Amine Boussoffara a été baptisé par quelques-uns de ses amis et par les passants dans la rue de photographe « hittiste ». Un surnom pour dire sa passion des murs et particulièrement des bâtiments anciens, ce patrimoine qu’il prend en image sous toutes ses coutures et perspectives.
Parmi les photographes les plus actifs sur Facebook, l’artiste Amine Boussofara qui ne cesse d’alimenter sa page par des photos du quotidien, celles de la canicule des derniers jours, notamment. Le photographe autodidacte, né à Mahdia voilà 48 ans, bien que polyvalent pour gagner son pain, s’est spécialisé depuis une vingtaine d’années dans l’architecture. Ce qui le passionne le plus dans le patrimoine bâti, ce sont ces architectures dites coloniales du dix-neuvième siècle, lorsque la Tunisie s’était transformée en un grand laboratoire à ciel ouvert pour des architectes français, italiens et maltais cherchant à expérimenter ces styles art nouveau, art déco, éclectique et d’inspiration arabisante.
Amine Boussofara n’a pas fait une école d’art pour arriver à la photo, il a dû apprivoiser ce médium au fil des ans. Au Club de photo de Mahdia tout d’abord, puis en tant que saisonnier chez les photographes à studios pendant les étés de sa jeunesse. Puis le jeune homme décroche un bac technique, poursuit des études d’informatique, commence à travailler entre 2000 et 2006 ici et là dans le milieu industriel, jusqu’à ce que les hasards de la vie le replongent dans l’univers de l’image.
Diplômé du prestigieux
World Press Photo
En 2006, il travaille pour une société d’équipement en thalassothérapie et balnéothérapie. En se préparant à exposer dans un salon spécialisé, le chef d’entreprise se rend compte que son équipe avait oublié de commander une affiche et des photos de leurs produits. Amine Boussoffara propose d’entreprendre ce travail. Le résultat est tellement probant, qu’au moment du salon, il reçoit une flopée de commandes venues essentiellement d’hôteliers. L’année 2008, Amine se consacre totalement à la photo et commence, armé pour la première fois d’un appareil à lui tout seul, à exposer dès 2009 à Mahdia, dans l’espace Arts : « J’ai tout vendu ! », s’exclame encore ravi l’artiste.
Comme beaucoup d’autres photographes tunisiens, la photo de la révolution, où les corps et les paroles se libèrent du joug de la peur, est presqu’un passage obligé. D’ailleurs, sa photo en noir et blanc des mains levées brandissant le signe du dégage connaît une grande notoriété et fait la couverture d’un livre « Dégage une révolution » (édition Phébus Paris, décembre 2011). Amine fait également partie du collectif Dégage, avec onze autres photographes tunisiens, qui exposera ses clichés à Arles et à l’IMA Paris, en 2011 et à Genève et Bruxelles 2012.
En 2014, Amine Boussoffara est diplômé du prestigieux World Press Photo en Hollande : « J’y ai appris l’éditing, la manière de construire une histoire à travers les images », explique l’artiste. En 2014 encore, il signe les photos de l’exposition « Les fantômes de la Révolution » organisée par le World Press Photo et Human Rights Watch. Un projet qui donnera lieu à un livre : « Stories of Change. Beyond the Arab Spring ».
Personnage principal
de « La Dernière Image »
Puis, l’artiste revient à ses anciennes amours, les architectures anciennes, urbaines et rurales de son pays. Des photos en noir et blanc pour leur plupart prises avec une perspective magnifiant un détail d’architecture, une moulure, une façade, une porte, un balcon…
«En errant ici et là, le regard accroché aux vieux bâtiments, je ressens toute la vulnérabilité de ces immeubles menaçant ruine. Des immeubles parasités par des câbles et enseignes qui cachent leur splendeur. Mes photos tentent de sauver de l’oubli et de documenter ce riche patrimoine matériel ».
En 2021, Amine Boussoffara est le personnage principal du documentaire « La Dernière Image », réalisé par Aymen Yacoubi pour la chaîne Al Jazira. Le photographe joue dans le film le rôle du guide dans le Tunis du XIXe siècle, dans cet univers qu’il connaît si bien, qu’il a tant exploré et tant pris en photos. Le documentaire fait le tour de la Toile et connaît un grand succès.
Depuis, le photographe « hittiste », comme l’appellent ses amis pour sa fréquentation inlassable des murs de Tunis notamment, ne rêve que d’un livre pour consigner le meilleur de ses archives des derniers témoins de ces architectures en voie de disparition.