Des femmes épuisées, lassées par tant d’errements politiques visant à assainir le secteur agricole, mais toujours déterminées à faire entendre leurs voix jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat. Malgré l’absence de prise de décisions radicales pour réformer le secteur agricole, elles ne désarment pas et ont des arguments à faire valoir.
Les mauvaises conditions de travail des femmes en milieu rural ont été au centre d’un débat, instauré en marge d’une exposition sur les ouvrières agricoles initiée par le Ftdes, du 15 au 25 de ce mois à la Cité de la culture à Tunis, et ce, à l’occasion de la Journée internationale des femmes rurales. D’emblée, une minute de silence a été observée à la mémoire des victimes ayant péri sur le chemin des champs. On recense, déjà, 55 ouvrières décédées, depuis le début de l’année.
La parole aux femmes
Un désastre sur lequel Hayet El Attar, chargée du dossier agricole au sein du Ftdes, est revenue avec la nécessité de préserver les droits des femmes rurales tunisiennes dont ceux des travailleuses agricoles qui piétinent jusqu’à nos jours. Elle a également évoqué les problèmes dans la répartition et l’attribution des terres dans le cadre des coopératives. En effet, la contribution du Ftdes à l’amélioration de la situation de la femme agricole n’est plus à démontrer: des études de cas instructives, sessions de formation à leur profit, journées de manifestation, ainsi que des recommandations sont émises auprès des autorités gouvernementales. Ensuite, la parole a été donnée aux femmes qui n’ont pas hésité à exposer, tour à tour, les innombrables difficultés qu’elles rencontrent au quotidien pour effectuer leur travail dignement. Issues des gouvernorats de Nabeul, Médenine, Kairouan et Sidi Bouzid, elles racontent le sort de paysannes aux mains gercées et aux doigts abîmés par le travail de la terre. Sans le strict minimum d’hygiène et protection requises. Marwa Ben Gaies, originaire de Médenine, appelle le gouvernement à une plus grande prise de conscience pour soutenir le secteur agricole, quand bien même il y a une politique axée sur le tourisme, étroitement liée au secteur agricole. Elle décrit une métaphore de façon générale : « Le plat de couscous à l’agneau qu’on mange, il y a derrière des mains laborieuses qui ont fourni tant d’efforts pour l’amener jusqu’à nous».
La plupart se disent optimistes et gardent l’espoir que le secteur reprendra du souffle pour réaliser des meilleurs résultats. Il n’y a pas de sentiment de résignation, mais, plutôt de la colère et de la déception pour le manque de considération envers leurs doléances morales et matérielles. Le problème du transport des femmes agricoles dans des camions de marchandises est soulevé, à maintes fois, par les différents intervenants et parties prenantes du dossier. Abdallah Bousaâd, enseignant supérieur en agronomie, ayant effectué deux études dans son domaine, est venu présenter ses recommandations prenant fait et cause pour de nombreux témoignages de la plupart des femmes agricoles. Il a pointé du doigt les mauvaises conditions de travail des femmes agricoles, condamnées à la précarité totale.
Travail précaire
Aujourd’hui, le travail dans le secteur agricole s’effectue dans la précarité et le dénuement complet sur le plan matériel. Il est considéré comme un travail non organisé, même s’il est réglementé. Un constat qui suscite un grand désarroi : «La femme agricole qui se blesse a toujours recours à son mari ou sa famille, et non pas à ses employeurs, pour se rendre à l’hôpital. Elle ne bénéficie d’aucune assurance quelconque », s’indigne M. Bousaâd. Sans parler du manque d’empathie à leur égard, puisqu’on les oblige à utiliser des produits nocifs pour leur santé et à porter des masques chirurgicaux qui ne protègent en rien des effets toxiques des pesticides… A cela s’ajoute le problème du transport des femmes agricoles, déjà évoqué dans son étude en 2020, au plus fort du Covid-19 en Tunisie. Pis encore, il parle de l’harcèlement sexuel qu’elles subissent parfois de la part des chauffeurs qui les transportent jusqu’aux champs à l’aube de la journée. Une situation déplorable à tous les niveaux pour les plus et les moins jeunes. L’une d’elle a 70 ans et se rend aux champs chaque jour pour subvenir aux besoins de son mari malade. Une situation qui suscite l’intrigue, au point qu’une femme dans la salle se demande comment peut-elle résister à cet inconfort total et de pénibilité au travail ? Pour matérialiser les difficultés des femmes agricoles par des messages et des images fortes, le Ftdets a pris une initiative louable.
Une Expo sur les maux
Dans cet ordre d’idées, le forum organise, du 15 au 25 de ce mois, une exposition sur les ouvrières agricoles. «Des photos, des vidéos et des études sur les ouvrières agricoles sont exposées à cette occasion, afin de mettre en lumière les mauvaises conditions de travail des femmes en milieu rural», lit-on dans un récent communiqué du forum. A travers l’exposition, le Ftdes entend rappeler les décideurs politiques l’urgence de mettre en place d’une stratégie nationale pour la promotion et la restructuration du secteur agricole basée sur la garantie des droits de la main-d’œuvre. Ce sont les messages des militantes et des militants et de haute lutte dans le secteur agricole qui sont exposés durant une dizaine de jours pour rappeler le bien-fondé de leur combat pour une justice sociale envers les agriculteurs.
55 décédées et 796 blessées
Le Ftdes précise que la célébration de la Journée internationale des femmes rurales est une reconnaissance à leurs efforts et une occasion pour souligner l’importance de protéger leurs droits. En effet, les femmes rurales jouent un rôle important dans le développement du secteur agricole, la garantie de la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté en milieu rural.
Et pourtant, 92% des ouvrières agricoles sont privées de couverture sociale. D’après une étude récente du forum, 2% seulement perçoivent le salaire minium agricole garanti (Smag) et 78% d’entre elles sont exposées à toute forme de violence.
Elles sont également victimes du transport anarchique et non sécurisé, d’après la même source. Par ailleurs, le Ftdes rappelle que depuis le début de l’année en cours, 55 ouvrières agricoles sont mortes et 796 ont été blessées dans des accidents alors qu’elles étaient en route pour aller travailler dans les champs. Un problème qui touche directement un autre plus vaste, celui de la sécurité routière en Tunisie.
De façon générale, tous les intervenants directs et indirects dans le dossier de la réforme du secteur en Tunisie appellent le gouvernement à prendre des mesures radicales en faveur des femmes agricoles, afin de renforcer leur autonomisation professionnelle et leurs droits légitimes à un travail digne et décent.