A son palmarès: 3 finales de coupe de Tunisie (dont une en tant que joueur), une accession avec le SN et EBSBK, une 4e place asiatique avec le Bahrein en 1983 à Seoul, une participation au championnat du monde 1967 en Suède, et aux Jeux méditerranéens 1967 à Tunis. Cet ancien professeur d’éducation physique et sportive et entraîneur de 3e degré est marié et père de trois enfants.
Moncef Ben Amor, vous êtes issu d’une grande famille sportive
Déjà, mes deux frères Abdelkader et Fethi ont pratiqué le hand au SN. Le premier a joué à mes côtés avant de partir en Belgique. Mon épouse Mahbouba est prof de sport, mon fils Marwène a joué à l’ASH, à l’ESS… Mon fils Mohamed a été joueur-entraîneur à Bizerte. Quant à Mourad, il a choisi la marine militaire.
Le 25 mars 1967, en quarts de finale de la coupe de Tunisie, vous accomplissiez avec votre club, le Stade Nabeulien, un exploit inachevé. Vous avez été battu sur le score incroyable de (3-2), un score de football. Comment une rencontre de handball peut-elle déboucher sur pareil résultat ?
Ce match est passé dans la légende, ne serait-ce que par ce score insolite. Nous jouions au stade Chelly de Nabeul sur terre battue. On peut penser que la pelouse était lourde. Non, ce n’était pas le cas: ce jour-là, il n’a pas plu, et il n’ y avait pas de vent non plus. Mais il faut se rappeler que le Stade Nabeulien faisait fureur, il représentait une terreur pour les deux grandes équipes reines de l’époque, l’Espérance de Tunis et le Club Africain. Il venait tout juste derrière eux dans la hiérarchie. Nous avons joué un match défensif parfait. A la mi-temps, le score était de (2-2). J’ai marqué un but, Mustapha Koudja l’autre but des nôtres. Après le repos, Abdelaziz Zaibi a inscrit le but de la victoire. Nous étions très forts dans l’observation et l’étude de l’adversaire sur ses deux ou trois derniers matches. Nous avons su neutraliser ses points forts. C’était le CA des Zaibi, Abderrahmane Hammou, Mourad Boularès, Omrane Ben Moussa, Abdellatif Abeid, Yacoubi…Nous avons tout simplement dompté un tigre, le futur champion de Tunisie.
De la façon dont vous teniez tête aux mastodontes, vous exerciez une sorte d’envoûtement sur vos adversaires à tel point que vous avez été tout près d’enlever un titre ?
Oui, sans évoquer les finales de la coupe de Tunisie perdues, il y eut le souvenir de la saison où nous aurions dû remporter le championnat sans des décisions arbitrales défavorables qui ont servi de coup de pouce en faveur de l’EST. Nous avons été en tête durant les deux tiers du parcours. Nous pratiquions un hand très spectaculaire, notre marque de fabrique. De rage, à Mahdia, devant d’aussi criardes injustices arbitrales, notre dirigeant Farouk Kallel a carrément avalé la feuille de match. Notre talent ouvrait la porte à des ambitions qui nous étaient, parait-il, interdites. Mais que voulez-vous, les referees avaient un comportement tordu. Ils roulaient pour les plus forts.
C’est votre plus mauvais souvenir ?
Incontestablement. Avec, également, les accusations dont je fus l’objet alors que j’entraînais El Baâth de Beni Khiar. Nous rencontrions le Stade Nabeulien qui jouait le maintien. Les temps avaient déjà changé pour les Potiers qui ont montré la voie à leurs voisins du Cap-Bon: EBSBeni Khiar, USTémimienne, AS Hammamet, US El Mida… J’ai été pris à partie par les supporters khiaris qui m’accusèrent injustement d’avoir facilité la victoire du SN. En fait, celui-ci n’avait pas besoin de mes services pour gagner.
Qui dit «retourné», dit Moncef Ben Amor. Quel est le secret d’une telle réputation ?
Il s’agit d’un geste technique très difficile qui exige un degré de coordination et de synchronisation des gestes très avancé. Il faut avoir pratiqué l’athlétisme, les lancers (javelot, poids, marteau..) pour l’accomplir à la perfection. Par bonheur, j’avais longtemps tâté à l’athlétisme. Mais j’avais également d’autres qualités: organisateur-buteur, je servais le pivot dans un trou de serrure. Noureddine Dhouib, Habib Ouerfelli et Noureddine Jemaâ peuvent en témoigner.
