Le timing n’est guère un facteur arbitraire. Ainsi, tout retard dans les semailles d’automne pourrait-il se répercuter sur les moissons d’été.
Moins de deux mois avant la saison des semailles, nos agriculteurs sont-ils prêts à semer ? Pas évident ! La campagne 2023-2024 s’annonce encore plus difficile que celle précédente. D’ailleurs, ça commence en demi-teinte. Car, mieux s’y préparer est bien, mais agir à temps est mieux. Le timing n’est guère un facteur arbitraire. Ceci étant, tout retard dans les semailles d’automne pourrait, en effet, se répercuter sur les moissons d’été.
Des dispositions qui ne sont pas suivies d’effet
Tout compte fait, les récentes mesures décidées par la P.-d.g. de l’Office des céréales, Mme Saloua Ben Haddid, ne semblent pas coller à la réalité et encore moins rassurantes. Comme pour toute prévision météo, l’exactitude absolue ne peut être garantie. Il est, peut-être, vrai, comme elle l’a d’ailleurs indiqué, que nos besoins initiaux en semences de qualité s’élèvent à environ 420.000 quintaux, dont 332.000 de blé dur. Aussi serait-il suffisant que les semences de qualité déjà collectées comptent, à ses dires, 270.000 quintaux, et qu’un complément de 180.000 quintaux sera ultérieurement ajouté.
Cela dit, d’après elle, l’approvisionnement en semences est garanti. Ce qui n’est pas tout à fait le cas. «Que le ministère de tutelle intervienne, au bon moment, afin de doter les agriculteurs des semences, engrais chimiques et des intrants nécessaires», espère Mohamed Rejaibia, membre du bureau exécutif de l’Utap, indiquant que la priorité doit être accordée aux zones agricoles aussi bien fertiles que rentables. Il revient à dire que la disponibilité de ces semences s’effectue à un rythme assez lent. Par conséquent, comme l’affirme la P.-d.g. de l’Office, la fourniture d’un million de quintaux de blé dur de semence serait une estimation démesurée. Toutefois, «on espère que tout ce qui a été décidé à ce niveau se traduira dans les faits…», souhaite-t-il.
Une belle reprise agricole requiert une bonne préparation, en termes de fonds et de moyens. Toujours est-il que l’endettement constitue, depuis longtemps, le talon d’Achille du secteur céréalier. Idem, tout retard dans la saison des pluies risque de compromettre la saison. D’autant plus que les trois contrats signés avec des sociétés de services pour l’ensemencement et le stockage dans les réservoirs de l’Office ne sont pas encore suivis d’effet. Sauf que certains céréaliers ont eu à épargner une part de leurs propres semences pour compenser relativement leur manque en quantités suffisantes et repartir du bon pied.
Ces semences largement éprouvées
Et comme la dernière récolte céréalière était moins bonne que souhaité, les quantités collectées ont enregistré une baisse de 60% par rapport à la saison 2022, soit 2,7 millions de quintaux, contre 7,5 millions l’année écoulée. Une moisson jugée en deçà des attentes des céréaliculteurs. «Elle n’a même pas couvert le dixième de nos besoins annuels en céréales (blé dur, blé tendre et orge), estimés à 36 millions de quintaux cultivés sur une superficie nationale de 1,2 million d’hectares…», révèle Mohamed Nadri, agro-économiste et ex-directeur général d’une coopérative centrale du blé (Coceblé). Et d’aller encore plus loin dans ses suppositions, expliquant que ce faible rendement ne pourrait nullement nous fournir suffisamment de semences sélectionnées pour la saison 2023-2024. «Sur une moyenne annuelle de 350.000 quintaux, on disposerait cette année d’à peine 200.000 quintaux de semences sélectionnées et d’autres tout-venant. Quitte à obtenir des récoltes de mauvaise qualité», a-t-il déduit. Parlons-en ainsi, beaucoup d’agriculteurs le disaient clairement : que va-t-on semer, si on n’a pas tant récolté? Et si récolte il y a, l’on pense toujours à la saison de semis, cherchant désespérément des semences de qualité. Car, ce qui importe le plus, c’est le rendement et la rentabilité, réaffirme M. Rejaibia. «Aujourd’hui, l’on doit opter pour des variétés de semences beaucoup plus adaptées aux aléas du climat. Et c’est à l’Inrat, Institut national de recherche agronomique de Tunisie, qu’incombe cette mission et à qui revient tout projet visant l’amélioration et la multiplication des semences», confirme-t-il encore.
Pour ne plus recourir à l’importation
A l’aune des impacts des changements climatiques gravement ressentis, nos semences sélectionnées devraient, alors, présenter des aspects productifs, durables et beaucoup plus résistants. «Un tel choix est de nature à tripler le rendement, passant de 20 à 70 quintaux par hectare, à même d’assurer notre autosuffisance en blé dur et même avoir des saisons avec des récoltes records», avait estimé, dans une déclaration à la TAP, Anis Kharbach, membre du conseil national de l’Utap. Et comme notre sécurité alimentaire demeure tributaire de l’offre céréalière, revisiter nos conduites culturales semble aussi de mise. D’autant plus que le recours fréquent à l’importation du blé suscite des interrogations et ne résout guère l’équation. A quoi s’en tient, maintes fois, le ministre de l’Agriculture, plaidant pour préserver nos avoirs en devises. Et pourtant, on est tenté de passer outre nos capacités, alors que des solutions sont à portée de main. C’est bien depuis plus d’une décennie que l’on se dote des variétés de blé dur à haute valeur productive et beaucoup plus résistantes tant au stress hydrique qu’aux impacts des changements climatiques. «Avoir des semences beaucoup plus résilientes et durables serait le sésame de rentabilité et de bonne productivité», soutient M. Nadri. «Saragolla» et «Iride», déjà prouvées et expérimentées dans pas mal de champs au nord-ouest de la Tunisie, répondent mieux à ces qualités exemplaires.
Trois recommandations, une solution !
Cette alternative s’avère être reconnue et bien défendue par Mohamed Bedouihech, jeune céréalier, exploitant d’environ 75 hectares du blé, à Oued El Bagratte, à Béja. D’ailleurs, il a eu un penchant pour ces deux variétés précitées, introduites en Tunisie depuis un bon bout de temps. «Ça fait, maintenant, des années que je cultive ces fameuses variétés, dans ma parcelle de blé à Béja, et j’en suis pleinement satisfait, tant au niveau de la quantité que sur le plan qualité», témoigne-t-il. De quoi s’est informé le ministre de l’Agriculture, lors de sa dernière visite à la foire de la région. Presque tous les agriculteurs de la région sont du même avis sur la haute productivité qui distingue «Saragolla» et «Iride», nous confie le jeune Bedouihech, faisant valoir leur adaptabilité prouvée.
D’autres recommandations ont été avancées par M. Rejaibia, en guise de solutions aux problèmes dont souffrent les professionnels du secteur : une ligne de financement spécifique aux petits agriculteurs, avec des taux d’intérêt préférentiels, une assurance agricole susceptible de compenser certains dégâts et couvrir les frais y liés, ainsi que la nécessité de se réunir dans des coopératives agricoles pour mieux s’organiser et pouvoir comprimer les coûts de production.