Avec son imposante carrure de basketteur (1,92 m) et son allure d’un Clint Eastwood ou d’un Terence Hill, Lotfi Rebaï écumait les parquets, changeant de club comme on change de chemise: Widad Montfleury, Club Africain, Rheinhausen et Niederpleis en Allemagne, Espérance de Tunis, et Ittihad Jeddah en A.saoudite. Sans parler du Sept national avec lequel il remporta le championnat d’Afrique des nations, en 1976 dans la fournaise de la salle Harcha d’Alger.
Lotfi Rebaï, dites-nous d’abord à quel poste avez-vous joué ?
A tous les postes, mais j’ai été avant tout arrière gauche. Cela requiert une belle détente, la force de frappe et la rapidité d’exécution.
Quels furent vos entraîneurs ?
Au Wydad, Mustapha Pakis, Nasreddine Ben Othmane, Abderrahmane Hammou. A L’AS Hammamet, Abderrazak Salah, qui était en même temps entraîneur de football. Il a coaché une belle équipe composée de Habib Khedhira, Mankai, Raouf «Tang»… Et puis, Habib Touati à l’Espérance où j’ai passé sept saisons pleines de trophées, Lotfi Bohli à Ittihad Jeddah, Ferran Halalambi, Popescu, Lopescu, Moncef Hajjar et Hachemi Razgallah en équipe nationale.
Et le meilleur ?
Abderrahmane Hammou reste au-dessus du lot. C’était l’homme à tout faire. Il lui arrivait de faire par lui-même le traçage du terrain. Il nous a appris le hand sur des bases solides. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir un joueur international ignorer la fixation du rival. En notre temps, cela nous aurait valu une belle punition. Hammou n’aimait pas toute fantaisie tendant à humilier l’adversaire. Il insistait afin que nous ayons le plus grand respect de l’équipe rivale. Avant tout, c’était un éducateur.
Avec du recul, qu’ont représenté pour vous le Wydad Montfleury et l’Espérance de Tunis ?
Le Wydad a été la mère toute attentionnée et qui n’arrête pas de sacrifier. Un minimum de reconnaissance à son endroit me paraît indispensable, le moins qu’on puisse faire. Quant à l’Espérance, c’est l’âge de la maturité, là où je me suis construit un immense palmarès avec un nombre ahurissant de doublés.
Votre génération a marqué les esprits par sa fabuleuse passe de trois aux toutes premières éditions du championnat d’Afrique des nations: 1974 à Tunis, 1976 à Alger et 1979 au Congo. Quel a été le succès le plus difficile ?
Celui de la deuxième édition, en 1976 à Alger. Ce championnat était qualificatif aux Jeux olympiques de Montréal (Canada) que la Tunisie finira par boycotter après avoir pourtant participé à la cérémonie d’ouverture.
Elle rejoignait les 22 nations africaines qui ont boycotté ces Jeux pour protester contre la présence de la Nouvelle Zélande laquelle avait envoyé quelques mois plus tôt son équipe de rugby en Afrique du Sud, le pays de l’Apartheid. Le directeur technique national, Moncef Hajjar, nous convoqua, Mohamed Lassoued et moi, alors que nous jouions en Allemagne et a écarté Faouzi Sebabti.
Comment avez-vous remporté la médaille d’or ?
Je dois d’abord signaler que, dès notre arrivée à Alger, on nous annonça que nous jouerions le premier match face à l’Algérie dans un système de championnat. C’était donc, d’entrée, une finale avant terme.
Nous étions les tenants du titre à l’issue de l’édition organisée en 1974 au Palais des Sports d’El Menzah. Le 10 avril 1976, la salle Harcha Hassan d’Alger qui pouvait contenir jusqu’à 8000 spectateurs était chauffée à blanc.
Il n’ y avait pas un siège vide. L’atmosphère était irrespirable avec un public qui n’arrêtait pas de pousser derrière ses favoris et qui ne se privait guère d’utiliser d’autres moyens pour encourager ses joueurs. Notre Sept représentatif pouvait alors compter sur Moncef Besbès, Amor Sghaïer, Raouf Ben Samir, El Ouaer, Bechir Belhaj, Khaled Achour, Faouzi Sebabti, Jemaïel et moi-même.
Qu’est-ce qui a changé entre le hand d’hier et d’aujourd’hui ?
Le jeu est aujourd’hui plus rapide, plus puissant. En termes de vélocité et de condition physique, il a énormément évolué. Notre génération était plus technique et plus malicieuse. Le fameux retourné d’un Moncef Ben Amor, l’ancien joueur du Stade Nabeulien, qui peut à présent réussir un tel exploit technique ?
Le handball reste malgré tout la discipline la plus performante parmi le sport tunisien, non ?
Si. Nous aurions même pu remporter le championnat du monde 2005 dans l’édition organisée par notre pays. Nous avons été remontés au score dans les matches décisifs en demi-finale contre l’Espagne et au match de classement devant la France.
Le sélectionneur Saad Hasanefendic n’était pas à mon avis au niveau de l’événement. En fait, notre hand a de tout temps produit d’excellentes cuvées de joueurs: les Khalladi, Hammou, Baccouche…., puis les Sbabti, Jelili, Lassoued…, ensuite les Khaled Achour, Samir Abassi… Rien que des noms qui font trembler l’adversaire.
Quel est à votre avis le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?
Mohamed Lassoued. Il a évolué avec moi en Allemagne. Notre entraîneur a demandé sa naturalisation, et cela démontre à quel point il lui paraissait important. Dois-je rappeler que ce coach-là n’était pas n’importe qui. En effet, il avait conduit son équipe, la Yougoslavie au titre olympique 1972.
Si vous n’étiez pas dans le sport, qu’auriez-vous fait ?
Je ne peux pas m’imaginer ailleurs que dans ce domaine plein de grâce, de charme et de magie. Peut-être aurais-je été juge afin qu’il y ait davantage de justice et d’équité dans la vie.
Quelle est votre devise dans la vie ?
Il faut prendre l’existence comme elle vient, et ne pas trop se la compliquer.
De qui se compose votre famille ?
J’ai épousé Mounira dite Samia en 1978. Nous avons deux filles et un garçon: Sourour, cadre touristique à Paris, Hanène, commerçante, et Ridha, employé dans une compagnie aérienne.
Comment passez-vous votre temps libre ?
Longtemps, je me passionne pour une cause que je trouve sacrée: la relance de Hammam-Lif, la ville où ma famille s’était installée alors que je n’avais que six ans. J’ai œuvré dans cet objectif dans le cadre de l’association «Hammam-Lif Taich» (Vive Hammam-Lif !), une association sociale, sportive et culturelle dont j’ai été le trésorier.
Et à part cette cause ?
Je lis beaucoup, surtout des romans policiers. A la télé, je regarde les documentaires. Je suis aussi mélomane: d’Oum Kalthoum et Abdelhalim Hafedh à Barry White, Diana Ross, James Brown, les Temptations, Led Zeppelin, tout me ravit.
Quel est le livre qui vous a marqué ?
Papillon, d’Henri Charrière.
Votre film préféré ?
Sacco et Vanzetti.
Enfin, êtes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?
Oui, en dépit de toutes les infos et analyses alarmistes dont nous abreuvent à longueur de journées les médias. La Tunisie va surmonter son «quart d’heure» difficile. Elle dispose de tous les atouts pour passer ce cap.