A côté de son frère Habib, Rachid Belhassen composait un tandem de feu qui participa aux nombreux trophées du Stade Nabeulien à une époque pourtant dominée par la grande formation de l’Etoile Sportive Radésienne.
Pivot international de l’âge d’or du basket nabeulien, il revient sur sa carrière en Tunisie et en France et sur la balle au panier des années 1960-70.
Rachid Belhassen, vous avez eu pour compagnon d’aventure un immense personnage du basket nabeulien, feu Habib Belhassen qui n’est autre que votre frère aîné. N’est-ce pas là un avantage pour un jeune basketteur qui veut aller loin ?
Bien évidemment. En plus d’avoir été un grand talent et une force de la nature, choisi meilleur joueur aux Jeux africains de Lagos, en 1974, Habib Belhassen était apprécié et aimé par tous pour ses qualités humaines : sincérité, franchise, don de soi, générosité… C’était en fait mon idole. Je lui portais son sac lorsque j’étais jeune. Il m’a fait aimer le basket. En sélection nationale, nous avons passé une année inoubliable ensemble. Il a fait aimer le basket aux jeunes de Kairouan lorsqu’il dut s’installer dans cette ville pour des raisons professionnelles. Je crois que tous les Kairouanais lui en sont reconnaissants. Son souvenir est toujours présent. En fait, peu de gens savent que Habib pratiquait deux sports en même temps: le samedi après-midi, c’était le basket, et le dimanche matin, le rugby avec son club de toujours, le Stade Nabeulien.
En votre temps, la famille Belhassen n’était pas la seule à compter au moins deux frères dans l’équipe de basket du SN ?
Non, il y avait aussi les frères Rezig (Mohamed et le fantastique Salem, l’homme de la passe aveugle de la main gauche), les Gastli (Mohamed et Sahbi), les Ben Zaied (Hamadi et Nejib), les Ezzine (Tarek et Mokhtar qui ne sont certes pas des frangins).Tout comme les Taoufik «Toto» Ben Abdallah 1 et 2.
De qui se composait la formation nabeulienne de l’époque ?
Les deux Ben Abdallah, l’infranchissable digue feu Sahbi Sallem, quelqu’un qui ne s’avoue jamais vaincu, Habib et Rachid Belhassen, Hamadi et Nejib Ben Zaïed, Mokhtar Zine, feux Slah Ayed et Sahbi Hadidane, Tarak Zine, Nejib Khelifi et j’en passe. Rien que du joli monde, en fait.
Le Stade Nabeulien a perdu son lustre d’antan. La saison précédente, il l’a échappé belle au terme du play-out. De ce pas là, tôt ou tard, il risque de plonger. Comment analysez-vous une telle descente aux enfers ?
La situation du sport à Nabeul fait réellement mal au cœur. Le basket a perdu du terrain, le handball, un fleuron du club vit une chute libre. Le football se traîne dans les divisions inférieures. Il faut d’abord prendre du recul pour analyser la situation, et trouver ensuite les fonds nécessaires à la relance. Une région économiquement réputée être très dynamique n’a pas le droit de manquer d’ambition et de brader ses meilleurs produits partis monnayer leur talent ailleurs. Je crois que la raison essentielle de ce déclin a trait à l’absence de fonds, ce qui incite les dirigeants à vendre les meilleurs produits. Le résultat, vous le connaissez: l’exil auquel sont contraintes les grandes figures du club, et ce qui en découle comme appauvrissement de la qualité technique d’un bastion fort du basket national.
En votre temps, vous avez également dû vous exiler en France. Dans quelles circonstances ?
C’est le sélectionneur américain de l’équipe de Tunisie, Bill Sweek, qui me conseilla auprès d’un Prof au Lycée Carnot dont le père était président de la Jeunesse Laïque de Bourg-en-Bresse. Ce n’était certes pas le haut niveau, mais nous rencontrions régulièrement les grands clubs, tel Villeurbanne et de grandes vedettes comme Jean-Claude Bonato, rendu célèbre par son «bras roulé».
Votre président, Si Mohamed Fekih, n’a-t-il pas usé de son droit de vous empêcher de partir ?
