
Le projet de reconvertir la gare de Sejnane en un musée vivant de la poterie modelée peut donner une nouvelle vie et une belle visibilité aux artisanes de cette localité dont le travail a été classé en 2018 sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco
La gare de Sejnane vient d’être classée par le ministère de la Culture, un acte entériné par la publication de cette décision au Journal officiel le 3 janvier dernier. La nouvelle réjouit particulièrement l’ethnologue Nozha Sekik, qui a longtemps milité pour sortir de l’ombre les potières de Sejnane (elle a publié un livre à ce propos) et pour la mise en valeur de la gare de ce village, connu pour ses richesses minières et céréalières, situé au nord de la Tunisie.Témoignage de l’architecture coloniale, la gare, qui s’étend sur une superficie de 1.000 m2, a été construite en 1912.
Si ce monument a été classé à l’unanimité par la commission ministérielle chargée de cette mission, c’est aussi grâce au travail des étudiants en architecture de l’Université Ibn-Khaldoun, qui en ont fait un projet de fin d’études, élaborant des plans et des relevés du site et adoptant l’idée de Nozha Sekik pour recommander la conversion de ces lieux de mémoire et d’histoire en un musée de la poterie.
Une opportunité pour les artisanes
Dès leur installation en Tunisie au dix-neuvième siècle, les colons français ont choisi de créer des voies d’accès traversant tout le pays pour exploiter ses ressources en tous genres. Les rails et les gares ont ainsi constitué la raison d’être de plusieurs nouveaux villages de la Tunisie du début du vingtième siècle. D’ailleurs la création même du village de Sejnane était en partie le fruit de ce mouvement de colonisation agricole très importante dans la riche région nord-ouest de la Tunisie.
C’est de cette façon et grâce au développement engendré par la construction de sa gare que Sejnane s’est peu à peu urbanisée en accueillant la ligne ferroviaire de Mateur/Tabarka, permettant ainsi le transport des minerais de la mine de Tamra vers Mateur et Tunis, puis celui des céréales, quasi seule richesse agricole de la région, vers Mateur et Tabarka.
«Au-delà de son caractère architectural prototypique des gares de ce style et de son relativement bon état de conservation, ce monument mérite toute l’attention pour au moins deux raisons majeures : la gare abrite dans son environnement immédiat une installation métallique, utilisée auparavant pour le transfert des produits miniers et céréaliers qui constitue un patrimoine technique et industriel remarquable et une valeur ajoutée au monument. La gare de Sejnane est également le lieu de préservation d’un patrimoine naturel et écologique grâce à la réserve ornithologique des cigognes», détaille Nozha Sekik.
Toutes ces raisons réunies ainsi que son emplacement stratégique au centre même de la ville de Sejnane et sa proximité des équipements administratifs, urbains et commerciaux justifient l’intérêt crucial du classement et de la sauvegarde de ce monument.
En novembre 2018, la poterie modelée de Sejnane a été classée sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Or, depuis cet événement, rien n’a été fait par les autorités pour améliorer la visibilité de ce savoir-faire ancestral transmis de mère en fille depuis des générations. Rien n’indique à l’entrée du village ce classement prestigieux, et en l’absence d’un espace respectable pouvant réunir les artisanes, les femmes continuent à vendre leurs produits sur la route.
«La gare pourrait contribuer, à travers sa restauration et sa possible reconversion en musée vivant de la poterie modelée en Tunisie, à la mise en valeur et à la sauvegarde de ce savoir-faire artisanal local. L’espace extérieur qui entoure la gare présente une potentialité paysagère et socioéconomique susceptible d’améliorer les conditions de vie de toute la population de Sejnane. Notamment celle des jeunes générations et des femmes potières, en abritant des espaces d’exposition, de vente de poteries et de produits du terroir, tels que le miel, le beurre et le pain tabouna, ainsi que des espaces de repos, de détente et d’orientation touristique», explique encore Nozha Sekik.