Par Ilyes BELLAGHA*
A Aujourd’hui, et j’assume ce que je dis en tant qu’architecte, le créateur d’espace, quel que soit le niveau de son intervention, est devenu un créateur de problèmes, si on en juge par le résultat obtenu alors que nous ne sommes pas redevables de moyens comme en médecine, mais de résultats.
Venons-en au territoire : le territoire est comme un corps, une anatomie qui peut bien se porter comme aussi présenter les signes d’un malaise. Chez nous, ce dérangement consiste en un mal-être généralisé dans toutes les classes sociales et toutes les générations, chez les nantis comme chez les pauvres et chez les jeunes comme chez les moins jeunes ; ce qui réfute la thèse selon laquelle la crise est uniquement socioéconomique. Elle est assurément politique et seuls les aménageurs d’espace doivent défricher loin pour trouver le pourquoi et le comment de cette asphyxie territoriale, pour chuchoter le constat chez le décideur qui, normalement, devrait être heureux du travail fait.
A cette fin, un collectif de concepteurs d’espace, d’experts, d’universitaires en sciences humaines, en somme un collectif où tous les membres sont occupés, si ce n’est préoccupés par la problématique du territoire, ou plutôt des territoires, se sont emparés d’une problématique à deux versants : le premier est d’essayer de faire le tour sur ce qu’est le territoire ou les territoires, comme faire passer le plus rapidement le relais à la génération suivante sans que pour autant nous voulions qu’elle soit sur nos pas.
Bien sûr, les deux versants se rejoignent là où ce qu’on nomme le sommet et sans savoir, pour l’instant, où le premier versant devrait nous mener. Il nous est d’ores et déjà acquis que la conception et la gestion d’un territoire sont des domaines différents. La conception est une affaire technique, esthétique et poétique : maîtriser l’instrument de musique, avoir une série de notes harmonieusement arrangées et surtout, une virtuosité qui fera transcender la personne qui écoute. Une belle conception spatiale est une belle symphonie. La gestion est une toute autre paire de manches. Elle dépend de celui auquel qui on la confie, d’une administration qui considère encore que les mairies sont ses tentacules et impose ses règles centrales à tous et partout. Ceci revient à ce que l’œuvre de Abdel Wahab est écoutée dans le mariage de la voisine, on devrait alors inventer une autre méthode de gestion.
Pour l’autre versant, il faut que, dès maintenant, les jeunes promus et les étudiants apprennent à parler et à écouter les plaintes de leurs concitoyens, à les décoder et à les recoder en un schéma qui n’est réellement qu’une présentation abstraite mais conventionnelle de ce qu’on appelle un plan. Enseigner la conception d’espace sans être dans l’espace, c’est comme si on apprenait la médecine à des étudiants qui seront tout le temps sur les bancs des classes et des amphis.
Restons calmes et réfléchissons ensemble : on pense selon le langage qu’on a, une idée qui passe par la tête en étant dite intérieurement et donc, plus le langage est fourni, plus l’expression est riche. Mais où le concepteur enrichit son langage concernant l’espace si on ne lui donne ni les moyens d’écouter l’espace ni l’espace qui parle et qu’on apprend à écouter.
Le plan est la forme la plus tyrannique qui existe, surtout à l’échelle de la ville. Ces plans oublient souvent qu’une fois réalisés, ils seront des lieux de vie. Cher lecteur, je peux vous présenter dix propositions de plan de la même ville, vous n’allez choisir que parmi ce que je vous propose. Comment faire alors ? Le pouvoir d’un concepteur ne peut être estompé que par un contrepouvoir, le vôtre. Pour cela, il vous faut à vous et à vos concitoyens, acquérir la culture. Ainsi, que ce soit la bonne conception ou la bonne gestion, le problème est uniquement culturel pour que vous arriviez à vous faire comprendre, culturel pour apprendre à gérer ensemble et culturel afin de ne pas laisser une institution ou un individu décider pour vous.
I.B.
* Président de l’Association architectes, Citoyens