La Tunisie appelle l’Europe à opérer avec plus de souplesse dans les conditions de rapatriement des migrants sur les côtes nord-africaines, aux dépens des considérations économiques et politiques qui les hantent et les «aveuglent», ce qui cause le plus grand mépris à la race humaine africaine, pourtant unie et soudée plus que jamais.
Sous nos cieux, la question migratoire continue à défrayer la chronique. Pas plus tard que jeudi dernier, elle a fait l’objet d’une rencontre associative à Tunis, organisée par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), pour débattre du contexte difficile de ce phénomène dans la zone Méditerranée et ses retombées sur la Tunisie. A l’initiative d’organisations de la société civile tunisienne, maghrébine et africaine ainsi que des mouvements civils et de jeunesse, cette rencontre militante a eu lieu sous l’intitulé : “Rencontre des peuples contre les politiques migratoires européennes inhumaines et en solidarité avec les migrants”. Des interventions, des discussions, une soirée culturelle et enfin une marche de solidarité en fin de journée au cours de laquelle la société civile, les activistes et les cyberdissidents se sont joints pour réfléchir à une nouvelle approche migratoire et contrecarrer le délitement et la fuite en avant des partenaires européens qui veulent faire de la Tunisie une zone tampon des flux migratoires interméditerranéens et «un gendarme» malgré elle. «Alors que les dirigeants politiques se réuniront, demain, à Rome pour restreindre davantage le droit à la circulation, expulser les migrants, violer les droits des réfugiés et légitimer les politiques de néo-colonialisme pour les peuples des pays du sud, nous nous sommes rencontrés, hier et avant-hier, à Tunis, pour l’humanité, pour la dignité, pour la liberté et pour les droits de toutes et tous», souligne le collectif.
Face à l’aggravation du phénomène migratoire, Romdhane Ben Amor, chargé de communication au Ftdes ne décolère pas. Il craint la tournure dangereuse et incertaine qu’il pourrait prendre : «En faisant de la Tunisie un poste-frontière, l’UE crée un précédent», avertit-il.
Colère noire
De son côté, un activiste africain en Tunisie est revenu sur les événements «malheureux» survenus depuis février 2023. Surtout la nuit du 2 au 3 de ce mois qui a vu la mort d’un citoyen tunisien, alors qu’il y a déjà eu selon lui, 2 Béninois 1 Camerounais ou encore 1 Congolais et 1 Ivoirien tombés en disgrâce par le passé et «passés sous silence» alors qu’on se souvient que La Presse a relaté et dénoncé les faits qui se sont produits. Le président d’une association de citoyens d’Afrique en Tunisie remercie la société civile et les activistes tunisiens «pour les actes posés à l’endroit de la vie humaine», parmi les africains subsahariens. Une situation complexe et gênante décrit le tableau de la migration en Tunisie à l’aune des problèmes économiques et politiques rive nord, rive sud de la Méditerranée. Des activistes et militants idéologiques ont pris tour à tour la parole pour décrire la spécificité tunisienne de la migration Afrique-Europe qui la frappe de plein fouet sans qu’elle n’y trouve aucun compte hormis un rôle de gendarme qui ne lui sied guère et ne lui apporte que des tracas d’ordre «humain» supplémentaires dont elle supporte tout le poids. Tant et si bien que la Tunisie apporte continuellement son secours aux personnes en danger sur ses côtes… La solidarité est plus que jamais de mise pour contrecarrer l’aggravation de la situation.
Crise migratoire
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en juin 1981 à Nairobi rappelle l’enjeu continental de la question migratoire et ses engagements pérennes : «Les Etats africains conscients de leur devoir de libérer totalement l’Afrique dont les peuples continuent à lutter pour leur indépendance véritable et leur dignité et s’engagent à éliminer le colonialisme, le néocolonialisme, l’apartheid, le sionisme, les bases militaires étrangères d’agression et toutes formes de discrimination, ,notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’opinion politique». Le contexte actuel est véritablement celui d’une crise qui s’installe dans la durée et sans aucun atténuement.
Dans un communiqué, le Ftdes avait émis un argumentaire complet des conséquences des derniers événements qui ont marqué la Tunisie dans des points sensibles. Il avait précisé : «La ville de Sfax a été le théâtre depuis quelques jours d’une catastrophe humanitaire au sens plein du terme affectant les immigré(e)s d’Afrique subsaharienne. De nombreuses organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme et des dizaines de médias ont documenté leurs expulsions de leurs maisons, la chasse qui leur est faite dans les rues, la violence et l’humiliation qu’ils ont subie(e)s au mépris total de leur dignité et sans égard à leur état de santé, à celui des femmes, des enfants et même des nourrissons. Des centaines d’immigrés ont été transférés de force dans le but de les pousser à quitter la Tunisie sous forme d’une expulsion collective, mettant leur vie en danger en les privant d’eau, de nourriture et de soins pendant plusieurs jours».
L’inégalité en termes de droits à la circulation pose de sérieux problèmes d’ordre éthique selon un intervenant. Il estime que tant que les pays maghrébins et nord africains ne vont pas se développer économiquement, la balance migratoire sera toujours régulée par la partie européenne qui impose sa loi et l’on va subir. Il faut une meilleure stratégie et approche pour travailler ensemble et mettre sur la table propositions et solutions pour contrecarrer la situation défavorable aux pays d’Afrique, résume cet activiste et militant humanitaire tunisien.