Le musée national du Bardo a rouvert ses portes au public hier matin. Ces deux années de fermeture ont permis à ses responsables de rénover et de rafraîchir quelques-uns de ses espaces. Mais Le Bardo tarde toujours à devenir un lieu véritablement attractif, en conformité avec l’esprit de notre époque. Reportage.
« J’ai organisé des milliers de visites du Bardo, mais celle-ci va s’inscrire à tout jamais dans ma mémoire ! », s’exclame Alaya Ammar, médiateur culturel au musée national du Bardo.
En cette matinée du 14 septembre où rouvrait,dès 9h30, le temple de la mémoire tunisienne après un peu plus de deux années de fermeture à la suite du 25 juillet 2021 et le gel des activités du Parlement, qui se trouve sur le même territoire que le Bardo, Alaya Ammar renoue, enfin, avec son métier d’origine, consistant à guider les gens dans leur découverte du musée. Il accompagnait hier un groupe formé de deux dames et de leurs quatre filles dans les nombreux espaces du monument, grand de 20.000 m2. Un site qu’il connaît sur les bouts des doigts. Sa fierté est infinie : il a participé avec tous les ouvriers et employés du Bardo à l’action de rafraîchissement de la peinture de plusieurs salles et notamment celles se trouvant au rez-de-chaussée, où des innovations ont été introduites. Parmi lesquelles la présentation du Coran Bleu au public, unique en son genre et jouissait d’une grande notoriété, ce parchemin datant des cinq premiers siècles de l’Hégire a été transcrit en lettres d’or, l’intégration des citernes de l’ancien palais beylical, écrin du musée, dans la visite, l’exposition de poteries de Sejnane, un artisanat classé au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2018, rénovation de certaines vitrines et des changements muséographiques, consolidation du monument historique qui abrite les collections.
Transmettre aux enfants la richesse de leur histoire
Inauguré en 1888, restauré à au moins deux reprise, Le Bardo a été rénové et sa muséographie entièrement changée entre 2009 et 2012 lors d’un chantier dirigé par la Banque mondiale. Le musée a subi, le 18 mars 2015, une tragédie, une attaque terroriste, qui a entraîné un lourd bilan : 22 morts, dont une majorité de touristes étrangers. Le lieu garde encore les points d’impact des balles sur les murs de la salle de Dionysos.
Ce n’était pas la cohue hier au Bardo. Des touristes de toutes nationalités arrivent par duos ou par trios. Et la conservatrice, Fatma Nait Yghil, refuse de donner une quelconque déclaration ou interview aux journalistes tunisiens et étrangers venus couvrir l’évènement. Lamia Mouelhi, sa mère et ses deux enfants sont les premiers à fouler le sol de ce lieu de mémoire. Lamia ne voulait pas rater un tel évènement, notamment en cette veille de rentrée scolaire où son fils de 9 ans et sa fille, âgée de 13 ans, sont encore en vacances. « Les enfants doivent connaitre leur passé, les fonds historiques et les trésors archéologiques hérités des civilisations de leur pays », affirme la maman, qui n’arrête pas de répondre aux questions de son fils, ébahi devant les grandes mosaïques au sol provenant d’Uthina et les statues des dieux et empereurs en marbre blanc de la salle de Carthage. La visite se poursuit et la famille s’arrête longuement devant deux trésors du Bardo, la mosaïque ressuscitant Le Triomphe de Neptune, réalisée au milieu du IIe siècle après J.C puis devant la mosaïque de Virgile, qualifiée par Alaya Ammar comme « la Joconde du Bardo ». Le médiateur culturel a bien raison, puisque cette pièce incarne le seul portrait que l’humanité ait de l’auteur des Bucoliques ayant vécu pendant le 1er siècle avant J.C. Le poète latin est représenté ici avec ses deux muses, Clio et Melpomène, en train d’écrire les vers de L’Énéide, son ouvrage le plus célèbre.
Une rénovation mais toujours incomplète
Pour Nozha Skik, historienne, anthropologue et fine connaisseuse des poteries de Sejnane, auxquelles elle a consacré un livre, les travaux entamés au Bardo ne demandaient pas autant de temps, ni une fermeture complète des lieux.
« Le Louvre a été entièrement refait mais jamais ses portes n’ont été closes. L’argent provenant des entrées des musées de Carthage, toujours fermé, et du Bardo sont une source de financement pour entretenir les sites de toute la République. A côté d’un manque à gagner sur le plan touristique, nous avons vu péricliter nos monuments au cours de ces deux dernières années. Toutes les fouilles ont été suspendues », témoigne Nozha Skik, qui a pris part aux campagnes et pétitions organisées depuis plusieurs mois par la société civile pour appeler à la réouverture du deuxième plus grand et plus riche musée d’Afrique après celui du Caire.
Après une visite de plus d’une heure au musée, l’on se rend compte que ces deux dernières années n’ont pas servi à rattraper tous ces détails de taille, qui empêchent Le Bardo de devenir véritablement attractif. Partant du manque d’espaces d’interprétation du musée et du palais, où l’on explique au public tant ses richesses, son importance, son apport à l’humanité que son architecture, ses éléments décoratifs, l’art de vivre qui y régnait, avec une méthode adaptée à tous les publics (déficit total d’outils audiovisuels de compréhension du musée). En passant par l’absence de lieux de convivialité, un café, un restaurant, une médiathèque. Et en arrivant au peu de diversité dans l’offre de dérivés du musée, appelés également « objets culturels ». Une panoplie de jouets et cartes reprenant une iconographie puisée dans le patrimoine, des copies de statues,des bijoux inspirés de la joaillerie beylicale, des posters avec les plus belles mosaïques, des cahiers, des stylos figurant des déesses, telle que la magnifique Vénus Pudique (IIe siècle av JC).Ces articles, en plus de générer des ressources financières sont susceptibles de laisser chez le visiteur une belle trace d’une promenade dans la fascinante histoire de la Tunisie. Et aussi l’envie d’y retourner…