L’ailier droit Mohamed Nejib Ben Salah a participé à la légende de l’OCK, capable de figurer en Ligue 1 malgré des moyens financiers dérisoires. Grâce à ses dribbles chaloupés et sa pointe de vitesse, il a figuré en tant que figure de marque du championnat national. Quatorze saisons durant, sous la direction d’un entraîneur d’un réalisme et d’un opportunisme déroutants, à savoir Mongi Delhoum, notre invité a apporté sa précieuse pierre à l’édifice insulaire.
Mohamed Nejib Ben Salah, qu’avez-vous fait de bon depuis votre retraite sportive dans les années 1980 ?
Désormais, je suis un citoyen ordinaire. J’ai pris ma retraite il y a six ans de l’Office de la Marine Marchande et des Ports, à Sfax, où j’ai travaillé depuis 1975. D’ailleurs, la plupart des footballeurs de l’OCK étaient enrôlés dans cet établissement. Son P.-d.g. est en même temps président de l’OCK. C’est ainsi que Ali Attia m’a engagé à l’Ommp dont les premiers responsables allaient par la suite être feu Mohamed Kraiem, l’ancien ministre des Sports, et Youssef Kraiem. Durant sept ans, j’ai entraîné l’équipe Sport et Travail, mais cela n’était pas allé plus loin. Je suis timide. Je crois que le métier d’entraîneur n’est pas fait pour moi.
Dans votre région, un jeune footballeur opte généralement pour le CSS, ou, à la rigueur, pour le SRS. Pourquoi avez-vous signé pour l’OCK, et pas pour ses voisins nettement plus prestigieux ?
Dans notre quartier Chichma, km 1,5 sur la route de Tunis, nous avons été nombreux à opter pour l’OCK qui venait d’être fondé en 1963. Plusieurs anciennes gloires ont vécu dans mon quartier: Mongi Delhoum, l’ancien avant-centre du CSS qui allait nous entraîner à l’OCK, l’attaquant de la sélection qui joua en Argentine, Mohamed Ali Akid, le véloce ailier du SRS, Mustapha Sassi… Il est vrai que les grands espaces offraient aux enfants l’opportunité de laisser éclater leur talent.
Vos parents voyaient-ils d’un bon œil ce jeu qui prend tout le temps des enfants au quartier et ailleurs ?
Non, loin s’en faut. Aussi bien mon père Mokhtar, fonctionnaire municipal, que ma mère, Aïcha, pensaient qu’au contraire, il valait beaucoup mieux se consacrer aux révisions et aux études, le foot ne menant nulle part. Un sport pour «Zoufris», ou vagabonds perdus à jamais. Mais c’était plus fort que moi. Après chaque admonestation ou petite correction de la part de mon père, je revenais avec encore plus d’appétit croquer dans le foot.
Avez-vous toujours été ailier droit ?
Non. A mes débuts, j’étais milieu de terrain. Alors que nous jouions encore en division 2, Mongi Delhoum m’a repositionné à l’aile droite, me prenant dans l’équipe cadets pour me lancer dans le grand bain des seniors. En toute fin de ma carrière, Moncef Melliti m’avait aligné avant-centre.
Quelles qualités doit posséder un bon ailier ?
Vitesse, appel de balle en profondeur et dans les espaces, et faculté de dribbler et d’imposer sa technique afin de pouvoir éliminer l’adversaire : voilà ce qu’on attend d’un ailier de métier.
Vous avez eu à faire à un grand nombre de défenseurs. Lequel vous a posé le plus de difficultés ?
Le Marsois Salah Berrouba. Une fois, il m’a blessé à la cheville, m’obligeant à rester deux mois loin des terrains.
Quel est le meilleur match que vous avez joué ?
En 1979-1980, à El Menzah, contre le Stade Tunisien. Ce jour-là, j’ai signé un doublé, dont un but réussi du rond central. J’ai vu que le gardien stadiste était avancé; alors, je l’ai instinctivement lobé. Mon doublé a permis à Kerkennah de mener au score par (2 à 0) avant d’être rejoint sur le fil.
Comment était le derby face au grand voisin clubiste sfaxien ?
Beaucoup de familles kerkeniennes sont installées à Sfax. Cela donnait à nos retrouvailles des airs de fête. Le derby constituait le moment le plus important de la saison. Je me rappelle d’un derby pas comme les autres, car avant le coup d’envoi, nous étions mieux classés que le CSS. Conséquence: durant la phase retour, le match vedette au Mhiri, c’est l’OCK qui le jouait. Par contre, le CSS en était réduit à jouer en lever de rideau.
Quel est votre meilleur souvenir sportif ?
La toute première accession de l’OCK parmi l’élite. Je citerais également ma convocation en sélection nationale. A l’Oceano, nous avons été les deux premiers à bénéficier d’un tel honneur, le gardien Bouraoui Chaâri et moi-même.
