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Kairouan : Un modèle de développement à réviser

 

En Tunisie, les politiques de développement régional sont marquées par une forte centralisation et une absence de vision véritable du développement local. Ces politiques ont réduit les régions intérieures à une logique de ressources qui a abouti au déséquilibre régional actuel en matière de développement.

Au cours des dernières décennies, les politiques de développement adoptées en Tunisie ont contribué à l’aggravation du phénomène des disparités de développement entre les régions. Les administrations ont une vision centralisée et mono-sectorielle du développement: elles raisonnent en termes de secteurs et de programmes et se placent dans une étroite perspective sectorielle par région sans prendre en considération la dimension et les atouts de la région comme potentiel de diversification de secteurs de développement.

Par conséquent, cette vision mono-sectorielle et centralisée conduit à une « spécialisation» par région en occultant totalement l’importance de diversifier les secteurs de développement et créer une véritable économie du territoire ou économie régionale.

Partant de ce constat et de cette vérité inquiétante, voire dérangeante, l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) vient de lancer en 2019 un projet intitulé «Promouvoir la participation de la jeunesse dans le développement régional». Financé par le Fonds des Nations unies pour la démocratie (Fnud), ce projet cible des territoires dans trois gouvernorats du pays, à savoir Le Kef (Le Kef Est, Le Kef Ouest et Tajerouine), (Kairouan Sud, Kairouan Nord et Sbikha) et Médenine (Midoun, Ajim et Zarzis).

Il vise également à engager les jeunes dans le développement régional de leurs territoires respectifs à travers le suivi et l’évaluation des projets de développement en cours d’exécution ainsi que l’identification du potentiel de développement durable dans des secteurs diversifiés, et ce, à travers le développement d’outils de suivi des projets et de la méthodologie de diagnostic via le marketing territorial.

Viabilisation et non développement… 

Ces efforts ont commencé à donner leurs fruits et, récemment, l’OTE a publié le «Diagnostic participatif du développement dans le gouvernorat de Kairouan (Kairouan Nord, Kairouan Sud et Sbikha)». Il ressort du document publié que l’absence de budget par régions, la ventilation des projets de développement par ministère et leur regroupement empêchent l’appréciation des ressources allouées aux territoires et surtout ne permettent pas d’inscrire ces projets dans un objectif clair de développement régional et sous une politique publique claire.

En effet, on observe que ces régions sont considérées uniquement pour leurs ressources naturelles et leurs main-d’œuvre sans initiative de diversification des potentiels économiques de la région. Les projets de développement publics, segmentés par ministère, ne permettent pas de redresser les faiblesses des régions, et les difficultés réelles que les régions connaissent ou encore de mettre en valeur leurs atouts. Ces projets dits de «développement » sont en réalité des projets de viabilisation et n’améliorent pas l’attractivité régionale.

«L’évaluation des projets de développement dans le périmètre choisi «Kairouan Sud–Kairouan Nord-Sbikha» a permis d’identifier, d’une part, que plusieurs projets de développement sont en majorité des projets de viabilisation, et d’autre part, que ces derniers font face à d’importants retards d’exécution, dus principalement aux manques de moyens financiers et humains, aux problèmes fonciers, de coordination entre les intervenants et aux lourdeurs administratives et même à des textes juridiques inadaptés », souligne le document.

Des projets oui…, mais avec un effet limité

L’étude des projets suivis permet de constater qu’il s’agit de projets ciblant les services de base comme l’éducation et la santé. De plus, même dans ces deux secteurs, le document constate que les projets suivis n’ont qu’un effet très limité (entretien d’une école, drainage d’eau de pluie…), tandis que d’autres projets de grande envergure et vitaux pour tous les citoyens de la région n’ont pas été suivis. C’est le cas, par exemple, du projet de l’Hôpital du Roi Salman, dont les fonds sont réservés depuis 2017, sans aucune concrétisation. L’étude cite aussi l’exemple du projet de la Cité médicale à Kairouan qui a fait objet de promesses présidentielles, sans avancements pratiques ou suivi de la part des acteurs locaux.

Ces deux projets, de par leur taille et leur budget, peuvent introduire une nouvelle dynamique de développement dans toute la ville de Kairouan et surtout ses alentours, car leur installation touchera plutôt les délégations aux alentours de la ville.

