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Chroniques de la Byrsa: Une question de vie ou de mort

A pareille époque dans « les belles années » qui n’étaient pas toujours si belles que ça, c’était le branle-bas de combat : c’est qu’on était à peine à plus d’une semaine de la fête de l’Arbre qui avait lieu le premier dimanche du mois de novembre. Cette « festivité » a été instaurée au lendemain de la proclamation de l’indépendance du pays par « le Combattant Suprême », Habib Bourguiba, pour ceux qui ne le sauraient pas ou plus. C’est, disait-il, pour que la Tunisie mérite son appellation de « la Verte », largement entamée par un déboisement continu sous l’effet d’un mode de vie archaïque.

A cette occasion, on rameutait le ban et l’arrière-ban : ouvriers des chantiers de chômage, élèves et étudiants, membres des cellules destouriennes et des organisations de jeunesse et, bien entendu, les responsables à tous les niveaux pour présider les campagnes de reboisement partout dans le pays. L’Armée était aussi de la partie prenant en charge les endroits les plus isolés ou les plus difficiles d’accès, le relief, en particulier. A la fin de la journée, les statistiques faisaient état de centaines de milliers de plants mis en terre. Mais là ne s’arrêtait pas l’opération qui se poursuivait tout le reste de l’année (plantation d’autres pieds, arrosage, élagage, protection contre les bêtes « brouteuses » et autres ramasseurs de bois « mort », etc.). Plus parlante que les statistiques, l’extension des périmètres verts visible à l’œil nu sur les pentes des collines et dans les espaces urbains. Dans leur immense majorité, nos forêts d’aujourd’hui ont été plantées de main d’homme.

Puis vint le salutaire 7 Novembre 1987. Pour le malheur de la fête de l’Arbre, cet événement est intervenu le premier dimanche du mois. Qu’à cela ne tienne : on décalera la fête d’une semaine et, désormais, elle aura lieu le deuxième dimanche du même mois. Insensiblement, l’ombre du « Changement » a envahi la Fête de l’Arbre : on ne saurait célébrer avec la même ferveur le culte de la personnalité et celui de la Nature. Celle-ci en pâtira mais on en aura assez fait ainsi. Au fil du temps, le protocole s’est réduit à la seule cérémonie de plantation d’un arbre par « l’Artisan du changement », l’occasion, une fois de plus de le voir à la télé dans ses bonnes œuvres. Mais les espaces verts eux se sont mis progressivement à se rétrécir.

On a commencé par s’en prendre aux arbres, parfois centenaires, qui bordaient les routes pour élargir celles-ci (le cas de Gafsa, ville à laquelle on accédait à l’ombre d’un véritable tunnel de verdure aménagé par les écoliers de la ville dans les années soixante sur près de 15 kilomètres) ou, plus simplement, pour des raisons de « sécurité » sur la voie qui conduit au palais de Carthage débarrassée d’eucalyptus centenaires qui risquaient d’abriter quelque tireur sur un hypothétique cortège présidentiel passant par-là (avenue Bourguiba, entre Salammbô et Dermech). Mais la palme revient au ministre de l’Environnement de l’époque qui déclassait à tour de bras les périmètres forestiers pour les livrer aux appétits insatiables de spéculateurs immobiliers. L’exemple le plus poignant étant celui du manteau forestier de Gammarth, en banlieue nord de la capitale qui, pourtant, fixait une immense dune qui ne manquera pas, un jour ou l’autre, de faire chèrement payer ce crime à ceux qui se sont prêtés à ce jeu de massacre.

Le « bouquet » nous aura été offert par la glorieuse Révolution du 14 janvier 2011. Qui saurait nous dire l’étendue des superficies dévastées par les incendies, en grande majorité d’origine criminelle provoqués par des terroristes ou des spéculateurs fonciers (le cas de la forêt de Dar Allouche, au Cap Bon) et les arrachages illégaux perpétrés par des commerçants du bois d’essences parfois à croissance très lente et qui avaient mis des dizaines d’années pour devenir adultes et productifs, tels les pins pignon du côté de Sidi Mechreg, par exemple ?

Quant aux gouvernants successifs durant cette période, dans le meilleur des cas, ils se contentaient de sacrifier au rite dans des simulacres d’opérations de reboisement, leurs préoccupations majeures étant très éloignées de celles de la Nature. Or celle-ci finit par se fâcher quand on cesse d’en tenir compte pendant trop longtemps. Et fait payer très cher une telle désinvolture. Et nous voici en train d’en régler la facture qui, à défaut d’une prise de conscience rapide, risque d’être très élevée. Trop pour les innocentes générations à venir. C’est une question de vie ou de mort. Pour notre salut, il s’agit, aujourd’hui, de remettre cette Nature (et la célébration de la fête de l’Arbre) au centre de nos préoccupations, décideurs et citoyens confondus.

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