Et votre plus mauvais souvenir ?
Notre relégation après cinq saisons consécutives sous le soleil. Il y a aussi la perte d’une dent dans un télescopage avec le légendaire gardien du Club Africain, Attouga. En voulant «boxer» le ballon, il a en même temps «boxé» ma mâchoire. Non, un simple incident de jeu, car cela n’a pas été fait exprès. J’ai fini par inscrire un but à Attouga…
Depuis sa première accession parmi l’élite au terme de la saison 1978-1979, l’OCK n’a pas lésiné sur les moyens, optant résolument pour un football ultra-défensif souvent décrié par les puristes…
Nous avons en effet opté pour la politique de nos moyens. En accédant parmi l’élite, du 4-3-3 qui propose une ligne d’attaque composée de Msakni ailier gauche, Mohamed Boutaba attaquant axial et moi-même ailier droit, nous étions passés au 4-4-2 qui bloque les espaces et permet de jouer à fond la contre-attaque. Nous nous sommes, si je puis dire, «italianisés» en pratiquant le catenaccio cher aux footballeurs italiens de l’époque. Et cela nous a réussi, puisque nous allions nous maintenir cinq bonnes saisons durant.
A qui deviez-vous cet exploit ?
Nous le devons à notre entraîneur Mongi Delhoum (1975-1979, puis 1981-1983), un technicien ultra-réaliste qui savait parfaitement composer avec le peu de moyens, notamment financiers, sur lesquels s’appuyait notre club. D’ailleurs, avec Moncef Melliti (1979-1981, puis 1983-1984) et Noureddine Ben Mahmoud qui m’a entraîné trois ans en division 2 (1970-1973), Delhoum reste le meilleur technicien que j’ai connu. J’ai eu également Ahmed Ouannès comme entraîneur entre 1973 et 1975.
De qui se composait ce flamboyant Oceano ?
Bouraoui Chaâri dans les bois, Ali Masmoudi, Mounir Grati, Mohamed Dahech, Mohamed Boutabba, Abdelkader Baâti, Hedi Touhami, Farhat Dahech, Mohamed Jmel, Mounir Boussarsar et moi-même.
Qu’est-ce qui a changé entre le foot d’hier et celui d’aujourd’hui ?
Alors qu’on jouait pour les couleurs du club, et qu’on s’y investissait à fond, maintenant, on joue juste pour l’argent, comme un simple boulot. Conséquence : il n’y a plus de spectacle. Le foot a perdu son âme.
Et l’arbitrage, véritable plaie du foot tunisien, comment était-il ?
Les hommes en noir n’en faisaient qu’à leur tête. Il n’y avait pas beaucoup de caméras qui filmaient les matches, et par conséquent, ni moviola ni évaluation objective du rendement arbitral. Les hommes en noir se trouvaient dans une impunité totale.
J’ai ainsi été expulsé plusieurs fois. Un fort sentiment d’injustice m’a toujours révolté, car nous formions une petite équipe que certains arbitres n’hésitaient pas à maltraiter, et à sacrifier sur l’autel de leurs petits intérêts et caprices. Capitaine de mon état, en me faisant expulser, la peine dont j’écopais était doublée. Je pénalisais ainsi doublement mon club.
Bien entendu, en ce temps-là, il était hors de question pour un joueur de changer de club ?
Cela va de soi. Pourtant, Abdelmajid Chetali m’a recommandé auprès d’un club du Golfe. Je devais partir dans ce club en même temps que Mongi Dalhoum qui allait faire office d’entraîneur. Malheureusement, notre président Ali Attia a catégoriquement rejeté l’idée de m’accorder un bon de sortie.
Quel est votre club préféré après l’OCK ?
Le CSS et le SRS.
Que représente pour vous le football ?
L’indicible passion qui a bercé mon enfance et ma jeunesse. Je dois tout au sport et à mon club, l’OC Kerkennah. Sans eux, qui aurait connu Mohamed Nejib Ben Salah ? On m’a pourtant aimé, et on continue de le faire pour les forts moments de bonheur que j’ai su modestement apporter aux fans.
Parlez-nous de votre famille?
En 1981, j’ai épousé ma cousine Monia Ben Salah. Nous avons deux garçons et deux filles : Mokhtar, Omar, Sahar et Samar.
Comment passez-vous votre temps libre ?
Je prends le temps de retrouver au café mes anciens coéquipiers Farhat Dahech et Bouraoui Chaâri. A la télé, on se régale des matches européens. Mon club préféré reste le Real Madrid, et mon joueur préféré, Cristiano Ronaldo.
Enfin, à votre avis, quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?
Hamadi Agrebi, un artiste du ballon rond comme il n’y en aura plus jamais. Minimes, puis cadets, nous avons joué tous deux face-à-face. C’était toujours de petites corrections que nous faisait déjà subir le CSS de Mister Agrebi.