Non, Si Mohamed Fekih est un personnage exquis, un vrai passionné de sport, pas comme beaucoup de dirigeants d’aujourd’hui qui se servent du sport au lieu de le servir. C’est notre père à nous tous, joueurs du Stade Nabeulien. Il m’a accordé un bon de sortie parce qu’il savait parfaitement que je ne pouvais plus rester contre mon gré. Je n’oublierai pas non plus Ali Maâmouri, un dirigeant comme il n’en existe plus, dévoué, passionné et généreux. Quatre fois par semaine, il nous ramenait de Tunis où nous poursuivions nos études jusqu’à Nabeul à bord de sa bagnole pour nous permettre de nous entraîner avec l’effectif. C’est lui qui a insisté afin que je sois aligné en 1968 dans mon premier match avec les seniors, à Sousse contre l’Etoile du Sahel. Je devais alors remplacer Khairallah Tlatli, le frère aîné de l’ancien sélectionneur national, Adel Tlatli.
Quelle a été votre meilleure rencontre ?
A Sousse, contre l’Etoile du Sahel qui devait ce jour-là gagner afin d’échapper à la relégation. L’ambiance était électrique. L’intimidation était de rigueur, y compris de la part d’un ancien grand footballeur international étoilé qui se trouvait parmi les spectateurs. En l’entendant m’insulter, mon frère Habib, qui était avec moi sur le terrain perdit le nord. Il enleva son maillot pour aller se bagarrer avec lui. Bref, cela a failli dégénérer. Par un sixième sens de fin psychologue, notre dirigeant Ali Maâmouri insista auprès de notre entraîneur Shenkir afin de ne pas me remplacer. Malgré mon énervement, il savait que c’était devenu pour moi une question d’honneur: il me fallait gagner ce match-là coûte que coûte afin de rendre la monnaie de sa pièce à celui qui m’a insulté gratuitement. Sans que je lui aie adressé la moindre parole.
Avez-vous donné raison à votre dirigeant, Ali Maâmouri ?
Oui. Croyez-moi, il ne pouvait en être autrement. L’agression verbale dont j’ai fait l’objet décupla ma volonté et mes forces. J’ai inscrit la bagatelle de 42 points, et commis tout juste deux ou trois fautes. Pourtant, d’habitude, je ne commettais pas moins de quatre fautes par match. Ce jour-là, le dirigeant Kaddour Chelli, un Nabeulien pur jus installé à Sousse et qui allait devenir la cheville ouvrière du basket à l’Etoile, n’en revenait pas !
Y a-t-il eu un autre grand match dont vous vous souvenez toujours ?
Oui. Celui-là, je l’ai joué en France, avec mon club Bourg-en-Bresse face à Asnières. J’ai réussi les points de la victoire (88-87) dans les trois dernières secondes grâce à deux lancers francs. Le lendemain, le journal local «Le Progrès» a mis en exergue en manchette la belle performance que j’ai réussie.
Quel est votre meilleur souvenir sportif ?
Notre victoire in extremis, dans un scénario hitchcockien contre l’Etoile Sportive Radésienne en finale de la coupe de Tunisie 1973. Ce sont douze ans de domination sans partage de l’ESR auxquels le SN avait mis subitement fin. Mon frère Habib conduisit une contre-attaque de la dernière chance, puisque Radès menait d’un point à trois secondes de la fin. Le ballon dansa autour du cerceau, indécis, ne comprenant pas de quel côté son cœur allait balancer. Eh bien, j’ai forcé la décision en reprenant le ballon d’un dunk. Ce panier-là était immanquablement entré dans la légende.
Et votre plus mauvais souvenir ?
Le championnat d’Afrique 1975 à Alexandrie. A peine arrivé avec la sélection en Egypte, j’apprenais la terrible nouvelle du décès de ma mère Khira qui a été, avec mon père Tahar, notre plus grand supporter, à mon frère Habib et à moi.
La vedette du basket tunisien fut longtemps Salah Mejri, premier Tunisien à évoluer en NBA. Son ascension vous surprend-elle ?
Non, pas vraiment, s’agissant d’un basketteur complet. Sa taille et sa discipline l’ont beaucoup aidé. Il faut avouer que, dès son arrivée à Sousse en provenance de Jendouba, le directeur technique national, Mohamed Toumi, l’a beaucoup fait travailler. Adel Tlatli a su exploiter à bon escient ses qualités en sélection.
