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Pêche artisanale : Bientôt un projet de protection sociale

 

La protection sociale a pour mission essentielle, entre autres, de faire bénéficier les pêcheurs d’une assistance prévisible et régulière qui soit de nature à permettre aux ménages de gérer les risques et les facteurs de vulnérabilité sociaux et économiques et à leur donner les moyens de faire face aux chocs liés à l’activité humaine ou aux phénomènes naturels.

Les moyens d’existence des pêcheurs artisanaux sont ébranlés par toute une série de facteurs politiques, institutionnels, économiques et environnementaux qui mettent en péril la rentabilité et la viabilité du secteur dans toute la région de la Méditerranée. S’il est vrai que ces facteurs trouvent parfois leur origine dans des choix plus généraux opérés dans les sphères géopolitique et économique, une intervention stratégique axée sur la protection sociale peut être déterminante pour veiller au bien-être des pêcheurs artisanaux et atténuer l’extrême pauvreté et les privations.

Partant de ce constat, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Centre des recherches et d’études sociales (Cres), relevant du ministère des Affaires sociales, viennent de collaborer ensemble dans le cadre du projet «La protection sociale des pêcheurs artisans en Tunisie : vers une meilleure couverture sociale». Financé par l’Agence norvégienne de coopération au développement (Norad), ce projet s’inscrit dans un projet international plus large, relatif à l’utilisation responsable des ressources de la pêche et de l’aquaculture pour le développement durable. La composante 4, consacrée à la protection sociale pour la pêche des pêcheurs artisans et l’aquaculture, est mise en œuvre en Tunisie, mais aussi en Colombie et au Paraguay.

Quels défis à relever ?

Dans son rapport sur la protection sociale et la pêcherie artisanale intitulé « Rapport sur la protection sociale et les pêcheries artisanales dans la région de la Méditerranée », la FAO estime le nombre de pêcheurs artisans en Tunisie à près de 36.000. Ces derniers font face à de grands défis et/ou facteurs inhibants à l’instar de la faible couverture de la protection sociale à l’échelle nationale et l’absence de systèmes de protection sociale universels, l’inadéquation entre les modalités du système de sécurité sociale et les réalités du secteur de la pêche artisanale, la modicité des données sur le secteur et la nécessité de définir plus précisément la pêche artisanale pour orienter l’action des pouvoirs publics, les capacités institutionnelles limitées, l’exclusion de la main-d’œuvre étrangère des services de protection sociale… Donc, outre la  faible couverture de protection sociale à l’échelle nationale, ce secteur est marqué aussi par l’absence de prestations universelles.

En effet, en l’absence d’une couverture sociale nationale généralisée — en particulier s’agissant de la sécurité sociale —, il peut être difficile de renforcer les prestations destinées à certains sous-groupes vulnérables. La plupart des régimes d’assurance sociale ne sont accessibles qu’aux travailleurs du secteur structuré, et l’assistance sociale est extrêmement limitée et ne cible pas spécifiquement les pêcheurs artisanaux. Le fait est qu’il est plus facile d’élargir la protection existante si les principales institutions chargées d’assurer la protection sociale collective sont déjà en place, plutôt que de mettre en avant des prestations dans le secteur de la pêche artisanale sans ces institutions.

« Lorsque l’idée des prestations universelles est acceptée et appliquée, comme en Égypte, les pêcheurs artisanaux et les populations les plus pauvres sont en mesure de bénéficier de ces services, généralement en échange d’une cotisation fixe accessible à tous les inscrits. En revanche, lorsque l’accès aux prestations est rigoureusement limité, comme au Liban, où seuls les travailleurs agricoles à plein temps peuvent bénéficier du régime national, il est plus difficile de veiller à ce que les besoins des pêcheurs soient satisfaits… De la même manière, l’amélioration possible des prestations destinées aux pêcheurs artisanaux a plus de chances de se concrétiser dans des conditions où il existe déjà un régime pour ce groupe, qu’il soit adapté ou non, et où l’importance d’élargir la protection aux pêcheurs artisanaux est reconnue. Dans ces cas de figure, il conviendrait de développer le système en général pour que les pêcheurs artisanaux puissent en profiter», souligne le rapport.

