Accueil Magazine La Presse Habib Jerbi, ancien défenseur du CSS: «Agrebi était l’incarnation même du football spectaculaire»

Habib Jerbi, ancien défenseur du CSS: «Agrebi était l’incarnation même du football spectaculaire»

Né le 5 février 1947 à Sfax, Habib Jerbi a signé en 1959 sa première licence avec les footballeurs minimes du Club Sportif Sfaxien jadis, appelé Club Tunisien. Son premier match seniors, il l’a livré en 1964 au stade Zouiten (ST-CSS 0-3). Quant au dernier, il coïncida avec l’affiche CSS-COT (2-1) de 1975. Le sobre défenseur axial compte à son palmarès 2 championnats de Tunisie (1969 et 1971), 1 Coupe de Tunisie (1971), sans oublier une coupe de Tunisie dans chacune des catégories cadet, junior et espoirs. Avec l’équipe nationale, il livra 6 matches amicaux.

Devenu par la suite entraîneur, il prit en mains les jeunes du CSS, l’AS Djerba, le Stade Gabésien, EM Mahdia et Ennakhil, en Arabie Saoudite. Il assura en outre les fonctions de directeur technique du SRS, et de dirigeant à la tête des équipes Ecoles du CSS.

Ce professeur d’Education physique et sportive, parti à la retraite en 2007, est marié et père de trois enfants.

Dites-nous pour commencer, comment êtes-vous venu au football ?

La plupart des footballeurs de mon quartier, Bourat Laâdhar, Route Lafrane, ont signé au Club Tunisien, le nom du CSS en ce-temps-là : Mongi et Mokhtar Chibani, Mustapha Kolsi, Nouri Haj Hmida, Mansour Belhassen, Abdallah Draoua, Abdelkader Jerbi, un latéral gauche… Quant à Hedi Maroui et mon frère Mekki, ils ont choisi le SRS. Mon premier match, je l’ai disputé en 1964 face au Stade Tunisien. Nous avons gagné (3-0) grâce à un doublé d’Ali Graja et un but de Mongi Dalhoum. Et savez-vous quel surnom on utilisait pour m’appeler à la radio ?

Lequel, donc ?

Tahar Mbarek, qui commentait le match à la radio pour l’émission mythique «Ryadha wa Nagham», m’a affectueusement surnommé lors de sa présentation de la formation du CSS Al Andalib Al Asmar (Le Rossignol brun, soit celui par lequel est connu le chanteur égyptien Abdelhalim Hafedh). Ce jour-là, j’étais parti le matin au Bardo disputer le match juniors contre le ST lorsque un de nos dirigeants m’interpella devant les vestiaires: «Faites-vite, l’entraîneur Kristic vous attend au stade Zouiten. Il a décidé de vous titulariser avec l’équipe seniors». Alors, inutile de vous décrire ma joie en apprenant cette promotion. 

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le sport ?

Mon père Néji, ouvrier le soir dans une huilerie, et ma mère Maherzia ont encouragé plutôt mon frère aîné Mekki qui évolua avec la grande équipe du Sfax Railways Sport, championne de Tunisie 1968. Moi, un peu moins. 

Quel a été votre meilleur match ?

Un prof de sport ne fume pas et ne boit pas, et c’était justement mon cas. Point de vue hygiène de vie, j’étais très rigoureux, très sérieux. Cela fait que j’étais très régulier, toujours prêt à donner le meilleur de moi-même. La finale de la coupe 1971 contre l’EST et le quart de finale de la même année à Bizerte contre le CAB furent mes meilleurs matches. Je n’oublierais pas non plus la finale maghrébine 1970 contre les Algériens du CR Belcourt.

Votre meilleur souvenir ?

La Coupe de Tunisie 1971 devant l’Espérance Sportive de Tunis (1-0). Un but des 35 m d’Abdelwahab Trabelsi dès la 3e minute. Puis, la formidable résistance dont nous avons fait preuve.

Et le plus mauvais ?

Notre élimination en quart de finale de la coupe de Tunisie 1968 devant le COT de Mohieddine à Sfax même.

Quels furent vos entraîneurs ?

Sadok Msakni, Toto Ben Slama, Ahmed Ouannès et Kristic chez les jeunes; Branislav, Kristic, Popadic, Rado, Georgevic et  Ammar Nahali chez les seniors.

Et le meilleur d’entre eux à votre avis ?

Kristic, sans l’ombre d’un doute. C’est le père spirituel du CSS. Il nous a tout appris, y compris comment se tenir à table, manger… C’est l’égal de Fabio ou Nagy au CA, par exemple.

Que vous a donné le football ?

Matériellement, presque rien. La plus grosse prime perçue, après la victoire en finale de coupe de Tunisie 1971, a été de 80 dinars. A contrario, nous avons gagné l’amour des gens. Y a t-il un bien plus précieux ? 

Est-ce là la seule différence que vous retenez entre le football d’hier et d’aujourd’hui?

Non, tout a changé. L’argent a tout perverti. Les gens allaient dans un stade comme pour un concert d’Oum Kalthoum, veste et cravate de rigueur. A présent, la violence est souveraine. Volet spectacle, on ne voit plus rien. 

Votre génération a donné au CSS ses premiers trophées. Un motif de fierté, n’est-ce pas ? 

Et comment ? Nos deux participations aux coupes maghrébines n’étaient pas mal non plus. Malgré la défaite en finale  de la coupe maghrébine des clubs champions 1970, contre Chabab Ryadhi Belcourt à la loterie des penalties (Sassi et Dalhoum ont raté les leurs), notre président Abdelmajid Chaker, qui était ambassadeur à Alger, nous  a gratifiés d’une prime de… 20 dinars.

Qu’est-ce qui fait la force du CSS où vous avez évolué ?

Disons plutôt le charme. Car nous aimions pratiquer un foot «propre» et spectaculaire. Les crochets de Sassi trouvaient souvent Dalhoum à la conclusion. 

Comment pouvez-vous analyser le phénomène de la relation passionnelle entre le public de Sfax et son idole Hamadi Agrebi ?

Le public de Sfax aime le beau jeu, personne ne peut le contester, je suppose. Or, Agrebi était l’incarnation même du football spectaculaire, léché et romantique. Alors que Hamadi était encore minime, notre entraîneur, le Yougoslave Milan Kristic, restait interdit devant tant de virtuosité. A nos dirigeants, il répétait sans cesse : «Que puis-je apprendre à un tel phénomène ? Il réussit des choses étonnantes pour son âge».

Par exemple ?

Je vais vous raconter deux souvenirs. Une fois, dans un derby face au SRS, nous bénéficions d’un corner. J’ai l’habitude de monter sur les corners. Le ballon chute devant moi à la limite des 16,50 m, j’étais prêt à le reprendre de la tête quand, à mon grand étonnement et du public présent, Agrebi m’arrache carrément le ballon et effectue un retourné acrobatique. Pleine lucarne, dans les filets. Une autre fois, il réussit un but contre l’EST sur un coup franc des 30 mètres. Un but régulier que l’arbitre Touati refusa pour je ne sais quelle raison. D’ailleurs, en allant lui demander pourquoi il l’a invalidé, le referee m’expulse. Plusieurs années après, j’étais en Arabie Saoudite où j’entraînais Annakhil lorsque j’ai reçu un courrier où figure la copie d’un journal. L’arbitre Touati y reconnaissait qu’il n’aurait jamais dû annuler le but d’Agrebi, et que cette décision lui était restée sur la conscience. 

Nourrissez-vous des regrets pour n’avoir pas fait une grande carrière en sélection ?

Non, je n’en vois pas l’utilité. J’ai été convoqué plusieurs fois en sélection par Rado. J’ai disputé des matches amicaux, mais jamais un match officiel. C’est bien comme cela, non ?

A votre avis, quel est le plus grand joueur tunisien de tous les temps ?

Chaïbi était phénoménal. Mais il y avait aussi Diwa, Braiek, Jenayah, Moncef Cherif, Tlemçani, Adhouma, Habacha…

Et du CSS ?

Si Moncef El Gaied. Il a été chef de cabinet du ministre de l’enseignement supérieur. Le patron, tout le monde le respectait.

Parlez-nous de votre famille… 

Je me suis marié en août 1972. J’ai deux garçons et une fille: Anis, qui a été entraîneur adjoint au CSS, Soumaya, Prof de français, et Slim, Prof d’Education physique. Tous mes petits enfants remplissent ma vie.

Si vous n’étiez pas dans le football, dans quel autre domaine auriez-vous exercé ?

Non, vraiment, je ne me vois pas ailleurs. Depuis ma jeune enfance, le ballon prenait tout mon temps. Il m’arrivait même de disputer trois ou quatre matches d’affilée au quartier. Mon frère aîné Mekki avait davantage le souci de réussir ses études. Il a été chef d’un laboratoire dans la Compagnie des phosphates de Gafsa. Dieu merci, moi aussi, j’ai pu mener mes études de sport à terme à l’Ineps de Ksar Saïd, promotion 1968.

Une anecdote à nous raconter ?

Nous avons été reçus au Palais de Carthage par le président Bourguiba une seule fois. En effet, il a tenu à honorer le CSS lorsqu’il a appris que nous avons battu le club de deuxième division française, Grenoble (5-0). Pourtant, il s’agissait d’un simple match amical disputé là-bas. Les journaux français ont titré: «Les Tunisiens donnent la leçon à Grenoble». Cette nuit-là, après le match, j’ai été avec quatre autre joueurs à faire la fête hors de l’hôtel où nous résidions. En rentrant, nous avons trouvé les portes de l’hôtel fermées. Malgré nos supplications, le gardien de nuit refusa catégoriquement de nous ouvrir. «Ce sont les ordres de votre entraîneur, Rado», nous expliquait-il. Finalement, après une longue attente, nous voilà rentrés dans nos chambres. Mais à notre grande surprise, sous la porte, nous avons trouvé  un bout de papier sur lequel Rado a écrit : «Où êtes-vous ?». Et il ajouta l’heure où ce petit mot a été écrit. Cet entraîneur était vraiment très sévère. C’est comme s’il avait écrit : «Voyez-vous, on ne me la fait pas !».

Comment passez-vous votre temps libre ?

J’aime jardiner, puis faire mon footing près du stade Mhiri. Deux fois par semaine, je rencontre les Anciens du CSS. A la TV, je regarde les matches de mon club préféré, le Real, alors que mon épouse encourage le Barça. 

Enfin, votre devise dans la vie ?

La probité, la sincérité et la générosité.

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