Il est également important de noter que le projet de l’«Autoroute du centre», projetant de relier le gouvernorat de Kairouan aux autres gouvernorats du Centre-Ouest, permettra de résoudre plusieurs inconvénients de l’infrastructure logistique.

Par ailleurs, le rapport considére que tout avancement dans la filière des TIC à Kairouan, en plus des avantages que ça pourra apporter aux centaines de jeunes diplômés des universités de la ville, facilitera le développement potentiel de toutes les autres filières à travers le sourcing ou la commercialisation en ligne par exemple.

Ainsi, il peut être constaté que même si la majorité des projets suivis n’a pas d’impact direct sur le potentiel de développement socio-économique, il y a d’autres projets que les jeunes peuvent suivre dans leurs actions sociétales futures et qui ont des répercussions sérieuses sur les filières économiques sélectionnées.

Appliquer l’approche «bottom-up»

L’évaluation du potentiel de développement diversifié du périmètre étudié a permis de mettre en lumière la possibilité de déterminer de manière participative des filières de développement durable inclusif basées sur des atouts du territoire.

Ainsi, avec les jeunes et sur la base de recherches effectuées en bureau et sur le terrain, le document a identifié le tourisme spécialisé et responsable (y compris l’écotourisme, le tourisme culturel…), la valorisation des produits agricoles, animales et végétales (maraichères, arboriculture, apiculture, plantes aromatiques et médicinales, huiles essentielles, figues de barbarie…) comme des opportunités de développement à Sbikha et Kairouan. Il est par ailleurs démontré que la filière des Technologies de l’Information et de la Communication revêt une importance particulière, en dépit de son développement limité au moment présent, dans l’apport qu’elle peut apporter en synergie avec les autres filières. Face à ce diagnostic, une nouvelle approche de développement a besoin d’être mise en place.

Il s’agit de l’approche «bottom-up» qui se base sur le territoire et qui sélectionne les projets de développement à fort impact socio-économique pour les générations actuelles et futures. Cette approche est partagée par plusieurs personnes interviewées lors de ce projet.

«Pour que Kairouan retrouve sa valeur culturelle et devienne une destination pour les investissements qui améliorent le développement de la région, il faut une coopération entre toutes les autorités, régionales, locales ainsi que de la société civile.

Ceci permettra à Kairouan d’améliorer son image, afin qu’ elle ne soit plus connue par le suicide, le viol et la violence. Il est temps que notre Kairouan originel, qui est un exemple à suivre en termes de valeur, de magnanimité et de générosité, revienne», souligne le rapport.

Repenser le rôle des jeunes

Sur un autre plan, le document propose de repenser le rôle des jeunes dans le développement régional au vu de cette première expérience dans le cadre du présent projet OTE-Fnud.

«Les jeunes (y compris ceux qui ont été en sit-in d’emploi devant le gouvernorat) ont changé d’état d’esprit en passant de la simple logique de demandeur d’emploi (dans le secteur public) en jeune actif qui propose des solutions qu’il se voit capable de développer sur le territoire entier… Un tel passage ne peut être fait sans écoute, formation, engagement et assistance», accentue le document.

Dans ce cadre, les auteurs proposent l’adoption ce qui est appelé les «Conseils Consultatifs des Jeunes». Ces conseils d’élus ont vu le jour dans d’autres gouvernorats pour assister les communautés locales (conseils municipaux) à être proches des jeunes. Cette idée peut être aussi appliquée au Conseil de Développement Régional de Kairouan par exemple, car faire participer des jeunes, notamment ceux qui sont actifs dans la société civile, ou au sein de mouvements sociaux locaux, ne peut être qu’utile.

«Il importe à notre avis d’encourager lesdites OSC (Organisations de la Société Civile) à collaborer, les assister à créer un projet commun de suivi des projets en retard ou d’élaboration d’une vision de développement régional dans la région…

Ceci peut aider à assurer la durabilité des résultats par la continuité de l’application des connaissances acquises par les jeunes, l’entraînement des OSC à travailler ensemble, le changement de l’image de la société civile au niveau des autorités locales vers une force de proposition… Cette initiative peut aussi toucher les délégations qui n’ont pas été couvertes par le présent projet », ajoute le document.

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