A ce niveau, le document constate une inadéquation entre les modalités du système de sécurité sociale et les réalités du secteur de la pêche artisanale. En effet, une des grandes difficultés liées à la protection sociale des pêcheurs artisanaux a trait aux modalités définies dans le modèle de sécurité sociale dominant, qui ne sont pas compatibles avec les revenus modestes, variables et irréguliers des travailleurs du secteur et le fait que leurs activités relèvent de l’économie non structurée.

Toutes ces caractéristiques devraient donc être prises en compte lors de la conception des systèmes, et des mécanismes de subventions croisées — par lesquels les indemnités accordées aux membres du secteur de la pêche artisanale, qui cotisent moins que ce qu’ils ne reçoivent, sont subventionnées par d’autres cotisants — doivent être prévus dans le cadre du fonds social ou des subventions externes.

Un secteur non structuré

Le caractère non structuré des activités de la pêche artisanale est à l’origine de l’exclusion des pêcheurs artisanaux des programmes de sécurité sociale, et seuls la régularisation du secteur ou un système compatible avec leur situation leur permettront d’y avoir accès. Les initiatives menées à cette fin en Égypte, au Maroc et en Tunisie ont donné des résultats variables. Il convient néanmoins de noter qu’un système dans lequel les travailleurs du secteur non structuré, y compris les pêcheurs artisanaux, peuvent en principe cotiser au fonds social en réalisant des paiement fixes (correspondant par exemple à un pourcentage du salaire minimum) ne garantit pas nécessairement l’inclusion des travailleurs non enregistrés ou de ceux qui n’ont pas les moyens de payer des cotisations régulières (même fixes).

En Tunisie, la loi de 2002 a élargi la protection sociale aux pêcheurs artisanaux du secteur non structuré, y compris aux pêcheurs à pied, mais ces derniers n’ont malheureusement pas été en mesure d’en profiter étant donné qu’il n’existait pas de mécanisme institutionnel facilitant leur inscription au fonds social, et qu’ils n’avaient pas les moyens économiques de payer les primes régulièrement. La législation n’a donc pas abouti à une protection réelle pour ce sous-groupe, et une bonne partie des travailleurs pauvres et non déclarés du secteur non structuré demeurent, dans les faits, exclus du régime en place.

L’enregistrement, de même que la simplification et le respect des modalités de cotisation, sont des contraintes majeures qui continuent de faire obstacle à la protection sociale dans un secteur essentiellement non structuré. C’est particulièrement vrai en cas de flux importants dans le secteur, par exemple lorsque les pêcheurs travaillent sur différents navires et à différents endroits ou quand leur stratégie de subsistance fait qu’ils s’incorporent au secteur ou l’abandonnent en fonction des saisons. Cela fait maintenant plus d’une décennie, depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2002, que la Tunisie tente de régler le problème.

Des revenus irréguliers

Outre les difficultés associées à l’inscription des pêcheurs et au caractère non structuré de leurs activités, les revenus modestes, variables, saisonniers et irréguliers constituent également un frein majeur à la participation des pêcheurs artisanaux aux programmes de protection sociale étant donné qu’ils ne sont pas en mesure de réaliser des versements réguliers et de payer la cotisation minimale requise pour bénéficier des prestations.

La Tunisie a entrepris de stimuler la participation des pêcheurs artisanaux en modifiant les lois de 1960 pour les rendre plus inclusives, en simplifiant les modalités de cotisation et en réduisant les exigences à cet égard pour les pêcheurs artisanaux travaillant sur des navires de moins de 5 mètres. L’instauration de conditions spéciales pour les pêcheurs artisanaux n’a cependant pas suffi car la protection sociale demeurait subordonnée au paiement de 25 jours de cotisation chaque mois pour les prestations à court terme, et à un minimum de mois de cotisation pour la pension de retraite.

