Accueil Economie Supplément Economique Marché du travail en Tunisie – Analyse | Les enjeux d’activation de la politique d’emploi en Tunisie

Marché du travail en Tunisie – Analyse | Les enjeux d’activation de la politique d’emploi en Tunisie

Par Moez Soussi, expert en évaluation des politiques économiques et des projets


La Tunisie a été toujours marquée par des niveaux élevés du taux de chômage. Les statistiques affichent un taux de chômage moyen, durant 2011-2020, de 15.8%. Le taux de chômage enregistré durant le deuxième trimestre 2022 est de 15.3%. Au troisième trimestre 2020, le nombre des chômeurs est de 676.600 dont 40.5% sont des femmes. Les taux de chômages sont particulièrement élevés pour les femmes avec 20.5% contre 13.1% pour les hommes. Le nombre de chômeurs de moins de 30 ans représente presque la moitié de l’ensemble des chômeurs (51%). Quant aux diplômés de l’enseignement supérieur, les taux sont remarquablement élevés avec 17.6% pour les hommes et 40.7% pour les femmes. Sur le plan territorial, les disparités des taux de chômage par région sont très remarquables allant du simple au double entre les régions du Nord-est et de l’Est, d’une part, et les régions du Sud et de l’Ouest, d’autre part.

La littérature économique ne fournit pas une seule explication aux dysfonctionnements d’emploi, d’autant plus que les solutions ne peuvent pas être rangées dans un seul paradigme théorique. Selon les classiques et néoclassiques, le problème s’attache à une faiblesse de la capacité de production, à l’insuffisance de l’offre et à la présence de rigidités. La solution est donc à chercher dans le progrès technique, les gains de productivité et dans la flexibilisation des rapports contractuels. En revanche, l’optique keynésienne s’attache plutôt à l’insuffisance de la demande solvable. De ce point de vue, l’Etat devrait manipuler des politiques économiques conjoncturelles adéquates permettant de créer les conditions d’un climat d’affaires favorisant l’investissement, la croissance et donc l’emploi. Le courant institutionnalo-organisationnel met en évidence le rôle des syndicats et des négociations salariales. La théorie des négociations salariales traite des relations entre actions des syndicats et décisions des firmes.

La persistance du chômage trouve encore son explication dans la rigidité réelle causée par une lenteur d’ajuster le salaire réel à la productivité, dans la rigidité nominale à la suite de la non-indexation prix-salaire et dans le phénomène d’hystérèse. Ce dernier implique que les niveaux élevés du taux de chômage enregistrés au passé affaiblissent les capacités de l’économie à cause d’apparition de travailleurs découragés et d’aggravation du chômage structurel.

Dans cette diversité d’explications selon les courants de la pensée économique, le cas tunisien semble souffrir de tous les maux. En effet, au niveau de l’offre, l’appareil productif n’arrive pas à créer des emplois qui répondent aux attentes de quelque 70.000 nouveaux diplômés injectés annuellement dans la population active. Les politiques économiques peinent à élaborer et à appliquer le modèle de croissance le plus approprié et tardent à engager les réformes structurelles luttant contre l’informalité, l’évasion fiscale et la corruption. La demande à son tour, notamment par sa composante investissement et exportation, n’arrive pas à jouer son rôle de locomotive de croissance. Après 2011, plusieurs sources d’instabilités, politique et sociale, sont à l’origine des grandes difficultés économiques.

La présence des taux de chômage élevés n’a pas empêché d’avoir un nombre d’emplois non pourvus élevé et croissant. Cette situation implique l’existence des difficultés d’appariement et l’aggravation du taux de chômage structurel. L’objectif de cette note politique est de toucher de près le dispositif institutionnel et organisationnel de l’intermédiation sur le marché du travail, afin de pouvoir dégager certaines incohérences existantes entre les opérateurs publics et privés et les employeurs. Ces incohérences pourraient expliquer le très faible rendement en emploi des Pamt. A la fin, certaines solutions seront proposées en vue d’atteindre une meilleure efficacité des Politiques d’activation du marché du travail (Pamt) en Tunisie.

