La qualité de la vie du citoyen en milieu urbain est tributaire de la gestion intégrée et durable des déchets, laquelle devra passer par une série de prises de décision politiques garantissant, d’une part, le financement adéquat de cette gestion de plus en plus complexe et, d’autre part, l’application, sur le terrain, des deux principes du «pollueur-payeur» et du «producteur-récupérateur».
La gestion intégrée et durable des déchets nécessitera l’implication et la participation de toutes les parties dans les différentes étapes, depuis la production jusqu’à la mise en décharge, en passant par la valorisation et le recyclage. Cela suppose des mécanismes de prise en charge adéquats ainsi qu’un soutien en termes de communication, de sensibilisation et d’éducation environnementale.
D’après une étude publiée par le Forum Ibn Khaldoun pour le développement sur le traitement des déchets en Tunisie, «la viabilité de la démarche exigera, en outre, d’offrir un cadre propice à la participation du secteur privé dans le recyclage des déchets et leur valorisation comme matière première dans certains secteurs d’une «économie circulaire» créant de nouvelles opportunités d’emplois et de croissance dans un cadre de partenariats Public-Privé». Avec les difficultés liées à la saturation des décharges et aux problèmes relatifs à l’enfouissement, est-il aujourd’hui possible d’instaurer de nouvelles méthodes de gestion des déchets ? Quel état des lieux peut-on dresser de l’industrie du recyclage en Tunisie ?
Une problématique de taille
Selon Samir Meddeb, expert international consultant en environnement et développement dsurable, la gestion des déchets, en Tunisie, constitue encore une problématique de taille à multiples niveaux : la propreté, la protection de l’environnement, la maîtrise des différents procédés techniques de traitement et de valorisation, le financement, la gouvernance d’une manière générale et enfin le positionnement des déchets dans une dynamique socioéconomique durable. L’expert précise que les déchets ménagers et industriels constituent encore une source importante d’insalubrité tant en milieu urbain que rural et de dégradation de l’environnement et de la qualité de la vie. Les déchets ne s’intègrent pas encore de manière significative, sauf exception, dans la dynamique de l’économie verte et circulaire. La performance technique de la gestion des déchets ménagers et industriels au niveau de la collecte, du transport, du recyclage, de la valorisation et du traitement demeure aléatoire et très approximative. «Nous produisons annuellement, en Tunisie, autour de 2.800.000 t de déchets ménagers et assimilés, et presque 350.000 t de déchets industriels qualifiés de dangereux. Plus de 70% des déchets ménagers sont enfouis dans des décharges contrôlées, 20% sont jetés encore dans le milieu naturel et moins de 8% sont recyclés ou valorisés. Le devenir des déchets industriels est, au contraire, beaucoup moins maîtrisé. Moins du tiers est supposé traité de manière écologiquement acceptable. Le reste demeure en grande partie stocké dans les alentours des usines». Faut-il rappeler que le centre de traitement des déchets dangereux de Jradou, dans la région de Zaghouan, est à l’arrêt depuis la révolution de 2011, pour non-acceptabilité sociale. «Nous ne disposons pas aujourd’hui, en Tunisie, de dispositifs de quantification, de caractérisation et d’analyse des déchets, aussi bien à l’échelle nationale qu’au sein des communes, et ce, malgré de multiples tentatives. Les données disponibles en la matière ne sont que des estimations ponctuelles, menées dans le cadre d’études ou de travaux universitaires, et qui sont utilisés, ultérieurement et de manière répétitive, dans l’ensemble des projets et des travaux avec, toutefois, quelques corrections en fonction des régions». Cette absence de données, fiables et actualisées, entrave la planification rigoureuse de toute politique dans le domaine. Selon la même source, la Tunisie a entrepris, depuis le début des années 90, trois démarches à caractère stratégique : la première a appelé à réhabiliter les décharges sauvages et à les remplacer par des décharges contrôlées et celles de 2006 et 2019 ont conduit à des projets de stratégies de gestion des déchets, globales et intégrées, s’appuyant sur la philosophie de la loi de 1996 qui appelle, simultanément, à réduire les déchets produits, à valoriser ce qui est produit et à mettre en décharge les déchets ultimes, ceux qui ne peuvent être recyclés ou valorisés. Toutefois, si la première démarche, du début des années 90, a permis de concrétiser les objectifs fixés de réhabilitation d’anciennes décharges et d’aménagement de nouvelles, les stratégies de 2006 et 2019, plus ambitieuses, n’ont pas permis, au contraire, d’atteindre les objectifs d’amélioration de la performance, particulièrement en termes de propreté, de réduction des quantités, de valorisation, de traitement d’une manière générale et de recouvrement des coûts.