Ces critères d’admissibilité ne sont pas compatibles avec les revenus irréguliers des pêcheurs, qui sont influencés par des facteurs externes tels que les conditions météorologiques et la disponibilité saisonnière des stocks de poissons.

A cet égard, l’obligation de payer des cotisations mensuelles régulières, un des grands axes des systèmes d’assurance sociale traditionnels, empêche dans les faits de nombreux pêcheurs artisanaux de recevoir certaines prestations, même s’ils peuvent théoriquement y prétendre et sont inclus dans le système, comme au Maroc et en Tunisie.

« Les prestations subordonnées au paiement régulier de cotisations au cours du trimestre précédent, par exemple, ou d’un minimum de cotisations mensuelles sur une période de dix ans, peuvent être inaccessibles pour ceux qui ne sont pas en mesure de verser des cotisations tous les mois. Les modalités de cotisation du modèle de sécurité sociale adopté dans plusieurs pays ne sont donc pas adaptés aux particularités propres aux revenus du secteur de la pêche artisanale, qui sont informels, irréguliers et saisonniers et qui connaissent de fortes variations», souligne le document.

Deux solutions possibles

Désireuse d’éliminer ces obstacles à la participation, la Tunisie se penche actuellement sur une réforme structurelle du programme de sécurité sociale aux fins de son adaptation à la variation des revenus et à la mobilité de la main-d’œuvre (sur les bateaux, dans les ports et même entre différents moyens d’existence). Deux solutions possibles consistent à autoriser les cotisations annuelles déterminées à partir du revenu moyen ou estimé, ou à tolérer les suspensions de paiement. Cela étant, accorder ces exceptions aux pêcheurs artisanaux supposerait de modifier fondamentalement les principes qui sous-tendent le modèle international de sécurité sociale.

Au Maroc et en Tunisie, on craint par exemple que ces changements en faveur des travailleurs de la pêche artisanale ne poussent d’autres groupes de travailleurs plus importants du secteur non structuré, comme les travailleurs agricoles, dont les revenus connaissent aussi des variations saisonnières, à exiger une dérogation plus générale, ce qui menacerait la viabilité du modèle de sécurité sociale de base.

La nécessité de subventionner la participation

Le financement de la sécurité sociale est un autre aspect majeur qui requiert un traitement exceptionnel pour les pêcheurs artisanaux, leurs revenus étant souvent trop faibles pour que leurs cotisations financent des prestations suffisantes.

Une solution peut être de recourir aux subventions croisées, comme au Maroc — où d’autres groupes de travailleurs subventionnent les indemnités accordées aux pêcheurs artisanaux et où ces derniers jouissent du meilleur rapport prestations/cotisations de tous les bénéficiaires du programme —, ou d’accorder directement des subventions aux bénéficiaires du secteur de la pêche artisanale, comme l’envisage la Tunisie.

L’Égypte, elle, permet aux pêcheurs artisanaux de participer à des programmes subventionnés destinés à tous les travailleurs du secteur non structuré aux revenus modestes. Un régime fondé sur de faibles cotisations et des prestations plus avantageuses, indispensable pour permettre aux travailleurs les plus pauvres du secteur de la pêche artisanale de participer et les encourager à le faire, nécessiterait davantage de subventions publiques.

«Il y a une possibilité d’augmenter les subventions croisées ou le financement public de la protection sociale, en particulier dans les situations où la solvabilité du fonds social est déjà menacée… Les difficultés actuelles se traduisent par une diminution des prestations dans au moins un des pays à l’étude, et l’insolvabilité du fonds social et du fonds d’assurance-maladie en Tunisie entraîne une réduction des prestations de sécurité sociale et, par conséquent, de l’incitation à participer », explique encore l’étude.

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