ont dû affronter au cours de l’année 2020 occasionnées par les mesures de confinement prises par les autorités pour enrayer la propagation de la pandémie de la Covid-19 se sont traduites par une hausse de l’informalité, mais beaucoup plus faible que ce qui était attendu. En effet, les actions de protection sociale, prises comme réponse du gouvernement à la crise sanitaire, notamment celles ayant ciblé le secteur informel, au même titre que les travailleurs informels, auraient atténué dans une certaine mesure les impacts négatifs de la crise économique aiguë sur ces catégories de la population.

Il importe, par ailleurs, de rappeler qu’une recrudescence remarquable de l’informalité sur le marché du travail en Tunisie a été enregistrée lors d’une période critique de la transition démocratique. En effet, la période située entre 2012 et 2015 a été marquée par des remous politiques et une dégradation alarmante de la situation sécuritaire suite aux assassinats politiques de deux illustres figures de la gauche tunisienne en 2013 et aux attentats terroristes de 2015, plongeant le secteur touristique dans une profonde récession.

Niveau modéré d’informalité

L’étude souligne que l’environnement politique pourrait impacter la volonté des gouvernements à investir dans une collecte efficiente de ressources fiscales et par ricochet à sa capacité à détecter l’informalité. Elle a pu démontrer aussi que l’instabilité politique combinée à une forte polarisation sociale ou religieuse dans certains contextes serait associée à une forte étendue de l’économie informelle.

Pour notre pays, les estimations situent la Tunisie entre les taux enregistrés dans les pays développés (18 %) et ceux prévalant dans les pays émergents (67 %). Ce niveau plutôt modéré d’informalité sur le marché du travail tunisien serait cohérent avec le niveau élevé de couverture légale de la population active par les régimes d’assurance. L’inadéquation entre le niveau d’offre des régimes contributifs obligatoires et les besoins de la population active est considérée comme l’un des principaux déterminants de l’emploi informel.

L’étude suggère que les taux d’informalité au niveau du marché du travail ont tendance à être plus faibles dans les pays où la couverture légale du régime contributif vieillesse de la population en âge de travailler est élevée. En d’autres termes, cela démontre que les pays ayant fourni des efforts en termes d’extension des régimes contributifs de sécurité sociale en direction de l’économie informelle sont les plus disposés à enregistrer les taux les plus faibles d’emploi informel. Cela nous mène à dire que les pays en développement ayant créé une offre de régimes assurantiels pour les travailleurs non-salariés, à l’instar de la Tunisie, seraient lésés par la définition préconisée par l’OIT suite aux recommandations de la 17e Cist pour l’estimation de l’emploi informel.

En effet, l’approche de l’OIT recommande aux statisticiens de classer systématiquement les travailleurs non-salariés ayant des microentreprises et qui ne tiennent pas de comptabilité réelle, parmi les travailleurs informels, indistinctement du versement de cotisations à la sécurité sociale.

En conséquence, des pays qui ont fourni des efforts attestés pour l’extension de la sécurité sociale à l’économie informelle et notamment aux indépendants seraient clairement pénalisés au niveau des comparaisons internationales se rapportant à l’étendue de l’informalité sur les marchés du travail. D’ailleurs, ce constat s’applique et serait aussi pertinent pour le cas de la Tunisie.

La dimension âge de l’emploi informel

Le taux d’emploi informel est de loin plus élevé parmi les jeunes travailleurs (15-24 ans) et les travailleurs âgés (65 ans et plus) que parmi les travailleurs adultes (25-64 ans).

L’analyse des taux d’informalité en fonction de la structure d’âge de la population révèle que le phénomène de l’informalité serait clairement exacerbé parmi les jeunes populations qui viennent d’entrer sur le marché du travail. Les taux culminent à des niveaux élevés pour les groupes d’âge 15-19 et 20-24 ans, respectivement 81.4% et 46.5%. Cela peut indiquer que les jeunes populations sont plus susceptibles d’accepter des emplois précaires, de faible qualité, qui n’offrent pas de sécurité sociale.