Intermédiation sur le marché national

L’intermédiation dans le cadre de politiques publiques d’emploi a, depuis plusieurs années, adopté un programme comportant un ensemble de mécanismes et d’outils dans le cadre de politique active d’emploi. Généralement, les Pamt sont destinées à aider les chômeurs à retrouver un emploi. Elles comprennent les services de placement, l’administration des prestations de chômage et les programmes du marché du travail tels que la formation et la création d’emplois.

Les Pamt recommandent, dès leur apparition au début des années 1960, des investissements dans le développement des ressources humaines, les stratégies pour la création d’emplois et l’amélioration des conditions de travail. Pour assurer une meilleure insertion, il est recommandé de faciliter la mobilité géographique, l’accès à l’information, la prévision des besoins de main-d’œuvre, l’emploi des groupes marginaux et la mise en place de programmes de protection du revenu pendant le chômage.

L’Aneti et son réseau

Le service d’intermédiation est assuré principalement comme déjà indiqué par l’Agence nationale de l’emploi et du travail indépendant (Aneti) et son réseau. L’intermédiation est assurée entre les demandeurs d’emploi, primo ou autres, et les entreprises privées. Le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Mefp) élabore le cadre et les programmes d’action pour l’appui à l’insertion et à la réinsertion, mais le manque de moyens en ressources humaines pour l’application des programmes d’appui à l’emploi moyennant les formations complémentaires, l’accompagnement, les actions personnalisées, les déplacements et visites à l’entreprise, cause un grand décalage entre ce qui est fait et ce qui est demandé.

Dans certains cas, les programmes d’appui à l’emploi sont élaborés sans qu’il y ait suffisamment d’évaluation approfondie permettant de dépasser les lacunes et les incohérences d’anciens programmes. Les consultations auprès des spécialistes exécutant l’intermédiation ne sont pas assurées à temps. Selon plusieurs avis, il ne suffit pas de trouver les fonds dédiés à un programme pour le réussir. Il faut essentiellement étudier son adéquation avec les impératifs de l’emploi et ne pas viser au premier rang des objectifs sociaux ou politiques. La réussite des programmes d’activation des politiques est encore tributaire de la disponibilité des moyens en ressources humaines appropriées et en logistiques matérielles nécessaires.

Des incohérences peuvent exister entre certains programmes. L’absence d’une bonne stratégie d’évaluation de l’action publique est à l’origine de décisions qui risquent d’altérer l’emploi au lieu de le renforcer. A titre d’exemple, le programme «Karama», qui garantit un revenu de 600 DT pour un nouveau stagiaire, engendre une incohérence à l’intérieur de l’entreprise qui paye moins de ce salaire à ses employés titulaires.

Des disparités existent encore dans l’exécution des programmes d’appui qui diffèrent d’un bureau à un autre. Cela dépend du nombre des conseillers à l’emploi, des spécialistes dans les Techniques de recherche d’emploi (TRE) et même de la disponibilité des salles de conférences et de la logistique pédagogique. Généralement, les bureaux d’emploi trouvent des difficultés à exécuter le programme TRE, à assurer l’accompagnement et à offrir un encadrement nécessaire pour une meilleure insertion.

A travers des contacts directs avec les Neet en Tunisie dans quatre gouvernorats (Kairouan, Gafsa, Sidi Bouzid et Monastir), l’intéressement des primo-demandeurs d’emploi aux TRE et aux programmes de formation a remarquablement diminué durant les dernières années. Un manque de confiance des candidats dans le processus de placement à l’emploi des bureaux est constaté à cause du très faible rendement d’emploi et de l’apparition des comportements pervers tels que la corruption et le favoritisme.

Avec l’accroissement de la durée moyenne du chômage et l’avancement de l’âge des candidats, les bureaux d’emploi, notamment le Bureau national d’emploi des cadres et le Bureau régional d’emploi des cadres (Bnec et Brec), se trouvent face au problème supplémentaire de découragement et de refus de l’apprentissage complémentaire.

Par ailleurs, il y a lieu de souligner que les compétences intrinsèques des demandeurs d’emploi restent déterminantes pour mener à bien l’expérience d’intégration à l’emploi. Les bureaux d’emploi et les institutions d’intermédiation sont aujourd’hui dépassés par une élite des jeunes qui s’orientent directement à l’étranger, soit pour continuer les études supérieures, soit pour chercher un contrat de travail moyennant les chasseurs de têtes et les contrats de travail à distance. Pour les moins chanceux, c’est l’émigration clandestine qui, malgré tous les risques, représente le chemin vers la terre promise.

