La Tunisie perd plus de 20 millions de dollars par an en raison des effets de la pollution plastique marine. Si nous n’agissons pas, en 2050, la mer contiendra plus de plastique que de poisson.
Le bassin méditerranéen est le deuxième lieu au monde le plus riche en termes de biodiversité : riche en diversité végétale avec plus de 25.000 espèces de plantes. Cependant, chaque minute, ce sont 17 tonnes de déchets plastiques, soit l’équivalent d’un camion poubelle, qui est déversé dans la mer. La pollution plastique, c’est 9 à 12 millions de tonnes de déchets plastiques qui vont à la mer chaque année. Conséquence : chaque année, 1,5 million d’animaux marins meurent à cause du plastique. En Méditerranée, l’on recense 1.400 espèces affectées. Si nous n’agissons pas, en 2050, la mer contiendra plus de plastique que de poisson.
En Tunisie, nous savons que nous nous retrouvons dans un contexte d’alerte rouge, celle du ravage de la pollution plastique en mer Méditerranée, ce joyau de la biodiversité. En effet, selon la WWF (2019), la Tunisie a déversé 8.500 tonnes de plastique en Méditerranée en 2016, dont 33% reviennent sur ses côtes en une année. Ces déchets plastiques s’orientent à 11% en fond marin, 33% en mer et se rejettent sur le littoral et 56% restent sur la surface de la mer.
La pollution par le plastique, une autre paire de manches
Même si la Tunisie n’est pas un grand producteur de plastique, elle subit les effets de la pollution plastique dans les zones côtières et marines. Le gouvernement tunisien a pourtant mis en place des actions pour atténuer ce problème, à travers Ecolef, un système public de récupération des emballages, géré par l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged). Mais des efforts supplémentaires sont encore nécessaires, car environ 80% seulement des déchets sont collectés (taux de collecte), dont 4% sont recyclés. Une étude du Fonds mondial pour la nature (WWF) estime que l’économie bleue de Tunisie perd plus de 20 millions de dollars par an en raison des effets de la pollution plastique.
La pollution du littoral et de la mer par les déchets plastiques peut causer diverses conséquences négatives, telles que les coûts élevés de leur élimination et du nettoyage des plages, les risques sur la santé publique (contamination des produits de la mer), etc. D’après la Fondation Heinrich Boll Stiftung (Atlas du plastique, 2019), les plastiques rejettent des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane et autres gaz à effet de serre) à tous les stades de leur cycle de vie.
Depuis l’extraction et le raffinage des combustibles fossiles jusqu’à l’élimination, l’incinération et le rejet potentiel des déchets dans l’environnement, en passant par les procédés énergivores permettant d’obtenir des résines plastiques.
En outre, la pandémie de Covid-19 a aggravé le problème de la pollution marine par le plastique en Tunisie, en raison d’une utilisation accrue des masques, des équipements de protection individuelle, des emballages à usage unique, et en l’absence d’une gestion adéquate de ces déchets. De même, la masse de déchets augmente car de nombreuses activités de recyclage ont été temporairement interrompues en raison de la conjoncture pandémique.
Une biodiversité menacée
Les écosystèmes marins tunisiens se distinguent par une flore assez riche, mais encore peu étudiée. Selon les chiffres, on connaît environ 164 espèces de microphytes et 400 espèces de macrophytes benthiques. Celles-ci sont moins menacées que celles des peuplements des herbiers de Posidonie et les peuplements de Cystoseira. Les ressources halieutiques sont, donc, bien connues et le bilan actuel de la biodiversité marine fait état de 3.480 espèces, réparties sur 15 groupes et représentant environ 45% de la biodiversité méditerranéenne. Le nombre des espèces exotiques ne cesse d’augmenter, atteignant 191 en 2018. On recense actuellement près de 55 espèces menacées. Cette biodiversité offre environ 190 espèces ciblées par la pêche, locale et étrangère.
Pour sa part, le peuplement des vertébrés est composé de mammifères marins dont le phoque moine, qui semble avoir totalement disparu de nos eaux, les oiseaux marins assez nombreux (notamment dans le golfe de Gabès), les tortues marines qui sont protégées, les poissons cartilagineux (59 espèces) et les poissons osseux (227 espèces en Tunisie sur 532 en Méditerranée). Enfin, le reste de la faune marine est assez mal connue, notamment le zooplancton et le peuplement des invertébrés (éponges, mollusques, crustacés, échinodermes, etc.). Cependant, la biodiversité marine d’une manière générale apparaît, à de multiples endroits, surexploitée et dégradée.
S’ajoute à cela l’aridité du climat caractérisant la Tunisie qui fragilise encore plus les ressources marines, les rendant d’autant plus précieuses, aussi bien d’un point de vue patrimonial qu’économique. Deux de ces ressources semblent, aujourd’hui, menacées alors qu’elles jouent un rôle primordial pour l’équilibre des milieux naturels et la stabilité du tissu socioéconomique : les herbiers de phanérogames et de Posidonies et les ressources halieutiques.
Par ailleurs, malgré une hausse de la production, des signes de surexploitation témoignent de la fragilisation de l’état des stocks halieutiques. Avec une production annuelle totale d’environ 130.000 t déclarées, le secteur de la pêche fait vivre directement ou indirectement 100.000 personnes. Selon l’Institut national des sciences et technologies de la mer (Instm), les stocks exploitables dans une optique de gestion durable s’élèveraient à environ 150.000 t. Ce chiffre pourrait indiquer un état de surexploitation des stocks car il est généralement admis que les tonnages déclarés comme étant pêchés ne reflètent pas la réalité des prises annuelles et un facteur 1,5 est généralement appliqué (soit autour de 180.000 t).
Le dernier rapport mondial de l’Unic soulignait déjà que l’extinction de la biodiversité n’était plus une menace mais un processus bien installé. Nous devons donc entendre comme un même phénomène autant l’alarme des méga-feux que le silence des oiseaux qui s’installe dans nos campagnes, dans nos forêts et aussi surmonter l’apathie quand ce n’est pas le déni face à la tragédie sous les mers qui se joue notamment autour des grands récifs coralliens et avec cet effondrement qui menace non seulement la survie humaine qui est en jeu mais c’est aussi la beauté, la poésie, la diversité du monde qui risquent de s’évanouir.
Dans son dernier rapport sur «L’économie bleue en Tunisie, opportunité pour un développement intégré et durable de la mer et des zones côtières : éléments de cadrage stratégique», la Banque mondiale a consacré un chapitre entier à la préservation des atouts naturels et la gestion de la pollution dans notre pays, étant donné que les problèmes environnementaux menacent la viabilité de la croissance économique et sont générateurs de tensions et de protestations populaires (en 2019, pas moins de 250 protestations locales à caractère environnemental ont été recensées).
L’empreinte écologique de la Tunisie accuse aussi une détérioration continue. Alors qu’elle était de 0.9 gha/personne au milieu des années 1960, elle est passée à 2.19 gha/personne pour l’année 2016; enregistrant ainsi un déficit écologique de l’ordre de 1.5 gha/personne.
Des signes inquiétants
L’artificialisation des rivages par l’effet de l’urbanisation, localement non respectueux des exigences du milieu, associé à des phénomènes météorologiques exceptionnels, a causé une érosion et une régression du littoral, régulières et plus ou moins prononcée, dans certaines localités comme Hammamet, Djerba… En effet, les changements climatiques et particulièrement les risques d’élévation du niveau de la mer constitueraient dans l’avenir de graves menaces sur cette frange fragilisée et tant convoitée. En effet, l’Atlas de la vulnérabilité, édité par le Pnud et l’Agence de protection de l’environnement (Apal) en 2015, fait état que 44% des côtes tunisiennes sont considérées vulnérables à fortement vulnérables et 24% sont considérées moyennement vulnérables à une élévation du niveau de la mer et aux risques de submersion et d’érosion.
Par ailleurs, l’étude indique que plusieurs formes de pollution marine persistent encore en Tunisie : elles sont de différentes dimensions, de la plus petite en provenance de petites agglomérations urbaines ou de petites unités industrielles disparates, jusqu’aux plus grandes, affectant des écosystèmes entiers, le cas du golfe de Gabès.
A titre d’illustration, les nutriments rejetés par le secteur industriel au bord du littoral, ou en relation avec celui-ci, constituent une pression significative sur les équilibres littoraux et marins.
Ils se matérialisent essentiellement à travers la DBO (Demande biochimique en oxygène), l’azote et le phosphore. Les rejets de DBO pour l’ensemble des unités industrielles, après une diminution significative en 2008 par rapport à 2003, ont connu une nette augmentation au cours de l’année 2018, dépassant les 16.500 t.
C’est au niveau des gouvernorats du littoral de Nabeul (Cap Bon), Sfax (Centre)), Sousse(Sahel), Ben Arous et Ariana (Grand Tunis) qu’on observe les augmentations les plus significatives. Les deux régions de Sfax et de Gabès ( Sud ) apparaissent de loin les plus grands émetteurs de métaux lourds en mer. Elles ont rejeté, rien que pour l’année 2003, respectivement 678 et 2.141 t.
Grâce au suivi des rejets telluriques en mer et à la pollution marine d’une manière générale, le réseau de surveillance de la qualité des eaux de baignade, géré par le ministère de la Santé (Dhmpe), fait apparaître, pour l’année 2020, que 10% des eaux de baignade des plages tunisiennes sont de mauvaise à très mauvaise qualité, 20% présentent un état critique et nécessitent un suivi rapproché et 15% sont de qualité assez bonne.
En effet, le taux des déchets plastiques mal gérés est estimé en Tunisie à 60%. Ce taux reflète les lacunes du système actuel de gestion de déchets. Ce constat peut permettre d’identifier des problèmes potentiels qui concernent la capacité limitée de la collecte et du traitement de déchets, les lacunes organisationnelles, financières et logistiques des autorités locales, les législations qui ne sont pas toujours adaptées aux besoins de protection de l’environnement et la technologie existante peu développée et peu maîtrisée.
Aussi, la côte tunisienne connaît un flux quotidien de plastique supérieur à la moyenne, avec 9,5 kg de plastique par km de côte chaque jour, alors que la moyenne en Méditerranée est de 5,1 kg par km de côte. Ainsi, la pollution totale déversée sur le littoral tunisien représente 3% de la pollution totale du littoral méditerranéen. Forte de ces constats, la Tunisie a engagé la préparation de sa Stratégie littorale sans plastique (Lisp) en vue de réduire la pollution marine par le plastique et de promouvoir des approches basées sur l’économie circulaire.
On constate certes l’ampleur des dégâts causée à notre Méditerranée mais on ressent aussi cette forte énergie qui émane des acteurs de la société civile et de l’engagement des gouvernements, des peuples autochtones et des bailleurs de fonds, à changer la donne et renverser la vapeur. C’est une régression qui sera tragique pour l’humanité si nous ne réagissons pas parce que la diversité du vivant, c’est aussi la diversité du langage, c’est aussi la diversité des cultures, c’est aussi le monde de la création.