Il convient également de noter que l’acceptation d’emplois informels serait un moyen pour les jeunes de participer au marché du travail, d’acquérir de l’expérience et, éventuellement, de trouver un emploi formel, car l’informalité diminue rapidement avec l’âge.

Les taux d’informalité sont inférieurs à la moyenne nationale pour les groupes d’âge entre 35 et 59 ans, et reprennent à nouveau par la suite à mesure que les individus prennent leur retraite.

Cette baisse des taux d’informalité constatée auprès des travailleurs se trouvant à moins de 25 années de l’âge légal de départ à la retraite pourrait être expliquée par un effort de rattrapage des salariés et non-salariés qui visent, à l’évidence, de maximiser leurs années de cotisation effective, en perspective d’une cotisation de retraite décente.

Qu’en est-il du statut ?

Les travailleurs indépendants représentaient 55,1 % de l’emploi informel total, tandis que leur part dans l’emploi total était d’environ 24 % en 2020. En effet, les niveaux d’informalité de l’emploi affectant les travailleurs indépendants dépassent de loin ceux estimés pour les travailleurs salariés. En 2020, le taux d’informalité des travailleurs indépendants a atteint 57,6%  contre seulement 16.1 % pour les salariés. Ce résultat se recoupe avec les faits stylisés sur l’économie informelle pour les pays en développement, en particulier dans la région MENA, qui révèlent que l’emploi informel est le plus fortement associé au travail indépendant. Cela signifie que les travailleurs indépendants en Tunisie sont particulièrement moins résilients que les travailleurs salariés et seraient donc plus exposés aux fluctuations macroéconomiques et aux aléas de la vie.

L’étude illustre clairement la dynamique de l’évolution du taux d’emploi informel au sein de l’économie non agricole, qui s’élevait à 22,9 % en 2020 contre 20,4 % en 2010 et 25,8 % en 2005. Le taux d’informalité dans le secteur agricole est particulièrement élevé, ayant atteint 54.6% en 2020 contre 61.8% en 2015 et 72% en 2005. Cette baisse remarquable de l’informalité de l’emploi dans le secteur agricole aurait été induite par l’extension de la couverture sociale légale et effective au profit des travailleurs salariés et indépendants occupant des emplois précaires et saisonniers au sein du secteur agricole.

L’emploi informel selon l’approche de l’INS

L’approche adoptée par l’INS est basée sur la collecte des informations sur les unités de production formelles et informelles à partir des réponses des travailleurs non-salariés, contrairement à la démarche embrassée pour le cas des enquêtes mixtes.

Les résultats pour l’année 2019 affichent un taux d’informalité sur le marché du travail en Tunisie de l’ordre de 44.8% qui correspond à un effectif global de travailleurs informels de 1.587,7 milliers. A cet égard, le taux d’informalité observée auprès des hommes distancie de loin le taux constaté pour les femmes, soit respectivement 49.5% et 31.9%. L’informalité prévalant au sein de l’économie non agricole est naturellement moins élevée, soit un taux de l’ordre de 38.3%.

L’un des résultats les plus saillants qui ressort de l’enquête de l’INS a trait à l’informalité selon le statut dans la profession. En effet, l’étude démontre que 87.6% des travailleurs indépendants occupent des emplois informels (97.7% pour les hommes et 79.6% pour les femmes) contre 30.6% pour les travailleurs salariés (33.6 pour les hommes et 23.2% pour les femmes). Les taux d’informalité des travailleurs indépendants sont ici de loin plus élevés que les niveaux retrouvés moyennant l’approche résiduelle qu’on adopte dans ce rapport.

Selon l’approche de l’OIT, tous les travailleurs indépendants travaillant pour leur propre compte ou détenant des entreprises de moins de 6 salariés ne tenant pas de comptabilité réelle sont systématiquement rangés parmi les travailleurs informels.

L’analyse de l’informalité par secteur d’activité confirme les résultats précédents que le secteur agricole serait l’un des réservoirs les plus importants d’emplois informels et affiche le taux d’informalité le plus élevé, en l’occurrence 85.6%, suivi du secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) qui enregistre un taux de 69.2%, des secteurs du commerce et du transport, respectivement 64.7% et 47.8%.

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