D’ailleurs, nous disposions d’un riche arsenal. Notre Sept rayonnait de talent et de joie de vivre. Nous avions vite adopté cette discipline parce qu’elle copiait pratiquement ce qui se faisait dans le basket, un autre sport pratiqué de la main. Dans le quartier, nous jouions le basket, sur la plage, et le volley. Le basket n’était pas très loin. Ainsi, 80% de nos joueurs étaient polyvalents, capables de pratiquer ces trois disciplines et bien d’autres. Mais le SN ne possédait pas les moyens pour recruter les meilleurs joueurs. Nous nous y étions essayés avec Ben Othmane et Pakis, mais cela devait s’arrêter là. A défaut de gros gabarits, nous devions privilégier l’enthousiasme, la technique et le jeu collectif.
A propos, comment une ville de basket s’était-elle adaptée à un nouveau sport, le handball qui a même fait à un certain moment de l’ombre au sport-favori ?
Le tournant décisif a été l’installation à Nabeul en 1960 de Jalaleddine Agha, président de la Fédération tunisienne de handball de 1956 à 1963 et qui a exercé les fonctions de directeur de la Recette des finances. Il a été vite séduit par cette cité férue de basket. Il a installé au stade Chelly, en face de l’hôpital régional, des cages, des filets, a tracé un terrain de hand et invité l’équipe est-allemande de Leipzig à se produire à Nabeul contre l’équipe nationale avec les Moncef Hajjar, Mohamed Gritli, Hassen Mejri… Nous étions jeunes. Ce «football pratiqué des mains» nous plut sur le coup. M.Agha offrit à notre club engagements et licences gratuitement.
Nous avons commencé avec des moyens dérisoires: deux ou trois ballons, l’eau des douches était froide, nous effectuions deux ou trois séances d’entraînement par semaine sans plus…Grâce aux efforts et aux sacrifices de dirigeants aussi dévoués que Mohamed El Feki, Habib Ben Brahem, Tahar Bahroun, Abdelkader Ladhib…, une équipe a vu le jour. Farouk Kallel assurait la préparation psychologique. Mohieddine Ezzine, Slah Turki, Habib Bouaouina dit Hbaiech… en constituèrent le premier noyau.
Au bout de deux saisons, nous accédions en première division. Nous allions tout de suite accrocher les meilleurs: ASPTT, Zitouna, CA Gaz…
Nous pouvions par la suite compter sur un excellent gardien de but, Moncef Kerkenni, un grand défenseur, Mustapha Khouja, un pivot de classe, Faouzi Belhadj… Puis arrive la génération des Raouf Ben Othmane, Fethi Aounallah, Lotfi El Behi, Fethi Saâd, mon frère Fethi Ben Amor…
Le talent a fini par manquer au SN. La chute s’était dessinée à partir du milieu des années 1970. Quelles en sont les raisons ?
D’abord, il n’ y avait plus de travail de détection dans les écoles et lycées. Ensuite, les moyens financiers manquèrent terriblement. Le choix des techniciens des catégories des jeunes était erroné, arbitraire parfois.
Le cadre dirigeant changeant tous les deux ans, sans parler de celui technique, il n’ y a plus eu de projet de jeu. L’infrastructure n’a pas suivi. Il aurait fallu couvrir le stade Chelly et ouvrir la salle de la Plage qui était désaffectée, et depuis longtemps abandonnée.
A Nabeul, il faudrait plusieurs centres de formation. Enfin, on a comme l’impression qu’on ne veut pas vraiment des enfants du club.
On ne les sollicite presque jamais. Il est urgent d’initier un plan de travail sur trois ans pour redonner au club son lustre d’antan. Pour cela, un minimum de stabilité est indispensable. Consulter les gens d’expérience ne serait pas de trop.
A un certain moment, dans les années 1980, vous avez refusé de prendre en main le Sept national finalement confié à Lamjed Amroussi. Pourquoi ?
En ce temps-là, cela ressemblait à un cadeau empoisonné. Un mois avant les championnats d’Afrique, il était suicidaire d’accepter une telle charge. Je ne voulais pas servir de roue de secours.
Pourtant, une aussi petite nation de handball que le Bahrein, vous n’aviez pas hésité à la prendre en charge ?