Les agences d’intérim

Concrètement, à côté de l’Aneti, il y a les agences qui assurent un rôle important de placement d’emplois temporaires sur le marché national. Les primo-demandeurs d’emploi et autres peuvent avoir recours aux services de ces agences. Fonctionnellement, ces agences acceptent toutes les catégories des demandes sans exclusion. Elles répondent à des besoins spécifiques et précis des entreprises et offrent des chances pour des primo-demandeurs pour qu’ils acquièrent de l’expérience et capitalisent des compétences professionnelles.

Par rapport au contexte réglementaire et afin de pallier les lacunes législatives, les agences d’intérim dans le cadre d’une fédération spécialisée à l’Utica ont lancé une tentative d’amorcer un dialogue autour de la convention C181 du BIT portant sur les agences d’emploi privées. Il faut signaler que la Tunisie n’a pas ratifié cette convention à la suite de la résistance des opérateurs sociaux. De leur côté, les agences d’intérim se voient totalement légales et ne posent aucun problème juridique.

Intermédiation sur le marché  international 

Les opérateurs institutionnels concernés par l’intermédiation internationale sont l’Aneti internationale, les AEP (Agence d’emploi privée) et l’Atct (Agence tunisienne de coopération technique).

L’Aneti internationale

La stratégie de l’Aneti internationale s’oriente vers le placement à l’étranger de certains primo-demandeurs d’emploi qui pourraient détenir les qualifications professionnelles exigées mais sans nécessairement disposer de l’expérience. Le fort taux de chômage et la saturation de l’offre nationale pour certaines catégories, telles que dans l’enseignement et les services de santé, imposent l’urgence de chercher des solutions à l’étranger.

Actuellement, il y a une volonté de l’Etat de restructurer le paysage institutionnel chargé du placement à l’international. L’Atct, qui est sous la tutelle du ministère de l’Economie et de la Planification, devrait être une structure du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle pour assurer la fluidité et la coopération entre l’Aneti et l’Atct.

En vue d’améliorer sa capacité d’intermédiation, l’Aneti Internationale devrait renforcer le nombre des attachés à l’emploi dans toutes les ambassades des pays de destination tels que les pays du Golfe, certains pays de l’Europe (Italie, Allemagne, France) et le Canada.

Agences d’emploi privées (AEP)

Actuellement, les AEP agréées par le Mefp sont au nombre de 24. Elles sont régies par le décret n°2010-2948 du 9 novembre 2010, fixant les conditions, les modalités et les procédures d’octroi de l’autorisation d’exercice par des établissements privés d’activités de placement à l’étranger. Les principales conditions à respecter concernent la nécessité d’intervenir dans l’intermédiation internationale, de disposer d’un local approprié, de payer une caution de garantie, de respecter le principe de gratuité du service, de protection des données individuelles et des droits universels de travail vis-à-vis les demandeurs d’emploi et de soumettre après chaque fin d’année civile un rapport d’activité au Mefp. Les AEP sont autorisées à réaliser les contacts et les études nécessaires pour la prospection et l’identification des demandes et des offres d’emploi. Elles peuvent encore accorder des formations complémentaires aux candidats afin d’augmenter leurs chances à l’emploi. Le Mefp, étant l’organe de tutelle des AEP, assure le contrôle et veille à l’application de la loi.

Le décret 2010 est venu pour créer un corps hybride qui n’est pas autorisé à assurer toutes les fonctions d’un bureau privé d’emploi. En effet, l’intermédiation sur le marché local est interdite. Plusieurs difficultés sont rencontrées par les AEP et qui se traduisent négativement sur leur capacité d’intermédiation, à savoir :

– la disproportionnalité entre les moyens disponibles et les exigences d’une intermédiation sur un marché distant et très exigeant

– le manque d’appui par le ministère de tutelle en ce qui concerne la production et la mise à disposition de l’information

– la faiblesse du dispositif de contrôle contre la concurrence illégale.

Sur le plan des moyens, les AEP considèrent que la caution représente un montant très élevé qui reste bloqué sans intérêt. Les AEP auraient utilisé ce «capital» pour développer leurs activités, notamment dans la prospection et l’identification des offres d’emploi.

Une difficulté supplémentaire réside dans le respect du principe de gratuité des services d’intermédiation. La majorité des AEP ne mettent pas en cause le principe et considèrent qu’il s’agit d’un droit universel auquel il ne faut pas déroger. Toutefois, la recherche de l’équilibre financier, condition sine qua non, de survie pour le secteur privé, a engendré certains effets pervers plus ou moins conformes à la déontologie du métier. A titre d’exemple, certaines AEP intègrent une activité de formation associée au domaine d’intermédiation telle que dans l’aviation civile. Cette activité de formation bien qu’elle soit justifiée représente un moyen par lequel il y a facturation des frais sur les apprenants se préparant à l’emploi.

L’analyse du paysage des EAP en Tunisie fait ressortir que chacune se spécialise dans un domaine de qualification. Cette spécialité dépend du répertoire des relations et des contacts dont dispose l’entrepreneur ou du manager de l’AEP.

La répartition géographique des AEP mérite à son tour d’être revue. Les AEP se positionnent selon des critères purement commerciaux et ne respectent pas la proximité du service par rapport aux demandeurs d’emploi. Par rapport à la question du contrôle, les AEP agréées ne posent pas de problèmes dans la mesure où elles sont bien identifiées et agissent en fonction des normes et règles en vigueur. Le problème est dans l’existence des clandestins qui continuent à exercer en toute impunité et qui causent de grands problèmes. Un appel urgent au ministère de tutelle d’intervenir pour arrêter ces intrus vendeurs d’illusions et faire valoir la loi.

L’Atct

L’intermédiation assurée par l’Atct ne concerne pas les primo-demandeurs d’emploi. Il s’agit de placer à l’étranger des compétences confirmées dans leurs postes d’emploi et qui ont accumulé au moins deux années d’expérience.

Actuellement, l’Atct, pour des besoins de proximité par rapport aux offreurs d’emploi, dispose de sept bureaux à l’étranger dont six sur les pays du Golfe et un en Mauritanie. Il faut signaler qu’il n’y a aucune représentation dans les pays de l’Europe. Le placement effectué par l’Atct est temporaire mais légal. L’Atct facilite les procédures de détachement et garantit aux coopérants les droits selon les standards internationaux. L’Atct veille à la garantie de l’égalité de chances entre les travailleurs tunisiens et ceux d’origine des pays d’accueil. Une fois le détachement appliqué, l’employé bénéficie de l’évolution dans sa carrière et de tous les droits dans son établissement d’origine.

Certaines difficultés sont rencontrées par l’Atct lors du processus d’intermédiation :

– la gratuité de service et l’interdiction de facturer des frais d’intermédiation sur le demandeur d’emploi ne sont pas acceptées par certaines agences

– la maîtrise parfaite de la langue anglaise et des techniques informatiques est dans tous les cas une condition indispensable. Plusieurs candidats disposent de la compétence technique mais se trouvent écartés à cause des lacunes de communication

– absence d’une stratégie nationale de placement des compétences à l’étranger à laquelle coopèrent et interviennent toutes les ambassades de Tunisie à l’étranger et participent les ministères chargés de la formation et des études supérieures pour adapter les programmes aux besoins des offres d’emplois

– sérieuses difficultés de placement dans les pays d’Afrique à cause d’absence de structures d’appui et de représentations diplomatiques et consulaires. Les expériences n’étaient pas satisfaisantes.

– existence de redondance entre l’Atct et l’Aneti et manque de coordination sur le plan international.

Incohérences du processus d’intermédiation et inefficacité de la Pamt

En Tunisie, les institutions publiques chargées de l’intermédiation n’arrivent pas à accomplir convenablement cette mission. Au contraire, elles souffrent d’un manque de moyens logistiques et de ressources humaines qualifiées. Les conseillers à l’emploi dont le nombre total est au voisinage de mille ne devraient pas suffire pour gérer une population de 678 mille chômeurs. Ils ne font que traiter les dossiers administratifs et n’ont aucune possibilité de faire de la vraie animation du marché du travail.

