Transition énergétique | Ali Kanzari, Président de la Chambre Syndicale des Intégrateurs en Photovoltaïque (CIPV), à La Presse : «Nous avons une occasion en or pour devenir un hub méditerranéen d’exportation d’hydrogène vert et d’électricité»

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Sept ans seulement nous séparent de la date butoir fixée (2030) pour atteindre l’objectif de 35% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique. Pourtant, la transition énergétique avance toujours à un rythme d’escargot. Et pour cause: une lourdeur administrative et des procédures rébarbatives qui brident l’élan de la transformation.

C’est, en tout cas, ce qu’affirme Ali Kanzari, président de la Chambre syndicale des intégrateurs en photovoltaïque, qui estime que la multitude des intervenants complique davantage le processus de la transition. “Plusieurs intervenants sont impliqués dans cette transition. Il y a, d’abord, le ministère qui élabore les lois et qui est l’autorité de tutelle de la commission d’attribution des autorisations. Ensuite, il y a la Steg qui reçoit et valide les dossiers, l’Anme qui est chargée de l’octroi des subventions… Aujourd’hui, il y a un grippage quelque part”, a-t-il expliqué, ajoutant que le ministère de l’Industrie manque cruellement de moyens humains et matériels pour pouvoir mener à bon terme cette transition. “En faisant une analyse de la situation, on trouve que le département ministériel chargé de ce dossier n’a pas les moyens humains et matériels. C’est une équipe de 5 personnes qui est appelée à élaborer un programme ambitieux et énorme. Nous, en tant qu’Utica,  avons fait part de ce constat et même les bailleurs de fonds le constatent.  De l’autre côté, il y a la Steg qui dispose d’importantes ressources humaines, en l’occurrence 14 mille employés mais leur répartition laisse à désirer. L’exemple de la gestion du programme Prosol Elec l’illustre parfaitement. Les installateurs souffrent à cause des délais longs de réception, qui sont dûs au manque de personnel qui assure les réceptions dans les districts”, a-t-il indiqué. 

Kanzari a précisé que le traitement long des appels d’offre pour les grands projets génèrent souvent des dérivés de prix (écart entre le prix proposé lors de la soumission de l’offres et le prix qui doit être pratiqué après une certaine période caractérisée par exemple par l’envolée de l’inflation), ce qui mène souvent à des désaccords entre les promoteurs et l’Etat sur les prix à pratiquer.  “Les projets, dont les appels d’offres ont été lancés en 2018, sont achevés en 2021. Les procédures administratives lourdes et complexes et l’instabilité gouvernementale ont fait que le processus a duré trois ans. Normalement, pour réaliser les objectifs tracés, il faut agir rapidement et l’administration n’a pas les coudées franches pour accélérer le processus  d’octroi des concessions”, a-t-il affirmé.

Des prix à la hausse

Le président de la Cipv a, dans ce contexte, appelé à réformer le cadre législatif régissant la transition énergétique en Tunisie et à faire sauter les verrous qui empêchent l’avancement du processus. “Le prix du kilowattheure produit par la Steg est de 450 millimes alors qu’un investisseur propose un tarif de  70 millimes pour le kilowattheure. C’est une manne pour l’économie tunisienne. Cette lenteur va nous coûter cher”, a-t-il ajouté, précisant que, dans ces conditions, les investisseurs commencent à fuir le marché tunisien. “Aujourd’hui, les investisseurs empruntent aux banques européennes à des taux aux alentours de  7%.

Avant la crise Covid et le déclenchement de la guerre en Ukraine, les taux étaient négatifs. Ceci a un impact sur les prix qui seront proposés dans le cadre des appels d’offres que la Tunisie a lancés, récemment, pour des installations de capacité totale de 700 mégawatts. Je pense qu’au vu des résultats des offres précédentes et étant donné la nouvelle donne économique, les prix seront aux alentours de 120 millimes pour  le kilowattheure, alors qu’en 2019, ils étaient de 70 millimes seulement. C’est un manque à gagner que nous allons payer cher, car cette énergie va être payée en devises. Le retard dans la prise de décision nous coûte très cher”, a-t-il affirmé.

Enfin, la mutualisation de la production d’électricité !

Par ailleurs, Kanzari a fait savoir qu’après des négociations laborieuses avec la fédération générale de l’électricité et du gaz, les industriels peuvent enfin recourir à la mutualisation de la production d’électricité à partir des énergies renouvelables et ce conformément aux dispositions de la loi transversale 2019 relative à l’amélioration du climat d’investissement. Cette mesure leur permettra de réduire leurs factures énergétiques et donc d’améliorer leur compétitivité. “La fédération s’est opposée, avant, à cette mesure, perçue alors comme un moyen qui ouvre la voie à la privatisation de la production de l’électricité et qui menace le monopole de la Steg. Or, cette mesure permet de soulager la Steg des coûts de production d’électricité et, par ricochet, d’allonger la durée de vie des équipements de la société. La fédération est même allée loin en bloquant le raccordement de certains projets au réseau de la Steg. Après deux ans, le syndicat et les autorités  se sont accordés sur l’activation de la loi et le déblocage des projets”, a-t-il expliqué. Et le président de la Cipv d’ajouter : “Les négociations sur le prix du transport de l’électricité et celui de l’injection du surplus de la production sont entrées dans leur dernière ligne droite. Il a fallu quatre ans pour appliquer la loi, ce qui est à l’origine d’un manque à gagner pour le pays, d’autant plus que le prix des énergies renouvelables devient de moins en moins cher que celui des énergies conventionnelles. N’oublions pas que le déficit énergétique nous coûte chaque année  10 milliards de dinars et les dépenses de subvention vont crescendo”, a-t-il asséné.

Les propositions de la Cspv

En outre, Kanzari a appelé à  renforcer l’unité chargée des projets de transition énergétique au sein du ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie et à créer, pourquoi pas, une nouvelle unité qui se penchera sur les projets externalisés. Cette unité, dont la création peut être appuyée et financée par les bailleurs de fonds, doit, selon l’interlocuteur,  être composée d’une quarantaine de spécialistes venus de divers horizons. Sa mission est de réaliser les études nécessaires et de proposer les lois permettant d’accélérer la transition énergétique. Le président de la Cipv a également appelé à la mise en place de mesures incitatives pour drainer les investisseurs, telles que la bonification des taux d’intérêt. “Il faut réfléchir à un fonds de transition énergétique revolving qui s’autofinance, et à ouvrir  une ligne de crédits concessionnels pour alimenter ce fonds pour qu’il puisse distribuer des crédits et non seulement des subventions. Il faut imaginer d’autres sources de financement pour le Fonds de transition énergétique FTE”, a-t-il souligné. Il a ajouté qu’il est judicieux de  modifier les méthodes d’octroi de concession afin d’instiller une dose d’efficacité, et ce, en fixant un tarif minimum garanti ou en adoptant la méthode du gré à gré. “Les promoteurs ont commencé à tourner le dos au marché tunisien. Le cadre législatif doit être amendé, parce qu’il est lourd et n’encourage pas l’exportation des énergies renouvelables. Il faut mettre en place un code pour les énergies vertes et l’hydrogène vert. La question des terres domaniales et collectives doit être résolue afin de faciliter l’accès au foncier pour les investisseurs qui souhaitent construire des installations. La Tunisie dispose des atouts faisant d’elle l’objet de convoitise. Nous sommes à 180 kilomètres de l’Italie. La Tunisie est le pays le plus proche  de la rive nord de la Méditerranée et du réseau européen. Nous avons une occasion en or pour devenir un hub méditerranéen d’exportation  d’hydrogène vert et d’électricité”, a-t-il conclu. 

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