Oui, mais j’ai eu suffisamment de temps pour installer mon projet de jeu. Résultat: deux nuls contre l’Algérie, une défaite par un seul but face à la Tunisie, une 4e place aux championnats asiatiques 1983 à Seoul, et une 4e place aux championnats arabes au Maroc en 1984. Je raffole de ce genre de situations où je fais d’un ensemble modeste ou moyen un superbe challenger capable de tenir tête aux plus forts et de bousculer la hiérarchie. Avec El Baâth de Beni Khiar, nous étions menés par cinq buts à cinq minutes de la fin, en finale de la coupe Abdelaziz Ghelala face au Wydad Montfleury conduit par feu Sadok Baccouche. Nous nous sommes au final imposés d’un but. Nous avons également accroché l’Espérance de Mounir Jelili, Moncef Besbès…
Comment analysez-vous la situation du hand tunisien d’aujourd’hui ?
Trois locomotives tirent la petite sphère vers le haut: CA, EST et ESS. Deux autres locomotives aideraient sensiblement à porter cette discipline très loin. A présent, nous en sommes à exporter des talents en Europe, ce qui donne une idée de l’énorme potentiel que recèle notre HB. La puissance et la vitesse ont été développés. Le travail mental aussi. Nous réussissons à rivaliser avec les meilleurs. La sélection nationale est invitée un peu partout. Il faudra néanmoins se tourner vers le hand du cru, celui d’un Sud du pays capable de nous révéler de gros gabarits, de petits phénomènes de la nature. Il me semble que le vivier du Sud reste très mal exploité.
Quel est à votre avis le plus grand handballeur
de tous les temps?
Ils sont nombreux, à vrai dire. Chaque époque a proposé ses monstres sacrés: Mounir Jelili, Hachemi Razgallah, Mustapha Khalladi, Abdelaziz Ghelala, Moncef Kerkenni, Ryadh Sanaâ, Moncef Besbès, Moncef Oueslati…
A qui devez-vous votre promotion en équipe nationale?
Au Roumain Popa. Il nous a lancés dans le grand bain Jelili, Faouzi Ksouri, Omrane Ben Moussa et moi-même en même temps. Nous avons été alignés contre la France et la Tchécoslovaquie aux championnats du monde en Suède. Au sein de la sélection 1967, nous formions une famille unie et solidaire: Riahi, Hammou, Baccouche, Ghelala, Boularès, feu Khalladi aussi. J’ai été invité au mariage de sa fille alors qu’il nous avait déjà quittés. Je dois ma formation à Moncef Hajjar et à Doumergue. Le président fédéral Abdelhamid Mlayeh m’a fait participer à deux stages d’entraîneur gratuitement en Allemagne.
Quel a été votre meilleur match ?
Contre le CA Gaz, lorsque le SN s’est qualifié pour les demi-finales de la coupe (7-6). J’ai inscrit ce jour-là 5 buts. Je me rappelle aussi d’un CSHL-SN (3-3). Nous avions pratiqué pour la première fois le 4-2. C’était une innovation alors. Nous avions marqué en individuel Abdelaziz Ghelala et Ahmed Berrehouma.
Un souvenir de cet immense joueur qu’était Ghelala ?
Oui, le CSHL venait de jouer et perdre à Nabeul. Ses joueurs sont partis manger dans un restaurant du centre-ville. Aux vestiaires réservés au CSHL, un ouvrier du stade Chelly avait laissé sa kachabia. Au départ des Hammam-Lifois, il ne l’avait plus retrouvée. J’ai rejoint avec cet ouvrier le restaurant Neji où les visiteurs étaient déjà installés. J’ai raconté à Ghelala ce qui s’était passé. Alors, il a demandé aux joueurs qui a volé la kachabia. Silence total. Il a ensuite invité chacun parmi ses coéquipiers à ouvrir don sac. Il les a poussés de la sorte dans leurs derniers retranchements. On a vite retrouvé l’objet volé dans le sac d’un des joueurs. Ghelala lui administra une claque qui a fait retourner tous les clients du restaurant. Il l’expédia hors des lieux, lui criant de ne plus mettre les pieds au club. Je n’oublierai jamais cette scène-là. C’était une autre manière de penser et de se comporter. La discipline primait. Bref, un autre âge.
Enfin, si vous n’étiez pas dans le sport, quelle autre carrière auriez-vous embrassée ?
Enseignant universitaire de français. C’était mon ambition. Mais le hand en décida autrement.