Il faudrait au contraire mobiliser tous les moyens permettant d’aider à l’insertion professionnelle et à, cet effet, le rôle des agences privées peut être très positif tant que les droits et les obligations des différentes parties sont respectés. Pourquoi continuer à compromettre le travail par intérim alors qu’à travers le monde cette forme d’emploi est bien organisée et respecte tous les droits universels des travailleurs ? Pourquoi continuer à pénaliser une entreprise, dont l’activité est saisonnière et fluctuante, de répondre à des commandes exigeant une flexibilité de l’effectif de l’emploi ? Pourquoi continuer à tenir sur des formes contractuelles rigides et dépassée alors qu’aujourd’hui le poste d’emploi se dématérialise et que les tâches peuvent être exécutées à distance ?

La concurrence internationale oblige d’accaparer toutes les sources de compétitivité et essentiellement d’avoir de fortes souplesse et réactivité entre besoins réels et le dispositif existant d’emploi.

La résistance que subit le travail d’intérim, essentiellement de la part des syndicats des travailleurs, s’explique par l’échec des expériences passées et par la recherche d’une sécurité et une stabilité de l’emploi. Toutefois, le modèle flexicurité appliqué par les pays scandinaves a fait preuve de grande réussite par l’atteinte des taux de chômage faibles et a témoigné que flexibilité et sécurité de l’emploi ne sont pas incompatibles.

Par ailleurs, il n’est pas encore tôt de revoir le rôle de monopole de l’Etat dans l’intermédiation sur le marché du travail. C’est un monopole non mérité et qui est source de dysfonctionnements et de distorsions. Les bureaux d’emploi privés jouant pleinement le rôle d’intermédiation d’accompagnement et de formations complémentaires peuvent alléger le fardeau sur l’Etat et lui donner plus de moyens et de capacités à assurer un contrôle plus rigoureux.

Rendement des Pamt

Pour pouvoir juger de l’efficacité des Pamt en matière de création d’emplois, il importe de suivre l’évolution des différents bénéficiaires ainsi que certains indicateurs tels que les nouveaux contrats signés (NCS), les contrats effectivement achevés (CA) et les stagiaires insérés (SI) dans les différentes institutions dans lesquelles ils ont pu conclure un contrat dans le cadre des Politiques actives d’emploi (PAE).

Le nombre de nouveaux bénéficiaires contractuels des différents programmes a évolué de 118.016 en 2014 à 146.779 en 2019. La part des contrats effectivement achevés (CA) par rapport au nombre de contrats nouvellement signés a enregistré à son tour une amélioration entre 2014 et 2019 passant de 38% en 2014 à 63% en 2019, tous programmes confondus. Cette dernière amélioration, pour qu’elle puisse indiquer une meilleure rentabilité des différents programmes, devrait s’accompagner de la hausse du taux d’insertion définitive des différents bénéficiaires.

Le rendement par programme

Le rendement global, tous programmes confondus, est non seulement faible mais encore fluctuant durant 2014-2019. Cette oscillation en présence d’une hausse de l’offre s’explique par une instabilité de la demande du travail. Le taux d’insertion des bénéficiaires des PAE se situe aux alentours de 25% pour les diplômés du supérieur. En revanche la situation est nettement meilleure pour les non diplômés puisqu’elle oscille autour de 70%, ce qui démontre bien une meilleure efficacité de ces politiques pour les non diplômés en termes d’insertion et de création d’emplois.

Un examen plus fin des différents programmes mis en œuvre souligne un essoufflement sauf pour le Sivp qui est dédié aux diplômés du supérieur. Pour les non diplômés le programme qui semble persister dans le temps et qui enregistre un effectif assez élevé en termes de stagiaires insérés c’est le Caip, le Civp. Il est à signaler que le Civp a été récemment créé en 2019 et n’a réalisé que l’insertion de 50 stagiaires durant la même année.

Globalement le faible rendement des Pamt est la conséquence de plusieurs lacunes qui touchent non seulement l’offre mais aussi la demande du travail et qui affaiblissent l’efficacité de processus d’intermédiation notamment qu’il est assuré par une administration dépassée.

