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Enquête : La tuberculose est-elle de retour ?

 

La situation actuelle est à la fois grave et décevante. Les statistiques ne révèlent pas que l’évolution de la tuberculose bovine est la principale source de tuberculose humaine et constitue de fait une vraie menace pour la santé publique vétérinaire et humaine.

En dépit des efforts, des campagnes de sensibilisation, et des programmes de lutte, la tuberculose  (maladie infectieuse et contagieuse, causée par le bacille de Koch, et qui affecte le plus souvent le poumon) demeure un problème de santé publique dans notre pays. L’absence de publications périodiques des autorités officielles faisant l’état des lieux de l’évolution de la tuberculose bovine transmise aux humains ne pourrait qu’affaiblir les mécanismes de lutte dans le contexte socioéconomique actuel.

Selon les experts, le contexte général est bien favorable à la transmission des agents pathogènes zoonotiques à l’être humain par contact direct avec les animaux infectés ou par la consommation de denrées alimentaires d’origine animale contaminées.

Depuis 1959, notre pays a mis en place  un programme national de lutte contre la tuberculose avec comme objectif, la réduction de  la charge nationale de la morbidité et de la mortalité tuberculeuses, la protection de  la communauté de la contagion. Ce programme national est axé sur  la vaccination, le dépistage précoce  et la mise à disposition du traitement nécessaire jusqu’à la guérison en suivant la stratégie du traitement de brève durée sous surveillance directe (Dots). La Tunisie fut l’un des premiers pays au monde à avoir adopté la stratégie nationale de lutte contre la tuberculose. Des progrès tangibles en matière de lutte contre cette maladie ont pu être réalisés. Toutefois, il n’est plus aujourd’hui permis de brosser un tableau aussi positif, puisque visiblement la situation a changé du tout au tout.

Mêmes traitements utilisés aux USA et dans les pays européens

D’après Docteur Dhikrayet Gamara, ancienne coordonnatrice du programme national de lutte contre la tuberculose en Tunisie, la tuberculose est une maladie qu’on peut qualifier de socio-économique. «La détérioration des conditions socio-économiques favorise l’apparition de cette maladie». Elle explique que «La situation qui prévaut aujourd’hui dans notre pays marquée par une forte inflation et par l’endettement du citoyen a impacté la nutrition, le niveau de vie ainsi que le bien-être de la population». Dr Gamara a tenu à préciser toutefois que le programme mis en place par le ministère de la Santé est bien structuré et figure parmi les meilleurs, car il prend en considération les mêmes traitements utilisés aux USA et dans les pays européens.

Pourtant et malgré ces propos rassurants, il semblerait que ce même programme ait montré ses limites. Frappé par une grave crise économique, le programme de lutte contre la tuberculose a en effet montré quelques signes d’essoufflement. Cela explique par ailleurs le recours de certains éleveurs  de bovins à la transgression des lois en vigueur.

Le colportage du lait en dehors de tout contrôle représente une grave menace

Selon le témoignage d’un médecin à Hergla relevant du gouvernorat de Sousse, l’un de ces éleveurs continue, en toute impunité, à vendre du lait cru provenant d’une vache atteinte de tuberculose bovine, d’où le grave danger qu’encourent les personnes qui consomment ce lait. Le colportage du lait qui se fait encore en dehors de tout contrôle sanitaire représente le premier risque de transmission de cette maladie. C’est pourquoi il est devenu urgent, préconise le médecin à La Presse de multiplier les campagnes de sensibilisation pour inciter les consommateurs à éviter de consommer le lait et dérivés (fromage blanc et gouta) dans les petits commerces qui échappent à tout contrôle et de privilégier les produits vendus dans la grande distribution qui sont, eux, pasteurisés et soumis au contrôle de l’Etat.

Le danger est bien là, et le médecin, qui a préféré témoigner sous le couvert de l’anonymat a bien confirmé «le retour de la tuberculose bovine», sans toutefois nous fournir davantage d’informations. Nous avons alors voulu recouper cette information avec une source officielle, mais la directrice générale des soins de base, Ahlem Gzara s’est excusée au téléphone, car il fallait une autorisation du ministère de la Santé pour obtenir une déclaration.  Heureusement et en dehors des cercles officiels, les langues se délient plus facilement, notamment du côté de la Chambre syndicale nationale des médecins vétérinaires privés.

Pas d’identification des animaux malades, pas d’indemnisation des éleveurs touchés

A cet effet, le président de la Chambre syndicale nationale des médecins vétérinaires privés relevant de l’Utica et ancien président de l’Ordre des médecins vétérinaires de Tunisie, Dr Mohamed Nejib Bouslema pointe le programme national d’éradication de la tuberculose bovine (Pnetb), qui devait  couvrir la totalité du territoire tunisien.

Selon sa déclaration à La Presse, l’objectif du Pnetb est de réduire le taux d’infection des bovins par le bacille tuberculeux et d’éradiquer la tuberculose animale et humaine. Or, le résultat est tout autre. Malheureusement, la maladie ne cesse de se propager dans les milieux d’élevage ruraux. Résultat, et sur le terrain, on ne voit pratiquement rien de concret, déplore notre interlocuteur.

Pas d’identification  des animaux malades, pas d’indemnisation des éleveurs touchés. Dr Bouslema pointe également l’insuffisance de dépistage au point qu’une grande quantité des tuberculines (substance extraite de cultures de bacilles tuberculeux, qui peut provoquer une réaction caractéristique chez un sujet atteint de tuberculose et permet ainsi de poser le diagnostic) importées à l’effet de réaliser les dépistages, faute de les faire à temps, sont tombées en péremption.

Les organismes régionaux publics concernés n’ont guère réalisé les dépistages ni délégué cette tâche aux médecins vétérinaires privés dans le cadre du mandat sanitaire. Perte sèche pour tous ! Pour l’Etat, pour les contribuables,  pour les éleveurs et pour la communauté nationale.

Sensibilisation et accompagnement des éleveurs, dépistage, assainissement du cheptel sont les maîtres mots de ce plan, mais tout ceci n’est que théorique, regrette encore Dr Bouslema. «On parle souvent de partenariat public privé, de l’implication des médecins vétérinaires privés pour lutter contre ces maladies animales à l’origine de 70% des maladies humaines selon l’Omsa» (Organisation mondiale de la santé animale), mais sur le terrain, les faits contredisent ces belles théories.

Pour la création d’un fonds de santé animale

Conséquence directe, les campagnes «de contrôle» de la tuberculose menées par les services vétérinaires dans les commissariats régionaux au développement agricole relevant du ministère de l’Agriculture ne peuvent mener à bien leurs missions, en raison notamment du manque de moyens et des maigres fonds alloués, d’autant que la profession vétérinaire appelle depuis plusieurs années à la création d’un fonds de santé animale.

Notre interlocuteur a également remis en question la visite de certains experts internationaux en missions en Tunisie. Selon lui, ils ne sont pas plus compétents que les médecins vétérinaires tunisiens. Ces derniers ont pu constater la progression de la maladie depuis plusieurs années et évaluer la situation sanitaire, ajoutant que les recommandations issues des visites de travail et d’évaluation effectuées par les émissaires des organismes internationaux sont «bons pour être rangés dans les tiroirs de l’administration tunisienne», au même titre que plusieurs textes réglementaires non appliqués d’ailleurs. 

Et de conclure que la situation actuelle est à la fois grave et décevante. Les statistiques ne révèlent pas que l’évolution de la tuberculose bovine est la principale source de tuberculose humaine et constitue de fait une vraie menace pour la santé publique vétérinaire et humaine. 

«Il est à rappeler que dans certains pays, jusqu’à 10 % des cas de tuberculose humaine sont d’origine bovine», alerte l’Organisation mondiale de la santé. Les personnes dont le système immunitaire est faible, comme les personnes atteintes de VIH, de dénutrition ou de diabète, ou encore les gros fumeurs, représentent un risque élevé de tomber malades, ajoute l’OMS.

Au total, 1,6 million de personnes sont mortes de la tuberculose en 2021 (dont 187.000 présentaient également une infection au VIH). À l’échelle mondiale, la tuberculose est la treizième cause de mortalité et la deuxième due à une maladie infectieuse, derrière le Covid-19 (et avant le sida), d’après la même source.

Consommer le lait pasteurisé, ou faire bouillir le lait avant de le consommer 

Ces critiques, somme toute légitimes, ne peuvent occulter les efforts des autorités de tutelle dans le cadre de la lutte contre cette maladie. Les services vétérinaires au commissariat régional au développement agricole à Kébili ont, à titre d’exemple, détecté en avril 2019 soixante-dix cas de tuberculose bovine, dans une ferme de la région. Ces cas ont été découverts au cours d’une campagne de contrôle annuelle menée par les services vétérinaires, en application de la circulaire ministérielle n° 28 de l’année 2018.

Il est toutefois urgent de sensibiliser la population sur les dangers de cette maladie et de publier un guide des bonnes pratiques visant à consolider le volet de la prévention relatif en particulier à la tuberculose zoonotique qui, selon l’Organisation mondiale de la santé animale, est une forme moins courante de tuberculose chez l’homme, principalement transmise de manière indirecte, par la consommation de lait, de produits laitiers ou de viande contaminée.

Des spots de sensibilisation à la télévision ou une application ciblant aussi bien les consommateurs que les  éleveurs pourraient bien évidemment  conforter les efforts de sensibilisation et de prévention.

En théorie, la tuberculose peut être transmise par la viande, donc il faut bien cuire la viande avant de la consommer, même si jusque-là nous n’avons recensé aucun cas par ce mode de transmission par la consommation de viande. Cela étant dit,  le risque n’est pas toujours écarté et il vaut mieux bien cuire la viande si le doute persiste autour de l’origine.

Pour la tuberculose bovine, c’est surtout au niveau de l’élevage que tout doit se faire, souligne  Dr Safa Doghri, médecin spécialiste en nutrition, diabétologie et maladies métaboliques. «Les hommes doivent consommer le lait pasteurisé, ou en cas de doute sur l’origine du lait, porter le lait à ébullition avant de le consommer».

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