Soft power. A une époque relativement lointaine, la chaîne française Fr 2, appelée alors Antenne 2, diffusait en Tunisie des émissions que beaucoup d’amateurs suivaient, critiquaient ou admiraient (Les dossiers de l’écran, Cinéma, cinémas, etc.), des figures françaises ou francophones de la littérature, du théâtre, de l’art étaient invitées à diriger des débats d’idées, à présenter leur ouvrage, la langue française était parlée, écrite sans difficulté. Un peu plus près dans le temps, la Télévision italienne la Rai attirait le public, des figures, à l’instar des vedettes Pippo Baudo ou Rafaella Carra sont devenues familières dans le paysage médiatique ; beaucoup de téléspectateurs, à force de voir et d’écouter la Rai, commencèrent à comprendre et à parler l’italien. La chaîne télé a disparu, la langue a perdu de son influence. La France et l’Italie dans le jeu d’influence tenaient le haut du podium.
Ces dernières années, un outsider est arrivé avec sa grosse machine, occupant le paysage médiatique : la Turquie.
Les chaînes télé privées nous arrosent, nous inondent de longs et captivants feuilletons , le résultat ne s’est pas fait attendre, les voyages pour la Turquie se sont multipliés, les Tunisiens se sont épris principalement d’Istanbul où, quand les bazars leurs laissent le temps, ils vont, comme en pèlerinage, visiter les studios de tournage et autres sérails de « Harim Soltan » vus et admirés dans les feuilletons fleuves.
Cet été, le chanteur Saber Rebaï s’est produit trois fois à guichets fermés sur la scène du théâtre antique de Carthage, récoltant des torrents d’applaudissements et un énorme retentissement médiatique.
On pourrait sans trop de risques prétendre que le « crooner » est au zénith de sa carrière. Bien sûr, dans tous ses concerts, le chanteur ne manque, sous aucun prétexte, d’entonner la chanson fétiche que le public réclame à cor et à cri : Barcha (beaucoup).
Barcha, une chanson, un mot : deux syllabes, une voyelle répétée, une formule gagnante à l’instar de l’onomatopée Yéyé, inventée par le sociologue-philosophe Edgar Morin, pour désigner une génération et un courant musical des années 60. La comparaison s’arrête là.
Les chansons aux rythmes et motifs simples, aux paroles non moins simples, au refrain court, sont souvent celles dont le souvenir reste en nous le plus vif ; c’est le cas de cette chanson Barcha, qui a franchi les frontières et connaît encore une incontestable fortune. Des guitares, deux congas, des claquements de mains, la voix et la gestuelle du chanteur, des compagnons en chœur et c’est parti pour le triomphe. Il faut ajouter que le chanteur s’est bonifié au fil des spectacles et a acquis une expérience et une assurance qui répondent et collent aux vœux du public.
Il y a quelques années à Marrakech, un Marocain me lance le mot « barcha », je ne connaissais pas la chanson, je n’ai pas saisi, ne s’étant pas engoué des chansons de Saber Rebaï, et n’étant pas admirateur de ses spectacles; il insiste et chantonne le refrain. Ah! Je saisis le message.
Récemment, à Gaziantep, une ville du sud-est de la Turquie : « vous êtes d’où ? » en anglais, « from Tunisia » « Indonésia ? », j’ai mis du temps et fait preuve de patience pour rappeler à mon interlocuteur le berceau d’Hannibal, « Carthage » « ! Tunisia, I now, Barcha », suivi d’un rire sympathique. J’ai fait part au guide qui me répond, « c’est un mot, une chanson connus par beaucoup de Turcs. » La chanson, les arts, le patrimoine, c’est aussi ça le Soft power… par la bande.