Quel est à votre avis le meilleur basketteur tunisien de tous les temps ?
Permettez-moi d’en citer plusieurs. Comment oublier par exemple Kaïs Mrad, Taoufik Ben Abdallah, Taoufik Bouhima, Mustapha Bouchnak, mon frère Habib Belhassen…Dans les années 1970, seuls deux joueurs tunisiens furent retenus au sein de la sélection africaine qui se produisit à Mexico: Taoufik Bouhima et Habib Belhassen ! Dans la génération qui vint par la suite, il y eut Mounir Garali, Lotfi El Benna, Amine Rzig, Mohamed Hadidane, tous des enfants du SN qui savait alors assumer son statut de vivier inépuisable du basket tunisien. D’autres clubs ont également enfanté de grands talents.
Le meilleur entraîneur que vous ayez connu ?
Shenkir, un éducateur modèle. Il nous a appris l’abc du basket, les fondamentaux.
Au niveau des clubs, le basket national n’est pas très fringant. Pourquoi ?
L’argent est devenu la seule valeur qui compte. Forcément, au lieu d’avoir cinq ou six clubs d’un même niveau, seuls les deux ou trois clubs riches font la course en tête. Bientôt, ce sera comme une industrie, un domaine régi par la rentabilité, dénué du moindre charme ou saveur. Il n’ y a pas de travail continu en profondeur, y compris à Nabeul où la disparition de feu Slah Ayed a laissé un grand vide au niveau de la formation. Il n’ y a plus vraiment beaucoup de formateurs comme lui.
Dans votre cas, peut-on dire que vous venez d’une famille sportive ?
Oui, car en plus de mon frangin feu Habib, mon autre frère, Naceur a joué avec l’équipe fanion de handball du SN, alors que mon frère Hassen a longtemps été dirigeant au sein de la section basket-ball du SN.
Que représente pour vous le SN ?
L’oxygène indispensable à la vie. C’est aussi le sang qui coule dans mes veines. Les couleurs de mon club, le vert et oranger, ont rythmé ma vie. En plus des couleurs du drapeau national, elles sont tout ce qu’il y a de plus sacré pour moi.
Que vous a apporté le sport ?
La chose la plus précieuse et inaccessible qui soit, l’amour des gens. Pour tout l’or du monde, cela ne peut pas s’acheter. Les gens retrouvent chez les anciens joueurs les valeurs auxquelles ils croient le plus: l’amour des couleurs, le fair-play et une saine perception du sport. On pratiquait le sport pour le sport. A présent, les joueurs sont obnubilés par le souci des apparences. Ils veulent exhiber coûte que coûte cette richesse ostentatoire qui constitue un nouveau statut pour eux. Forcément, ils ne sont pas suffisamment mûrs pour l’assumer. Les voilà donc à bord de luxueuses voitures rutilantes, flanqués de jolies nanas. Ils oublient qu’une carrière sportive est très brève et éphémère, et que s’ils veulent aller loin, ils doivent consentir d’énormes sacrifices. Malheureusement, réussir une grande carrière, pousser loin l’ambition, viser le haut niveau, tout cela constitue le dernier de leurs soucis. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas encouragé mon fils unique à embrasser une carrière sportive.
Que fait-il aujourd’hui ?
Mohamed Tahar est pharmacien. Il travaille pour un laboratoire américain à Francfort, en Allemagne. Il représente tout pour moi et pour Habiba que j’ai épousée en 1977. La famille, c’est toute mon existence.
Quelle est votre devise dans la vie ?
Rien ne vaut la santé et le bonheur qui est si simple et accessible. A quoi servirait-il de se compliquer l’existence quand on sait que le bonheur n’attend vraiment qu’une chose: qu’on lui tende la main.
Enfin, comment passez-vous votre temps libre ?
A vrai dire, j’en ai très peu. Après la retraite, j’ai fait le conseiller médical. Je fais une heure de marche par jour. La plage, l’été, comme tout Nabeulien qui se respecte, le café pour rencontrer les amis, et le sport à la télé, sans oublier les voyages qui forment la jeunesse: voilà comment je profite de mes journées de retraité.