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Tribune | Racines linguistico-culturelles : Du feu vert à la Francophonie

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Par Professeur Mahmoud Dhaouadi *

La Francophonie en tant qu’héritage colonial

Les pays fondateurs de la Francophonie en 1970 n’étaient pas ni la France ni le Québec où le français est la langue maternelle. Ce sont la Tunisie, le Sénégal, le Niger et le Cambodge qui ont fondé l’Association de la Francophonie. Ils sont des pays qui ont été colonisés par la France. Les leaders de ces pays déclarent que l’usage de la langue française dans leurs propres sociétés fait leur union malgré que le français fasse partie de leur colonisation française : l’occupation militaire, la gouvernance politique, la culture agricole des terres par les colons et l’usage du français au lieu des langues /dialectes locaux. Ces leaders et leurs pays ont été engagés de se décoloniser de l’ensemble des aspects de la colonisation sauf la colonisation linguistique française et ses effets secondaires culturels. L’éducation scolaire de ces leaders est profondément française en langue et culture. Par exemple, Léopold Senghor avait étudié à la mission catholique à Ngasobli et au collège Liberman. En plus, il était ministre en France avant l’indépendance du Sénégal et était le premier Africain à siéger à l’Académie française. De sa part, Habib Bourguiba le président tunisien, a étudié à l’école Sadiquite où le français était la langue d’instruction et sa culture dominait la connaissance des élèves tunisiens. Aussi, le président nigérien Hamani Diori et le prince cambodien Norodom Sihanouk ont reçu une éducation à la française, d’où les fondateurs de la Francophonie étaient sérieusement motivés de se joindre à la Francophonie par cette éducation coloniale. Donc, les facteurs linguistico-culturels français coloniaux étaient des forces capitales derrière leur grande volonté d’établir la Francophonie.

L’absence de l’Algérie de la Francophonie

L’Algérie n’est pas membre de la Francophonie alors qu’elle était considérée un Département français par la France durant la colonisation française qui a fait un grand effort de démanteler l’identité linguistico-culturelle algérienne en commençant par sa politique hostile contre la langue arabe/nationale du peuple algérien. La naissance de la Francophonie a eu lieu alors que Haouari Boumedienne était président de l’Algérie. Contrairement à l’éducation primordiale francophone des quatre fondateurs de la Francophonie, Boumedienne avait reçu son éducation en Tunisie à l’école zeitountenne et en Egypte à l’école Azharite où la langue arabe est la langue d’instruction de toutes les matières dans ces deux écoles. En d’autres termes, le président algérien avait étudié dans des systèmes éducatifs où le confinement linguistique était en faveur de l’arabe, alors que les systèmes d’éducation des fondateurs de la Francophonie étaient des systèmes éducatifs où le confinement linguistique est en faveur de la langue et la culture françaises. La mise en vigueur de ce raisonnement linguistico-culturel est souvent marginalisée dans les analyses de la naissance du phénomène de la Francophonie en 1970.

Le désir différent des pays africains pour la Francophonie

A cause des données différentes, les pays africains n’ont ni le même désir ni une nécessité égale pour l’appartenance à la Francophonie. D’une part, les pays nord- africains ont la langue arabe en tant que langue nationale pour chacun de ces pays. D’autre part, plusieurs pays africains adoptent le français comme langue officielle parce qu’ils n’ont pas une seule langue nationale, d’où s’impose la nécessité de l’usage du français en tant qu’héritage colonial assez bien répandu à travers la population. C’est ainsi qu’il y a une différence entre ces deux groupes de pays africains concernant leur besoin pour l’usage du français en tant que moyen de communication sociale. C’est-à-dire, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie peuvent se libérer de l’usage du français et le remplacer par l’usage de l’arabe, leur langue nationale. Alors que le Sénégal et le Niger et les autres pays africains francophones se trouvent obligés de garder le plein usage du français. Ceci constitue à long terme une grande difficulté de se libérer de leur dépendance de la langue française en tant que langue officielle. Il s’agit ici d’un handicap linguistique majeur qui se manifeste par l’absence d’une langue nationale pour toute la population dans chaque pays. Cette dépendance linguistique permanente ne permettrait pas à ces sociétés africaines d’avoir vraiment la pleine indépendance qui demeure handicapée par le manque de la dimension linguistique qui est plus importante que l’indépendance militaire, politique et agricole parce que ceux-ci représentent la libération du corps alors que la libération linguistique constitue la libération de l’esprit ou ce que nous appelons L’Autre-sous développement (Lasd).

Le concept de LASD

L’appartenance à la Francophone renforce à la fois directement et indirectement la présence continue du phénomène de Lasd. Dans leurs analyses et études des phénomènes du sous-développement dans le tiers-monde, les spécialistes occidentaux et leurs partisans en sciences sociales ailleurs sont souvent portés à mettre l’accent sur les dimensions socioéconomiques du sous-développement. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les sciences sociales occidentales ont accumulé un corpus intellectuel énorme sur le sous-développement dont ses théories, ses hypothèses, ses concepts… sont principalement diffusés à travers des livres, des revues académiques et des rapports de recherche. Pourtant, nous n’y trouvons à peine aucune référence aux autres aspects de ce même sous-développement dans les pays du Sud. D’où vient notre intérêt en Lasd. Ce dernier est conçu en tant qu’un sous-développement psychoculturel. D’un côté, certaines manifestations psychologiques de Lasd pourraient être résumées dans le désir des citoyens des pays en développement d’imiter l’Occident, et dans la présence du syndrome de complexe d’infériorité face à celui-ci. De l’autre côté, les signes linguistico-culturels de Lasd se voient dans le fréquent usage des langues occidentales (l’anglais et le français en particulier), la dépendance considérable des sociétés du tiers-monde de la science ainsi que la connaissance moderne du monde occidental et la grande diffusion des valeurs culturelles occidentales dans ces sociétés. D’où Lasd est le résultat de la domination occidentale et impériale contemporaine des pays asiatiques, africains et latino-américains. Il s’agit d’un sous-développement qui découle d’un déséquilibre fort énorme de rapports de force entre les parties en question.

M.D.

(*) Sociologue

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