Entrave majeure
La gouvernance des déchets, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, particulièrement sur le plan institutionnel et organisationnel, constitue l’une des entraves majeures à la promotion d’une gestion performante des déchets. «La bipolarité juridique et institutionnelle dans le domaine de la gestion des déchets entre, d’une part, un ministère de l’Environnement et l’Agence nationale de gestion des déchets et, d’autre part, un ministère de l’Intérieur, n’a pas favorisé l’émergence d’une dynamique globale de gestion intégrée des déchets par la commune, acteur principal d’une gestion de proximité des déchets». Les déchets ménagers demeurent encore non triés, en Tunisie, ni à l’amont, auprès des producteurs, ni dans des centres spécialisés. Le tri n’occupe pas, de ce fait, une place particulière dans le système de gestion des déchets en Tunisie. Une lacune qui entrave toute alternative de recyclage et de valorisation d’envergure et, par conséquent, de réduction des quantités de déchets traités ou enfouis. Les pratiques informelles demeurent prépondérantes dans ce domaine. La faible implication des populations, l’issue aléatoire des produits triés et la fragmentation institutionnelle des responsabilités de la gestion des déchets entre les communes et l’Anged, font que les communes ne sont pas motivées par ce genre d’expériences. Malgré le fort potentiel de valorisation, la quasi-totalité des déchets ménagers et assimilés collectés sont acheminés vers les dépotoirs et les décharges contrôlées sans aucun traitement. Les déchets, malgré les grandes opportunités offertes dans ce domaine, n’apportent pas encore, en Tunisie, leur contribution, de manière significative, dans l’émergence de l’économie verte et encore moins dans l’économie circulaire qui, toutes deux, constitueraient des appuis notables aux alternatives de développement dans lesquelles la Tunisie est amenée à s’engager au cours de la prochaine période.En même temps, sur le plan financier, le paiement du service de la gestion des déchets demeure, en Tunisie, très peu transparent, le producteur des déchets, ménage ou entreprise, n’apporte pas, de manière visible et conséquente, sa contribution au recouvrement du coût du service de la gestion des déchets, le principe pollueur/payeur n’apparaît pas, de ce fait, appliqué. Cinq voies paraissent aujourd’hui incontournables pour dépasser les entraves constatées et s’orienter progressivement vers une gestion performante et durable de la gestion des déchets, il s’agit de rehausser la place des communes dans les processus de développement socioéconomique à l’échelle nationale, tout en leur confiant la charge de la gestion des déchets, à l’instar de l’ensemble des services environnementaux de proximité. Une gestion performante des déchets ne peut se mettre en place que par des communes fortes et outillées politiquement, institutionnellement, techniquement, financièrement et humainement. Il s’agit aussi de promouvoir des mécanismes de fonctionnement intercommunal en guise de réponse à la gestion des déchets, en vue de réduire les coûts d’exploitation et d’améliorer la qualité des services rendus, de développer et mettre en œuvre une stratégie globale, intégrée de gestion des déchets qui favoriserait la réduction et la valorisation des déchets et dans laquelle s’impliqueraient efficacement l’ensemble des acteurs concernés : communes, structures de l’environnement, population, entreprises, consommateurs, médias, structures de recherche… Les autres voies consistent à instaurer une redevance pour la gestion des déchets pour tout producteur sur la base des quantités et des qualités, développer les mécanismes qui favoriseraient l’implication du secteur privé dans l’ensemble des maillons de la chaîne de la gestion des déchets. L’expert n’a pas manqué de rappeler que l’évolution vers une gestion durable des déchets urbains est tributaire de l’instauration d’une redevance rémunérant le service rendu par la commune, proportionnellement au volume produit et collecté, selon le principe du pollueur-payeur. Elle nécessitera une prise de décision politique courageuse, accompagnée d’une campagne d’explication et de sensibilisation adéquate. Selon ses dires, le concept d’économie circulaire vise à «écologiser» certains secteurs industriels, dans le cadre de partenariats public-privé, adoptant des processus d’innovation, créant de nouvelles opportunités économiques, se traduisant par la création d’emplois. L’industrie du recyclage et la production propre gagneraient à être davantage encadrées par le Centre international de Tunis des Eco technologies (Citet), en instituant un label de qualité en faveur des entreprises les plus performantes. Par ailleurs, l’organisation des «barbèchas», dans le but d’une récupération à domicile des bouteilles en plastique et autres contenants recyclables de produits de grande consommation, mériterait d’être expérimentée dans le cadre du système existant Ecolef.
L’expert appelle à la réhabilitation de la décharge contrôlée des déchets industriels de Jradou qui s’avère urgente afin de limiter les rejets dangereux du Grand-Tunis dans le milieu naturel.