Accueil Magazine La Presse Younès Sdiri, ancien champion de boxe: «Les crochets de Gratien Tonna sonnaient comme un marteau-piqueur !»

Younès Sdiri, ancien champion de boxe: «Les crochets de Gratien Tonna sonnaient comme un marteau-piqueur !»

Place aux icônes du sport national qui nous ont quittés pour un monde meilleur, et que les jeunes générations ne connaissent pas suffisamment, ou pas du tout. Dans ce numéro, afin de mieux le faire connaître, nous donnons la parole, dans un entretien réalisé jadis avec lui, à un de ces champions immortels, Younès Sdiri, parti il y a quelques mois. C’est tout bonnement «Monsieur K.-O.», l’homme de l’uppercut foudroyant. Le champion de Tunisie super-légers durant huit bonnes saisons est né le 23 octobre 1956 à Tunis. Il a signé sa première licence en 1972 pour Ennaceuria Sport, avant de passer en 1973 à l’Espérance Sportive de Tunis. Il a livré 104 combats amateurs, avec 59 victoires avant la limite. Son palmarès comprend huit championnats de Tunisie super-légers entre 1973 et 1981, la médaille d’or au tournoi de la Ville de Tunis 1973 et 1980, l’argent du championnat maghrébin 1974, du tournoi de la Ville de Tunis 1981 et du tournoi d’Allemagne 1975, et le bronze au championnat arabe 1980 en Irak et au tournoi de Yougoslavie 1975. A partir de 1981, il devient semi-professionnel pour six combats.

Reconverti entraîneur, il a exercé durant dix ans dans le staff de l’équipe nationale, avant d’officier à l’EST.

A seulement 25 ans, votre splendide carrière a été brisée net dans des conditions dramatiques. Racontez-nous ces circonstances douloureuses.

Le 30 avril 1981, je devais combattre contre Mohsen Hasnaoui dans le cadre d’un gala professionnel au Palais des sports d’El Menzah. A ce gala prirent part  Boundka, Denghir… Je me préparais sérieusement pour ce rendez-vous. Quatre jours plus tôt, vers 18h00, nous étions quelques enfants de Bab Jedid, notre quartier, à discuter boxe. Nous arrivions au niveau de la Rue Boukhris, juste devant la mosquée. La discussion était très chaude,  tournant à la querelle. Ali dit «Aloulou» me lança sur le ton du défi: «Tu vas perdre ton combat de la «Coupole» parce que tu as attrapé la grosse tête !». Les échanges s’enflammèrent subitement. Peut-être Aloulou a-t-il très mal pris mon statut de nouvelle coqueluche du quartier du fait de ma notoriété de grand pugiliste. Avant, c’était lui le «Caid» du quartier.

Comment cela se passa-t-il ensuite ?

Aloulou tira subrepticement de sous ses vêtements un poignard et m’agrippa violemment. J’ai eu peur qu’il réussisse à me frapper avec son poignard à l’avant-bras. Je me défendis et lui asséna au niveau du cou un coup de poing parti je ne sais comment. Le nerf glosso-pharyngien a été touché. Il est mort sur le coup. Nous étions des frères, nous avions le même âge. On m’a condamné à quatre ans de prison. Compte tenu de ma bonne conduite, j’ai pu bénéficier d’une liberté conditionnelle au bout d’un an et huit mois. J’ai dû arrêter ma carrière à cause de ce drame.

Comment a réagi sa famille ?

Sorti de prison, j’étais allé présenter mes excuses à sa famille. Il y a eu un malentendu qui s’est terminé de façon dramatique. Plus tard, à la mort de ma sœur, sa mère et sa famille étaient venues nous présenter leurs condoléances.

Votre carrière de boxeur arrêtée, qu’avez-vous fait ?

J’ai trouvé mon club, l’Espérance Sportive de Tunis, qui m’a sauvé. Elle m’a aidé et engagé comme entraîneur. J’y ai compté des poulains d’envergure qui ont fait parler d’eux : le champion du monde militaire Walid Cherif, les champions d’Afrique Seifeddine Nejmaoui, et Mourad Chebbi, Yahia Mkacheri, triple champion d’Afrique et détenteur de trois coupes d’Afrique, Mohamed Hedi Mabrouki, sacré champion d’Afrique juniors au Cameroun, Montacer Mezzi, vice-champion d’Afrique… Le responsable de la section, Khelifa Ben Naceur, un champion qu’on ne présente plus m’a beaucoup aidé. J’avais d’abord entraîné les pros pour le compte de la fédération. J’ai travaillé également dans le staff des équipes nationales durant une dizaine d’années.

Combien comptiez-vous de boxeurs à l’EST ?