Aujourd’hui, le contrat du travail doit être revu pour préparer des institutions et des acteurs compatibles avec le nouveau paradigme qui se dessine et qui est principalement basé sur la dématérialisation du poste d’emploi et sur la détention de nouvelles compétences qui ne sont pas uniquement détenues à partir de la formation diplômante. De toute évidence, un Etat monopole d’intermédiation sous prétexte de garantir de respect des droits universels du travailleur ne tient plus le coup. Une rigidité législative et une stricte réglementation de l’emploi tuent l’emploi en compromettant la compétitivité de l’entreprise. Une mise en œuvre d’une nouvelle politique d’emploi en Tunisie est indispensable afin d’instaurer une dynamique sur le plan de l’intermédiation moyennant une flexibilité législative et fonctionnelle, un nouveau contrat du travail et en même temps une sécurisation de l’emploi.

Recommandations

– Revoir le code du travail pour une redéfinition des rôles des différents acteurs sur le marché du travail (3 prochains mois)

– L’Etat (ministère de l’Emploi) : la planification stratégique, l’élaboration et mise en œuvre des politiques d’emploi et veiller au respect des règles de droit par tous les intervenants.

– Bureaux d’emplois publics : suspendre la mission de l’intermédiation et en contrepartie s’occuper des études prospectives pour la détermination des tendances futures de la demande et de l’offre du travail et accompagner l’élaboration des parcours de formation

– Les bureaux d’emploi privés et les sociétés d’intérim : jouer pleinement le rôle d’intermédiation aux plan national et international et offrir les services de coaching et formation complémentaire et d’appui à l’employabilité moyennant un financement public selon une approche basée sur les résultats.

– Restructurer les institutions du marché du travail (les six prochains mois)

– Transformer les bureaux d’emplois publics en centres régionaux et territoriaux chargés des études et de la coordination avec les bureaux privés et veillant sur le respect la règle de droit

– Fusionner l’Aneti internationale avec l’Atct et les mettre sous la tutelle du ministère de l’Emploi pour être une autorité de tutelle pour les bureaux d’emploi publics et privés.

– Séparer entre la mission d’emploi de celle de la formation professionnelle en mettant cette dernière sous la tutelle du ministère de l’Education.

– Création d’un fonds pour la sécurité de l’emploi dont le financement sera assuré par le budget de l’Etat, les cotisations des employés et les participations patronales en contrepartie de l’évitement des frais de licenciement.

– Adoption des grands principes de la nouvelle politique d’emploi (les six prochains mois) : Flexibilisation (très faibles coûts de licenciement), Sécurisation (indemnisation en cas de licenciement) et Formation et l’apprentissage à vie

– Conception des modèles types pour des contrats de travail prévoyant : (les neuf prochains mois) : le portage salarial, l’auto-entrepreneuriat, le prêt de personnel, la sous-traitance, le télétravail, le travail à temps partiel, le multi-salariat.

Cette réforme structurelle peut faire face à une résistance de la part des unions des travailleurs qui pourraient l’interpréter en tant que source de vulnérabilité. Un dialogue est nécessaire pour convaincre tous les acteurs notamment en s’inspirant de l’expérience réussie de la flexicurité dans les pays scandinaves. D’autant plus qu’il faut prévoir du temps pour la création des bureaux d’emploi privés capables de respecter les impératifs d’une bonne gouvernance sur un marché du travail souffrant de dysfonctionnements profonds à cause de l’inadéquation entre les compétences requises et celles demandées. Une période de transition de deux à trois ans sera nécessaire.

Charger plus d'articles
Charger plus par La Presse
Charger plus dans Supplément Economique

Un commentaire

  1. Talbi Salem

    18 mai 2023 à 10:25

    Merci si Moez pour tout ce qui nous a apporté cette publication. Permettez-moi de faire quelques remarques personnelles
    • Je pense qu’avec l’utilisation des TIC par les acteurs du marché du travail, les BE n’ont plus de raison d’exister.
    • Le taux d’insertion des PAE n’a été jamais considéré comme indicateur permettant d’évaluer l’impact d’un PAE.
    • les PAE peuvent des effets autres que la création d’emploi. Il s’agit notamment un effet de substitution et d’égalité de chance.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *