Accueil Magazine La Presse Hamadi Touati, ancien défenseur axial de l’EST: «Le choix du cœur»

Hamadi Touati, ancien défenseur axial de l’EST: «Le choix du cœur»

Champion de Tunisie 1969, et vainqueur de la coupe 1964, l’ex-défenseur central de l’Espérance Sportive de Tunis, âgé aujourd’hui de 80 ans, a signé sa première licence en 1960 pour les cadets «sang et or». Avec les seniors, il débuta en 1962 contre l’US Monastir (2-2). Son dernier match, il le livra en 1970 contre l’ESS (2-1).

Hamadi Touati a par ailleurs été élu par notre journal La Presse deuxième meilleur footballeur saison 1967-68, derrière le keeper international monastirien feu Moncef Tabka.

Hamadi Touati, pour commencer, dites-nous ce qu’a pu représenter l’Espérance dans votre existence ?

Quelque chose de sacré. Je ne peux pas tellement suivre ses rencontres tellement je souffre. Mais ma passion exclut le moindre accent de chauvinisme car le sport est tout sauf cette haine qui se manifeste aujourd’hui. En 1965-1966, j’ai disputé un match amical une mi-temps avec l’EST, une autre avec le CA. En 1969, pour son cinquantenaire, l’EST a invité le club belge d’Anderlecht. Nous avons formé une entente composée des joueurs de l’EST, CA, ASM…

Pourquoi avez-vous opté pour l’EST alors que vous êtes l’enfant de la banlieue nord ?

Cela a été le choix du cœur car toute ma famille est espérantiste. Mon frère Tahar a évolué à l’EST parmi les cadets et juniors. Mon neveu Jalel a joué dans l’équipe de handball sang et or, avant d’émigrer en France. C’est mon beau-frère, Brahim Sakouhi, qui a été à l’origine de ma signature au club de Bab Souika. Pourtant, enfant de Carthage Dermech, j’aurais pu signer à l’Avenir Musulman (actuel Avenir Sportif de La Marsa) d’autant que Taoufik Ben Othmane était mon idole. En fait, à l’EST, je passais pour être l’exception car chaque joueur venait d’un quartier de Tunis, alors que j’étais le seul à venir de la banlieue.

Qui vous a découvert ?

Chedly Ben Slimène, mon prof d’éducation physique et sportive au Lycée Alaoui. Au départ, je pratiquais l’athlétisme. Il a déniché chez moi des dons de footballeur. Direction l’Espérance où Ameur Bahri entraînait les jeunes. J’ai débuté en 1960 avec les cadets en tant… qu’attaquant. Et j’allais garder ce poste jusqu’à mon premier match seniors, en 1962 à Monastir. L’USM comprenait alors de très grands joueurs tels que «El Moujahed» Mahfoudh Benzarti, Nouri Hlila, Jouili, Moncef Tabka dans les bois… J’ai eu la chance d’inscrire notre but (1-1). Polyvalent, j’ai retrouvé le poste d’avant-centre durant quelques matches de la saison 1968-69.

Comment êtes-vous devenu défenseur ?

Nous devions jouer un match de coupe juniors contre l’Union Sportive Tunisienne que nous avons d’ailleurs remporté (6-0). Notre entraîneur Hassen Tasco a soudain découvert qu’il disposait pour ce match de beaucoup plus d’attaquants que de défenseurs. J’ai alors spontanément proposé à notre coach d’occuper le flanc gauche de la défense. L’entraîneur de l’équipe seniors, le Français Jean Baratte, suivait cette rencontre où j’ai donné satisfaction à un poste inhabituel pour moi, celui de latéral gauche. Pourtant, je suis droitier.

Senior, vous alliez désormais occuper le poste de défenseur axial…

Oui, après mes débuts sur le flanc gauche de l’arrière-garde, je me suis reconverti en défenseur axial aux côtés de Ridha Akacha. Nous avons relevé Aloui et Youssef Baganda. Pour préparer les Jeux méditerranéens de Tunis de 1967, le sélectionneur national m’a convoqué en tant que latéral gauche. Pour des raisons purement familiales, j’ai décliné la convocation puisque je ne pouvais pas m’absenter aussi longtemps loin de ma famille, à commencer pour le stage de préparation en Hongrie. Ce refus m’avait valu d’être écarté du onze national où je faisais pourtant figure de remplaçant de Mahfoudh Benzarti ou d’Ahmed Lamine. A 22 ans seulement, cela laissait inévitablement un arrière-goût d’amertume.

Comment s’est faite votre intégration parmi l’effectif de l’EST ?

Mon club venait d’essuyer une terrible déconvenue (6-0) contre la formidable équipe de l’Union Sportive Tunisienne de l’époque. De quoi provoquer un profond malaise et un fort sentiment d’humiliation. Notre président Chedly Zouiten demanda sur le coup à l’entraîneur de construire une équipe pour l’avenir. Haj Ali, Khaled et Abdelmajid Tlemçani furent écartés. Place à six juniors lancés dans le grand bain des seniors : Taieb Mezni, Abdeljabbar Machouche, Sadok Meriah, Abdessalam, Sadok Meriah, Fethi Tnanni et moi-même. Cette saison-là, nous avons dû cravacher dur afin d’assurer notre maintien parmi l’élite.

Rached Meddeb et Salah Nagy étaient les rescapés de la vieille garde, alors que Chedly Laâouini débarquait tout juste dans l’équipe-fanion. La saison d’après, en 1964, nous terminions deuxièmes du championnat derrière le Club Africain et décrochions la coupe de Tunisie devant le Club Sportif Hammam-Lif (1-0, but de Chedly Laâouini). Un trophée très cher car remporté dans des circonstances particulières, juste après le décès le 1er août 1963 de notre président charismatique, Chedly Zouiten, un véritable éducateur.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot ?