Plus de 90. Nous pratiquions une politique de formation qui a donné ses fruits. Je me rappelle qu’à mon arrivée, en 2007, le président de section, Ferid Laâlaimi, m’avait dit qu’on m’accordait trois ans avant d’être jugé sur mon travail. Eh bien, j’ai fait le diagnostic en deux semaines, j’ai analysé le poids des licenciés qui partaient à la retraite. Mais dès la première saison, nous avons raflé huit titres sur dix. La saison d’après, huit médailles d’or et une d’argent. J’ai insisté auprès des dirigeants afin que nos boxeurs bénéficient d’une prime. J’ai fait venir de Sfax Marouène Bouzidi. Il a pu jouer contre le champion du monde militaire, Hassen Chemakti, qu’il a battu. Malheureusement, Bouzidi s’est gravement blessé à l’œil au cours des événements de la Révolution.

Avant de devenir Espérantiste, vous avez signé votre première licence à  Ennaceuria, non ?

Oui, c’était en 1972. C’est le berceau où la belle aventure a commencé. Six mois plus tard, je remportais le championnat de Tunisie des débutants, puis celui des novices. J’ai battu Abderrazak Neffati (El Khadhra Sport) et Ezeddine Blel (EST) par KO. On m’a alors convoqué en sélection nationale juniors. J’ai remporté au tournoi de Tripoli la médaille d’or. A mon retour à Tunis, le directeur technique de l’EST, Hassen El Houki, m’a convaincu de signer en faveur du club de Bab Souika d’autant plus qu’Ennaceuria avait gelé les activités de sa section boxe. Les responsables fédéraux, Mondher et Youssef Chaâlia, m’ont été d’un grand secours. J’ai également beaucoup d’affection pour Khemais Refai qui a également entraîné à l’EST, pour Ali Khammar et le coach Rached Merdassi.

Que représente la boxe pour vous ?

Je respire boxe. Le jour où je ne vais pas entraîner, je me sens malade. A 80 ans, Am Chedly Mzoughi vient me voir entraîner. Chaque jour, j’apprends de lui et des autres.

Que vous a donné le Noble art ?

L’amour des gens, la célébrité aussi bien dans mon quartier que partout à Tunis, à Sousse… Avant un combat, l’entraîneur de Sahline m’appelle et dit à son poulain : «Regarde, c’est ce Monsieur-là qui m’avait formé!».

Vos parents ne vous vont-ils pas déconseillé d’épouser une carrière sportive dans un sport aussi violent et risqué ?

Ma mère Fodha est décédée alors que je n’avais que quatre ans. Quant à mon père, Amor Atoui, il était installé en France. Mon frère Naceur Harzi a remporté trois fois le championnat de Tunisie poids coq. C’était un superbe pugiliste, mais la maladie l’a empêché de boxer plus longtemps. Comme vous pouvez le constater, mon père, mon frère et moi, nous portons chacun un nom de famille différent.

Quels furent les champions de votre génération ?

En fait, j’ai boxé avec deux générations. Dans la première, je citerais Béchir et Mohamed Boundka, Nejib Aouidet, Bechir Jelassi, Salah Bessaâd, Abdallah Neffati, Abdelaziz Hammi, Mohamed Mejri, Ali Khammar… Dans la seconde figurent Lotfi Belkhir, Nejib Zaddem, Khemais Refai, Raouf Matoussi, Abdessattar Bahri, Noureddine Boughanmi, Ali Ben Jeddou….

Les meilleurs boxeurs tunisiens à votre avis ?

Sadok Omrane, Brahim Mahouachi, Tijani Jeune dit «la mitraillette tunisienne», je ne l’ai pas vu jouer. Zaddem, Refai, Belkhir. Il y eut ensuite Mkacheri, Nejmaoui, Mabrouki, Jemmi, Cherif….

Et Tahar Belhassen ?

Oui. Peut-être que le mauvais souvenir du combat qu’il a perdu le 2 février 1974 au Palais des sports d’El Menzah contre le Ghanéen David Kotei Poison, championnat d’Afrique des plumes en jeu, a d’une certaine façon affecté mon admiration pour lui.  Cadet, j’ai porté ce soir-là le drapeau de la Tunisie lors de l’entrée des boxeurs dans la salle. Je crois que Belhassen n’a pas bien préparé ce combat. Il était venu le faire à la maison des jeunes du Belvédère.

Quel a été votre principal rival ?

Mohsen Hasnaoui dans le poids welter.

Et votre meilleur combat ?

Justement contre Hasnaoui en 1979 et 1980, contre Abderrazak Neffati et Mohamed Bouchiba. Mon point fort consiste en un crochet gauche dévastateur.  Aux poids 63,5 et 67 Kg, beaucoup de rivaux préféraient se retirer. Le cas de Bouraoui Ben Naceur, de l’Association militaire de Sousse, qui tomba tout seul dès mon premier crochet qui ne l’avait pourtant pas atteint. Il a feint le K.-O.  Une fois, je jouais face à Mohamed Chetali, de Bizerte. Une partie de sa barbe était tombée je ne sais par quel miracle quand je lui ai décoché un coup.  On ne portait pas de casque en ce temps-là. Les gens furent médusés en voyant une petite perruque se détacher de la tête de Salah El Amri, d’El Khadhra Sport, suite à un crochet dont je l’ai gratifié. Nejib Zaddem a tiré cette petite perruque du ring. En fait, tous les férus de boxe connaissent ces détails croustillants.

