Au cours de certaines phases de l’histoire de la Tunisie, l’Etat a exercé son emprise sur la Centrale syndicale allant jusqu’à mettre en place une direction qui lui était totalement acquise. Par la suite, l’Ugtt avait pris des forces qui lui avaient permis d’agir d’égal à égal avec le gouvernement.
La scène nationale, politique et sociale est marquée depuis quelques semaines par de nouvelles donnes susceptibles de changer, voire métamorphoser, l’avenir proche de l’échiquier politico-syndical.
Les observateurs n’hésitent pas à augurer de changements des acteurs qui animent le paysage politique, dont l’impact est en train de se modifier progressivement. Dans cette nouvelle donne, l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) occupe une place de choix.
Dans l’état actuel des choses, les rapports entre les deux principales forces du pays, l’exécutif et la centrale syndicale, semblent avoir pris une nouvelle tournure. Chacun des deux acteurs semble se conformer à son statut initial que lui confèrent la Constitution et la pratique de la chose publique.
Si l’on remonte un peu dans l’histoire, on constate que lesdits rapports ont souvent dérapé pour avoir dévié de leur itinéraire, donnant à voir des luttes féroces pour accaparer une place plus grande et de pouvoir.
Au cours de certaines phases de l’histoire de la Tunisie, l’Etat a exercé son emprise sur la Centrale syndicale allant jusqu’à mettre en place une direction qui lui était totalement acquise. Par la suite, l’Ugtt avait pris des forces qui lui avaient permis d’agir d’égal à égal avec le gouvernement. L’Union avait repris du poil de la bête pour jouer son rôle en redevenant un partenaire social et un acteur clé dans les négociations relatives à la révision des salaires, des conditions de travail.
Cette période a été synonyme de ce qu’on appelait, la « paix sociale », et ce jusqu’en 2010, année qui a vu l’Ugtt organiser les deux manifestations décisives en janviers 2011 à Sfax, puis à Tunis.
Faiseuse de roi ?
De fait, la Centrale s’est imposée comme un acteur incontournable de la vie politique dans la mesure où elle n’hésitait pas imposer ses « diktats » jusqu’à devenir, un certain moment, faiseuse de roi. Appelant à révoquer tel ministre et à nommer tel autre. Ses désirs étaient des ordres. Combien de ministres ont été limogés sans autre forme de procès pour avoir osé défier quelques syndicalistes qui font la loi dans les hôpitaux et les fédérations de l’enseignement? Pendant que d’autres — et parce qu’ils ont l’appui de la place Mohamed-Ali — sont devenus « intouchables» quoi qu’ils fassent.
On n’est pas près d’oublier le bras de fer que la Fédération générale de la Santé, en la personne de son secrétaire général, Othman Jellouli, avait engagé avec le ministère de la Santé, dirigé, à l’époque, par Saïd El Aïdi.
Des répliques qui resteront dans les annales. Suite à des mesures disciplinaires appliquées à l’encontre de syndicalistes qui avaient effectué un rassemblement non autorisé, les protestataires ont insulté le ministre et ses collaborateurs, disant textuellement : « Il faut que le ministre apprenne que lorsque son maître Noureddine Taboubi ou moi Othman Jellouli, nous l’appelons, il doit nous rappeler !», criait le syndicaliste et secrétaire général de la Fédération générale de la santé, Othman Jellouli, qui poursuit : «Soit il revient sur les décisions prises contre ses maîtres, soit il va quitter son poste». Et c’est vrai, le bras de fer s’est soldé par le départ du ministre.
Idem pour l’ancien ministre de l’Education, Néji Jelloul, dont le départ avait été réclamé par le bureau exécutif élargi de la Centrale syndicale qui avait « invité le chef du gouvernement, Youssef Chahed, à lui trouver un remplaçant pour garantir un climat sain… »
Un rôle historique et quelques attributions
Et là encore, le conflit s’est terminé par le limogeage du ministre, un certain dimanche 1er mai 2017. D’ailleurs, c’est le secrétaire général de l’enseignement secondaire de l’époque, Lassâad Yaâcoubi, qui avait considéré que le limogeage du ministre constituait un pas positif de la présidence du gouvernement. Le même responsable syndical précisait en substance : « La décision du limogeage de Néji Jelloul a été prise à la suite d’un accord conclu entre la présidence du gouvernement et la direction de la Centrale syndicale ».
Après ces errements, il semble que l’Ugtt soit revenue à la raison, en essayant cette fois-ci d’être constructive et d’élaborer une initiative conjointe avec le Conseil de l’Ordre des avocats, la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (Ltdh) et le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. Seulement, et malgré le tapage médiatique, ce projet n’a pas vu le jour.
Par ailleurs, l’Ugtt dont personne ne conteste le poids historique et social, a reconnu la valeur et l’impact du processus du 25 juillet 2021, en ajoutant que le retour en arrière n’est plus à l’ordre du jour. Selon Noureddine Tabboubi, le 25 juillet 2021 est l’aboutissement des échecs accumulés tout au long d’une décennie. Et cette date témoigne du ras-le bol des Tunisiens. La Centrale syndicale avait ajouté timidement qu’il faut respecter le choix du peuple. Et que la démocratie doit contribuer à améliorer la vie des Tunisiens, sinon ce n’est pas une vraie démocratie.
L’Ugtt, entre son rôle de partenaire social de poids qui défend les travailleurs et celui d’acteur politique avec des attributions hors-normes qu’elle s’est arrogées tout au long de la dernière décennie, semble encore se chercher.