Mon père Jalloul Touati, d’origine algérienne, n’accordait guère d’intérêt au sport. Quant à ma mère Neila, elle resta longtemps dans l’ignorance de mon petit secret. Je m’entraînais entre midi et 14h00 avec les équipes des jeunes, et en rentrant, je disais à ma mère que les études me prenaient tout ce temps-là. En partant le dimanche disputer les rencontres des jeunes, je prétendais que j’allais rejoindre le lycée pour les championnats scolaires. Jusqu’au jour où elle découvrit le pot aux roses à l’occasion du match ESS-EST du 5 mars 1961 en quarts de finale de la Coupe de Tunisie. Ce jour-là, j’ai vu la mort de mes propres yeux.

Que s’est-il passé ?

Nous l’avons emporté (2-0), mais les locaux contestèrent certaines décisions de l’arbitre Mustapha Belkhouas. Le jet de pierres qui s’ensuivit a détruit toutes les vitres du bus de l’équipe juniors de l’EST où j’avais pris place. Il nous a fallu nous cacher sous les sièges, en nous protégeant par nos sacs de sport. En rentrant, j’ai dû tout raconter à ma mère. Toute la semaine durant, chaque soir en rentrant des études, ma mère me prenait pour extraire de mon dos le reste des débris de verre qui continuaient à me torturer. Les violences qui ont suivi ce match restent mon plus mauvais souvenir. On sait qu’après ce match, l’Etoile Sportive du Sahel va être dissoute durant toute une saison.

Quel furent vos entraîneurs ?

Mouldi Laâroussi, Hassen Tasco, Abderrahamne Ben Ezeddine, Cheikh Draoua, Am Mehrez, Hedi Faddou, les Français Robert Domergue et Jean Baratte, et le Hongrois Sandor Pazmandy.

Quel est à votre avis le plus grand footballeur tunisien de tous les temps ?

Noureddine Diwa, sans conteste.

Les meilleurs joueurs de l’EST ?

Hassen Tasco, Salah Nagy, Abderrahmane Ben Ezeddine, Haj Ali, Rached Meddeb, Hedi Feddou, Mehrez, Abdeljabbar Machouche, Abdessalam, Tarek… Je citerais aussi Larbi Gueblaoui et Abdelkader pour leur incroyable engagement et esprit de corps, et Abdelmajid Ben Mrad, un artiste-né auquel il arrivait parfois de dépasser les limites.

De combien fut votre prime pour la victoire finale en Coupe de Tunisie 1964 ?

A peine cinq dinars, ou quelque chose comme ça. Mais le plus important, ce fut un voyage à Paris offert l’été suivant par notre club. Ce séjour nous a permis de voir à l’œuvre des clubs aussi prestigieux que le Real Madrid, Reims, Anderlecht, Dortmund et le Santos du Roi Pelé, tous invités dans un tournoi disputé au Parc des Princes, à Paris.

Cinq ans plus tard, vous avez perdu la finale de la coupe de Tunisie face au frère ennemi, le CA (2-0). Vous étiez alors de la partie…

Cette finale-là a traîné en longueur. Elle n’eut lieu que le…13 juillet 1969, en plein été.

Notre entraîneur Robert Domergue avait hâte de rejoindre son nouveau club, l’AS Monaco. Avant de partir, il avait communiqué à son successeur Abderrahmane Ben Ezeddine la formation qu’il devait aligner à l’occasion de cette finale et comment il fallait négocier ce rendez-vous. Domergue insista sur le fait qu’il ne fallait pas aligner côte à côte, dans la même équipe, Chedly Laâouini, et Noureddine Diwa qui étaient tous deux en fin de carrière. Chacun d’eux devait tout au plus disputer une mi-temps car ils étaient vieillissants et sur le déclin. Malheureusement, Ben Ezeddine n’en fit qu’à sa tête, alignant côte à côte Laâouini et Diwa. Avec le résultat que l’on connaît… Je crois du reste que Domergue a été le meilleur entraîneur que j’ai connu à l’EST.

Quelles qualités doit posséder un bon défenseur central ?

Placement, relance et lecture du jeu. Il doit également jouer des deux pieds.

Vous avez évolué dans les sélections nationales….

Oui. En sélection «A», j’ai été convoqué de 1964 à 1967 pour 4 rencontres internationales. J’ai également évolué en sélection militaire et celle Espoirs.

Parlez-nous de votre famille…

J’ai tout sacrifié pour mes trois enfants : Sonia, et Tarek, tous deux cadres bancaires, et Ziad, comptable. Tarek, je lui ai choisi ce nom par admiration pour notre ancienne gloire Tarek Dhiab.

Quels sont vos hobbies ?

Je revois souvent certains parmi mes anciens coéquipiers tels que Abdeljabbar Machouche, Abdelkader Ben Sayel «Gaddour»… A la télé, je suis le foot européen. Je suis fan du Real. Le foot tunisien ne me plait plus. Il n’a plus aucun attrait pour moi.

Enfin, qu’avez-vous fait une fois vos études terminées ?

Notre président entre 1963 et 1968, Mohamed Ben Ismaïl, brillant journaliste reconverti en grand éditeur m’embaucha à CERES Edition dont il allait faire une maison-phare de l’édition dans notre pays. J’y ai fait toute ma carrière professionnelle. Ben Ismaïl me montra le bon chemin. Je n’ai jamais fumé ou bu. Cela m’a permis de mener une hygiène de vie impeccable.

Charger plus d'articles
Charger plus par Tarak GHARBI
Charger plus dans Magazine La Presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *