«Les filles d’Olfa», remet la Tunisie sur le grand podium du Festival de Cannes après 53 ans d’absence. Il est en lice pour la palme d’or. Nous avons eu cet entretien avec l’un de ses principaux producteurs, Habib Attia.
Comment définissez-vous le genre de ce film que vous venez de produire pour Kaouther Ben Hania ?
Je dirai que c’est un film documentaire dans le sens où les faits relatés sont des faits réels vécus par Olfa Hamrouni, le personnage central du film. Un film qui relate ces événements par lesquels cette femme est passée durant les dix dernières années de sa vie. Ces événements dans le film sont relatés par le vrai personnage mais interprétés par Hind Sabri. C’est l’interaction entre ce vrai personnage (Olfa) et Hind Sabri en présence de Kaouther ben Hania qui recrée les événements phares vécus par Olfa.
On peut dire que c’est un docu-fiction, mais c’est une manière de démontrer aussi que la ligne qui sépare le documentaire de la fiction est très fine. C’est un film qui est à la limite du documentaire et de la fiction. C’est aussi un documentaire qui a été tourné avec des moyens supérieurs à ceux d’une fiction. Ce mécanisme a nécessité la mise en place d’une assistance technique et artistique très importante avec des décors que nous avons loués pour deux mois afin de permettre à tout le monde de s’exprimer comme la réalisatrice le voulait.
En fait, le film est plus dur à pitcher qu’à voir. Il y a beaucoup de narration, mais aussi beaucoup d’émotion. Il y a aussi de l’humour noir et même du sarcasme… C’est un film qui parle de la dernière décennie de notre pays qui n’est pas vraiment brillante. Olfa et ses filles sont malheureusement représentatives de beaucoup de Tunisiens.
Qui est Olfa Hamrouni ?
Olfa Hamrouni est une citoyenne tunisienne de Sousse. Elle a quatre filles. Ses deux filles aînées ont rejoint Daech. Elles ont participé avec leurs maris respectifs à l’opération de Ben Guerdane. Leurs maris ont été tués pendant l’attaque et les deux filles de Olfa sont depuis emprisonnées en Libye. Il y a deux actrices qui jouent les deux grandes filles. Les deux petites filles jouent leurs propres rôles aux côtés de leur mère.
Ce n’est pas votre première expérience avec Kaouther Ben Hania… Elle semble vous porter chance…
J’ai produit tous les films de Kaouther Ben Hania, là on en est au 6e long-métrage. Kaouther a eu vent de Olfa Hamrouni comme beaucoup de Tunisiens à travers la télé. En réalité, cette femme a exposé son cas à tous les médias.
Elle a crié sur tous les toits ce que ses filles ont subi. Elle a même alerté la police qu’elle soupçonnait ses filles d’aller dans une direction extrémiste. Mais la police n’a pas donné à la question la priorité qu’elle mérite. Kaouther a pris contact avec Olfa en 2016 pour un projet de film documentaire normal mais comme on s’est rendu compte que la plupart des événements sont passés, il fallait trouver une autre mise en place pour raconter cette histoire de manière fluide et pas du tout comme un classique docu-fiction, ce qui a permis au film d’être sélectionné au Festival de Cannes.
Vous vous attendiez à cette sélection ?
Évidemment pas ! Surtout face à ces mastodontes en face de nous ! Avec nous, parmi les 18 films sélectionnés il y a déjà pas mal de réalisateurs qui ont eu la palme d’or dans les précédentes sessions. Mais on sentait que le film était porteur et qu’il parle bien de son époque… Nous avons tout de suite compris que Kaouther a fait le bon choix et qu’elle a lié cette histoire à une manière extrêmement créative dans la narration. On ne s’y attendait pas ! C’est un grand pas pour la Tunisie que je qualifierai d’historique. Nous en sommes très fiers. Le dernier film en compétition officielle était celui de feu Abdellatif Ben Ammar « Une si simple histoire », en 1970. Cela fait 53 ans que la Tunisie n’a pas figuré dans la grande compétition.