Y a-t-il eu une défaite qui vous était restée en travers de la gorge ?

Alors que j’étais capitaine de la sélection militaire, je devais rencontrer un boxeur de Msaken. Son entraîneur vint me dire: «S’il vous plait, ne soyez pas trop dur avec mon poulain, il risque de lui arriver un malheur».

Je lui ai donné ma parole. Eh bien, à l’étonnement général, dès le premier crochet, mon adversaire me mit K.-O ! Il m’a pris à froid (rire).

Pourtant, vous passiez pour être le maître du K.-O. Comment met-on son rival K.-O ?

Il n’y a pas de recette. Je dirais même que c’est un don de Dieu. Il ne faut jamais le chercher, le forcer. Sinon…

Vous souvenez-vous d’un adversaire dont les coups faisaient très mal ?

Le champion français né à Tunis, Gratien Tonna. C’est l’enfant de mon quartier, à Sidi Bahri, où nous nous étions installés plus tard. Il est d’origine maltaise. Alors que je me trouvais à Marseille, à la salle Vallier, il m’a demandé de lui servir de sparring-partner.

Au lieu des trois rounds prévus, j’ai arrêté après un round et demi tellement ses coups étaient une massue.

Les crochets qui pleuvaient sonnaient  comme un marteau-piqueur. A la fin, j’ai empoché la totalité de la prime prévue, 150 dinars.

Si vous n’étiez pas dans la boxe, dans quel autre domaine auriez-vous fait carrière ?

(Après une longue réflexion). Non, franchement, je ne me vois pas ailleurs. J’ai abandonné très tôt les études. D’ailleurs, je n’ai jamais travaillé ailleurs que dans la boxe, si on peut appeler cela travail. Pourtant, notre président à l’EST, Naceur Knani, m’a inscrit à la société Ceres Production.

Le premier jour, on m’a dit que j’allais toucher un salaire de 23 dinars. J’ai depuis arrêté. Je me suis dit que chaque samedi, mes supporters m’offraient 20 ou 25 dinars. Parce qu’ils aiment le spectacle et le K.-O.

Il arrivait qu’ils jettent de l’argent sur le ring. Des bus pleins à craquer venaient de La Goulette et d’Hammam-Lif assister aux combats. L’ex-entraîneur de l’Espérance, Skander Kasri, venait tout jeune assister aux combats de boxe. C’est un mordu.

Des banderoles portaient l’inscription suivante: «Elliri Ya Liri, wa Younès Sdiri !».

C’était devenu un refrain, un chant d’encouragement. Le palais de la foire et celui d’El Menzah faisaient le plein pour les soirées de boxe. C’était l’âge d’or.

Aujourd’hui, comment

trouvez-vous la situation de cette discipline ?

Le sport noble va à reculons. Son déclin est accentué par ses responsables. Peut-on concevoir qu’un responsable de l’arbitrage n’ait jamais porté des gants ni livré un combat ? Peut-on admettre que la même personne soit entraîneur dans un club et en même temps arbitre appelé à officier des combats de ses propres poulains ? Qu’un garde-matériel se transforme en coach après le retrait de l’entraîneur ?

La partialité et le chauvinisme battent le plein. Et puis, la qualité des boxeurs a baissé. J’ai passé 44 ans dans l’univers de la boxe.

Du temps de Mohamed Bennour et Mondher Chaâlia à la fédération et Hassen El Houki à la Ligue, la boxe nationale a décroché une médaille de bronze olympique grâce à Fethi Missaoui. Je faisais alors partie du staff technique national.

Que peut-on savoir de votre vie familiale ?

Je m’étais marié en 1996. Une semaine plus tard, c’était le divorce. Je suis très nerveux. Peut-être nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. Mektoub !.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Je suis féru de béliomachie. J’habitais à Ras Eddarb, les gens du coin aiment beaucoup ce sport.  Je vais voir les combats à La Karraka de La Goulette.

Am Rezgui, qui m’a entraîné avait un bélier très puissant. J’aime la nature, les promenades. A la télé, je regarde tous les sports, plus particulièrement les matches de l’Espérance et de l’Olympique Marseille.

Enfin, que retenez-vous de votre carrière ?

Le patriotisme, je sais ce que cela veut dire. Avec la sélection, en représentant mon pays, je pleure en entendant sur le ring l’hymne national. Il n’y a pas de sentiment plus fort.

Charger plus d'articles
Charger plus par Tarak GHARBI
Charger plus dans Magazine La Presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *