Pour libérer son potentiel de croissance, le pays a tout intérêt à renforcer la complexité de ses exportations.
Nul ne peut nier que l’économie tunisienne a fait preuve de résilience au cours des dernières années. Bon an mal an, elle tient le coup en dépit des chocs successifs qui se sont abattus sur le pays depuis 2011 et qui ont secoué le tissu productif. Certes, la performance économique n’est pas au beau fixe puisque le chômage persiste à des taux assez élevés et la croissance d’une manière générale n’arrive pas à décoller. Mais les diverses filières économiques ont su s’adapter aux crises, même si certaines d’entre elles y ont laissé des plumes. C’est le cas, par exemple, de la filière lait qui, subissant les revers du système de compensation, fait face aujourd’hui à des difficultés structurelles. D’autres secteurs, tels que le textile, les composants automobiles et aéronautiques, le pharmaceutique…, sont mieux lotis. La croissance de leurs exportations témoigne de leur capacité d’adaptation malgré une conjoncture internationale défavorable.
Un potentiel sous-exploité
Selon les économistes, cette résilience trouve son origine, entre autres, dans la complexité et la sophistication dont jouit l’économie tunisienne. En effet, la notion de complexité économique donne une idée de la capacité d’un pays à générer des compétences et des savoirs, permettant de diversifier l’activité économique basée sur des avantages comparatifs. Elle s’appuie sur la mesure de deux phénomènes, à savoir la diversité productive, c’est-à-dire des produits exportés et l’ubiquité qui fait référence au nombre des pays qui exportent un même produit. En somme, la complexité économique reflète à quel degré une économie donnée est adossée au savoir. Les théoriciens établissent une relation de corrélation entre la croissance et la complexité économique. Ainsi, les économies spécialisées dans la fabrication des biens sophistiqués croissent plus rapidement. Et c’est ce qui explique, d’ailleurs, le saut économique, qu’ont pu réaliser plusieurs pays d’Asie qui ont misé sur les nouvelles technologies et l’innovation.
Mais, en matière de complexité économique, la Tunisie se révèle aussi un exemple intéressant. En effet, avec un indice de complexité économique (ICE) établi à 0,39, le pays fait bonne figure et a occupé, en 2021, la 45e place parmi 133 économies (le Japon étant l’économie qui tient le haut du pavé avec un ICE égal à 2,43). Le classement de la Tunisie peut surprendre, surtout si l’on sait qu’elle devance le Vietnam, l’Égypte, la Jordanie et le Maroc. Il reflète son énorme potentiel de croissance et de développement. “La complexité des exportations d’un pays prédit fortement les niveaux de revenu actuels, ou lorsque la complexité dépasse les attentes concernant le niveau de revenu d’un pays, on prévoit que le pays connaîtra une croissance plus rapide à l’avenir. Encore faut-il réunir les conditions pour que cela se réalise ! Dans tous les cas, le potentiel est là pour la Tunisie”, explique l’économiste Fatma Marrakchi dans un post publié récemment.
La stagnation de l’ICE
Au cours de la décennie qui a précédé 2011, la Tunisie a réussi le pari d’améliorer son ICE, et ce, en se positionnant dans les chaînes de valeur mondiales et en œuvrant à la diversification des exportations. En 2001, l’indice n’était que de -0,15 confirmant la Tunisie au 67e rang à l’échelle internationale et reflétant un faible niveau de complexité économique. Mais depuis quelques années, l’indice stagne, traduisant l’incapacité du pays à fabriquer de nouveaux produits complexes et mettant en veilleuse la croissance. Pour rompre avec cette inertie et réaliser une montée en gamme de l’industrie nationale à même de la doter de davantage de sophistication, la Tunisie a besoin d’intensifier les investissements productifs dans les secteurs à forte valeur ajoutée. Dans une étude de l’Itceq intitulée “Pour un renouveau de la politique industrielle en Tunisie”, la chercheuse Souad Dhaouadi explique, à ce sujet, que la Tunisie se positionne sur des produits à fort et à moyen contenu technologique et non sur des produits primaires et minéraux et des métaux. Ce qui explique la diversification de ses exportations. “La Tunisie doit, ainsi, renforcer son positionnement pour se rapprocher des pays les mieux classés. Cela nécessite un positionnement meilleur sur les chaînes de valeur mondiale et une intensification de l’investissement productif dans des créneaux et des secteurs de pointe à forte valeur ajoutée tels que les secteurs de l’aéronautique, l’automobile, la mécanique de précision, la mécatronique et certaines filières chimiques et pharmaceutiques”, précise l’étude. Autant dire qu’une meilleure diversification et complexification de l’industrie tunisienne est toujours possible. Car la Tunisie possède un avantage comparatif latent pour plus d’une centaine de produits qui requièrent des technologies de pointe. Un document de travail publié en juin 2023 par la BAD cite, à cet effet, une liste de produits prometteurs sur lesquels la Tunisie peut se positionner et améliorer sa participation en amont des chaînes de valeur mondiales. Il s’agit, à titre d’exemple, des véhicules automobiles à usages spéciaux, des fibres de verre, des parties des véhicules aériens et spatiaux, etc.
Les technologies innovantes, une opportunité
Le passage à l’industrie 4.0, peut, en ce sens, être un moyen de complexifier les exportations. C’est ce que pense Anas Rochdi, directeur chargé de l’Innovation à Novation City, qui estime que l’industrie 4.0 constitue une des pistes à explorer pouvant contribuer à la réalisation de ce saut technologique vertueux et, donc, à jouer un rôle clé dans l’amélioration de la complexité économique de la Tunisie. “Beaucoup considèrent que l’industrie 4.0 est une transformation de l’outil de production. Certes, elle permet d’améliorer la flexibilité de l’entreprise ainsi que sa productivité. Mais l’adoption de l’industrie 4.0 va développer, indirectement, des savoirs nouveaux. C’est pour cela que cet appel à l’innovation ou à l’adoption de la transformation digitale est très important pour les industriels. Cela n’améliore pas seulement la productivité de l’industrie, mais permet, aussi, d’utiliser des compétences et développer un savoir-faire nouveau”, a-t-il souligné durant son intervention lors du 3e congrès national de la Conect. Il a ajouté, qu’aujourd’hui, la Tunisie n’est pas en train de monter en termes de complexité de produits parce que, entre autres, l’industrie nationale s’est limitée à la fabrication de composants mécatroniques ou à l’assemblage. “Si on va au-delà de la fabrication de composants, on devrait acquérir un savoir-faire plus important et faire un usage plus adéquat des compétences tunisiennes ”, a-t-il indiqué.