La protection du secteur agricole passe depuis pas longtemps par une utilisation intensive de pesticides. Leur utilisation permet l’augmentation des rendements, en simplifiant les systèmes de culture et les stratégies de protection des cultures. Cependant, cela a conduit à l’accumulation de pesticides dans les produits agricoles et dans l’environnement, contaminant l’écosystème et provoquant des effets néfastes sur la santé. Les bio-pesticides sont les alternatives les plus importantes à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques chimiques.
«Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pesticides sont devenus la pierre angulaire d’un modèle agricole basé sur l’utilisation croissante d’intrants issus de l’industrie chimique. Majoritairement considérées comme une avancée révolutionnaire pour protéger les cultures, améliorer les rendements agricoles et répondre aux besoins alimentaires d’une population mondiale grandissante, ces substances se sont progressivement diffusées aux quatre coins du monde. Le «régime chimique» s’est imposé partout. Leur marché n’a cessé de croître malgré le développement d’alternatives à la chimie de synthèse dès les années 1960», nous explique Sofiène, chercheur dans le domaine agricole.
Selon lui, les alertes se sont multipliées concernant leurs effets délétères. Cela concerne notamment, la pollution des sols, la perte de biodiversité, l’apparition de résistances aux traitements nécessitant d’augmenter les doses, l’affaiblissement de la santé humaine, animale et environnementale. «Deux tiers des résidus présents dans l’alimentation européenne sont le fait de molécules suspectées d’être des perturbateurs endocriniens», assure le chercheur. Et de poursuivre : «Pourtant, l’utilisation des pesticides perdure. Pour le comprendre, il faut saisir le rôle que jouent ces produits dans notre agriculture, encore aujourd’hui très dépendante».
Pourquoi cet acharnement sur les pesticides ?
Egalement appelés «produits phytosanitaires», les pesticides servent à protéger les cultures agricoles contre différentes menaces, afin de limiter les risques de perte de récoltes et donc d’améliorer le rendement.
Les agriculteurs utilisent principalement «des herbicides», pour désherber les cultures, afin de lutter contre les mauvaises herbes qui viennent concurrencer les légumes et les céréales (c’est le type de pesticide le plus utilisé, avec en moyenne, des «insecticides», pour repousser les insectes et parasites qui s’attaquent aux cultures, comme les mouches qui pondent dans les fruits, des «fongicides», pour lutter contre les champignons, qui provoquent des maladies sur les plantes.
«Il existe aussi des produits moins populaires pour lutter contre les acariens (acaricides), les oiseaux (avicides), les escargots et limaces (molluscicides), les vers ronds (nématicide), les rongeurs (rodenticide) et même les poissons (piscicide). Au total, quelque 4.000 produits phytosanitaires sont autorisés sur les marchés européens», détaille Sofiène. Il nous explique que le type de pesticide utilisé dépend de la nature de la culture et des menaces identifiées par les agriculteurs.
En revanche, et vu la gravité de ces produits sur la santé humaine, animale et l’environnement, il est donc impératif pour la production agricole de trouver de nouvelles possibilités de protection des plantes et de lutte efficace contre les ravageurs sans conséquences pour l’homme et l’environnement. «Les bio-pesticides sont les alternatives les plus importantes à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques chimiques. Cependant, afin d’augmenter leur application et leur disponibilité, il est nécessaire d’améliorer l’efficacité et la stabilité grâce à de nouvelles substances actives et à des formulations améliorées», assure le chercheur.
Les bio-pesticides sont des substances chimiques et des agents antiparasitaires issus de sources naturelles comme des bactéries, des champignons, des virus, des plantes, des animaux et des minéraux. Ils peuvent offrir une solution de rechange aux produits chimiques de synthèse utilisés pour lutter contre les populations de ravageurs dans les champs cultivés et d’autres environnements de production.
«Même s’il n’existe aucune définition officielle des bio-pesticides, dans le domaine de l’agriculture, ils pourraient être caractérisés de la manière suivante : organismes vivants ou produits issus de ces organismes ayant la particularité de limiter ou de supprimer les ennemis des cultures», explique notre interlocuteur.
Les produits considérés comme des bio-pesticides par les agences de règlementation européennes et mondiales sont d’origines diverses et peuvent être classés en trois grandes catégories, selon leur nature. «Il y a tout d’abord les bio-pesticides microbiens. Ils comprennent les bactéries, champignons, oomycètes, virus et protozoaires. L’efficacité d’un nombre important d’entre eux repose sur des substances actives dérivées des micro-organismes. Ce sont, en principe, ces substances actives qui agissent contre le bio-agresseur plutôt que le micro-organisme lui-même. En second lieu, l’on trouve les bio-pesticides végétaux. Ce sont les plantes qui produisent des substances actives ayant des propriétés insecticides, aseptiques ou encore régulatrices de la croissance des plantes et des insectes. Le plus souvent, ces substances actives sont des métabolites secondaires qui, à l’origine, protègent les végétaux des herbivores. En dernier lieu, il y a les bio-pesticides animaux. Ce sont des animaux comme les prédateurs ou les parasites, ou des molécules dérivées d’animaux, souvent d’invertébrés comme les venins d’araignées, de scorpions, des hormones d’insectes, des phéromones…», garantit le chercheur.
Les bio-pesticides et leurs avantages
La nature des bio-pesticides permet leur utilisation aussi bien en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle. Sofiène nuance : «Il est cependant à noter que, dans certains pays, la règlementation en vigueur ne permet pas l’utilisation en agriculture biologique de tous les bio-pesticides commercialisés sur leur territoire. Si la substance active de ces produits ne pose pas de problème règlementaire, leurs co-formulants peuvent ne pas être compatibles avec ce type d’agriculture. Ainsi, il est recommandé aux agriculteurs biologiques de consulter les listes de produits commerciaux à base de bio-pesticides autorisés par leur organisme certificateur avant toute utilisation».
Les mises en garde !
Certains des avantages écologiques des bio-pesticides, comme leur faible rémanence ou le fait qu’un produit soit actif contre un faible spectre de nuisibles, peuvent être considérés comme des inconvénients. «En effet, ces deux avantages écologiques combinés à leur activité souvent dépendante des conditions climatiques et environnementales rendent certains bio-pesticides moins efficaces que leurs homologues chimiques», mentionne le scientifique. «Les bio-pesticides ne me conviennent pas car ils ne sont pas assez efficaces», regrette un agriculteur de la région de «Mornag». Selon lui, «les scientifiques évaluent leurs résultats à court terme, comme s’il s’agissait d’un substitut aux produits phytosanitaires chimiques. Or, la mise en place et l’efficacité d’un contrôle biologique doivent être évaluées sur la durée».
D’après le cultivateur, les bio-pesticides servent à lutter souvent en prévention et ils sont moins efficaces lorsqu’il s’agit de stade curatif. Aussi, leur effet est moins drastique que les pesticides (plus d’applications). Egalement, leur seuil de tolérance est très bas pour les ravageurs et leur efficacité n’est pas toujours constante d’une production à l’autre. Toujours selon ce producteur agricole, leur activité est restreinte lors d’une grande pression du ravageur.
Héla, jeune ingénieur agronome, a un tout autre avis. «Le maïs fait partie des plantes les plus cultivées dont on a modifié la génétique. Pourquoi ? On cherche surtout à diminuer l’utilisation des insecticides et leur dépendance, car ils sont nocifs pour la santé et l’environnement à long terme. Et les bio-pesticides en sont la clé», se félicite la jeune diplômée.
Partisantes et convaincues
D’après elle, les bio-pesticides agissent sans affecter les autres organismes —y compris les humains—, contrairement aux insecticides à large spectre. «La bactérie Bacillus thurigiensis (Bt) est un bacille utilisé pour la lutte biologique sous forme de bio-pesticide. Sa spore facilite sa dispersion afin d’amorcer l’infection de son hôte. Les parasites qui ingèrent cette spore sont alors assaillis par des toxines produites par la bactérie. C’est en germant dans le tube digestif de l’organisme hôte que la spore s’y installe pour mieux attaquer les parasites. L’utilisation de bio-pesticides évite d’avoir à traiter tous les plants car, grâce à l’effet de halo, les plants auxquels on a modifié la génétique pour y inclure la bactérie Bt protègent indirectement les plants non modifiés qui sont à proximité. Dans le cas du maïs OGM, les mites laissent leurs œufs sur les maïs-Bt comme sur les maïs non traités, mais leurs chenilles ne survivent que sur les seconds. Le bio-pesticide permet donc de réduire le nombre d’œufs pondus, la propagation des chenilles et, conséquemment, les dommages faits sur les plants de maïs».
Donc, l’efficacité des bio-pesticides est évaluée selon la réussite de répression des parasites. S’ils sont bien contrôlés, le pesticide est efficace. Selon elle, «les bio-pesticides sont sans danger pour l’environnement. Ils sont faciles à utiliser, puisqu’ils ne nécessitent qu’un pulvérisateur conventionnel. Cependant, plusieurs applications sont souvent nécessaires, car les insectes peuvent se cacher», explique-t-elle. L’ingénieur ajoute que leur application doit se faire dans des «conditions climatiques idéales», c’est-à-dire en l’absence de pluie, pour éviter le lessivage, et de vent, cette fois pour éviter la dérive et la dispersion dans l’air. Toutefois, les bio-pesticides «n’éliminent pas complètement les ravageurs, et une utilisation répétitive peut amener une résistance chez les insectes à contrôler», souligne-t-elle. D’après l’analyse faite par tous les intervenants, il serait possible d’envisager le remplacement à court terme des produits chimiques utilisés dans les pesticides par des micro-organismes. Cependant, ils pourraient s’avérer inefficaces à long terme à cause de la résistance engendrée par une sur-utilisation. Il est d’ailleurs recommandé d’utiliser les bio-pesticides en complément à d’autres stratégies de lutte contre les parasites qui s’en prennent aux cultures, puisque, comme le rappelle le professeur, les bio-pesticides ne font pas office de «remède miracle». On peut néanmoins s’en servir pour prévenir les effets ravageurs des parasites tôt dans l’infection lorsqu’ils ne sont pas encore en grand nombre.
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