Accueil Magazine La Presse Ridha Zitoun, ancien pivot:  «Notre génération ne savait pas calculer, elle jouait par amour du handball»

Ridha Zitoun, ancien pivot:  «Notre génération ne savait pas calculer, elle jouait par amour du handball»

Grand handballeur formé à l’Asptt, passé ensuite à l’EST, Ridha Zitoun a vu le jour le 1er février 1952 à Tunis. Il a débuté en 1962 avec les minimes Asptt où il a milité de 1968 jusqu’en 1975, avant d’y retourner en 1984. Ce pivot insaisissable a évolué à Charleroi, en Belgique de 1975 à 1976, puis à l’EST de 1977 à 1983. Il compte à son palmarès deux titres cadets scolaires avec le lycée Carnot, un doublé cadet et un autre junior avec l’Asptt, 4 triplés (championnat et coupe de Tunisie, championnat arabe des clubs), et 2 doublés avec l’EST. Champion d’Afrique des nations 1975 à Tunis, et champion maghrébin universitaire 1968, 1970 et 1972, il participe aux Jeux olympiques 1972, aux Jeux méditerranéens 1975 et aux championnats du monde universitaires 1971 en Tchécoslovaquie et 1973 en Roumanie. Cet ancien directeur commercial d’une société d’autos-camions, parti à la retraite en 2012, est marié et père de deux enfants .

Ridha Zitoun, avec le Sept national, vous avez pris part en 1972 aux Jeux olympiques de Munich. Des Jeux pas comme les autres, n’est-ce pas ? 

Oui, d’abord parce qu’ils furent les premiers JO de cette dimension-là, mais surtout parce qu’ils furent marqués par l’attaque palestinienne contre la délégation israélienne. Nous étions en face du pavillon israélien, nous avons tout suivi en direct. 

 

Votre génération a fait œuvre de pionnière en matière de vulgarisation du HB qui était un sport nouveau en Tunisie ?

C’est surtout la génération qui nous avait précédés qui a joué ce rôle déterminant. Dans les années 1960, j’étais la mascotte de l’équipe, je posais régulièrement avec l’équipe seniors. J’ai donc vécu l’âge des pionniers. Hassen Mejri et Youssef Gaddour me disaient souvent que j’ai fini par apprendre à jouer à force de les voir jouer. Notre équipe se composait de Ridha Bejaoui qui m’offrait des caviars sur les six mètres, feu Lotfi Bohli, Abdelmajid El Ouaer, le cousin de Chokri, Maher Ben Ghachem, Naceur Sebai….

Qu’est-ce qui a changé entre le hand d’hier et celui d’aujourd’hui ?

Le niveau a énormément évolué. Les moyens n’ont rien en commun. Notre génération ne savait pas calculer, nous jouions par amour du hand. C’était notre honneur qui était en jeu. Une prime de 50 dinars nous transportait de joie; un petit repas au restaurant et un ticket de cinéma l’après-midi nous paraissaient la récompense suprême. Aujourd’hui, les handballeurs gagnent des fortunes parce qu’ils sont devenus professionnels. Il y a actuellement une meilleure qualité de jeu grâce à l’amélioration de l’infrastructure. Pourtant, je ne sais pas pourquoi la sélection nationale a régressé à ce point. La matière première existe chez nous. Je ne sais pas pourquoi les sélectionneurs, notamment tunisiens, ne réussissent pas avec. Les responsables vont prendre les décisions adéquates, j’espère. 

Comment êtes-vous venu au handball ?

Ma première licence, je l’ai signée pour l’Association des PTT de Tunis (l’Asptt) en 1962. J’étais encore minimes. Il faut dire que ma passion, c’était le handball plutôt que le football d’autant que j’habitais le quartier de l’ASPTT, Rue d’Artois à côté du TGM. Mon père Amor tenait la buvette du complexe de l’Asptt. C’était un joueur de pétanque. Je pratiquais deux sports en même temps, les règlements de l’époque l’autorisant: le hand avec les Postiers, et le basket-ball avec le Club Sportif des Cheminots. J’ai d’ailleurs trois soeurs qui ont joué le basket au CSC. J’ai fini par choisir le HB. Sur la photo immortalisant notre doublé de 1962, après la finale remportée aux dépens de l’Espérance de Tunis de Moncef Hajjar, je figure juste à côté du gardien postier Hassen Mejri. Et c’est en 1968 que j’ai disputé mon premier match seniors. J’étais encore cadet, et j’ai dû être surclassé. Avec les catégories des jeunes de l’Asptt, nous avons remporté tous les titres possibles.

Comment avez-vous opté pour l’Espérance Sportive de Tunis ?

La veille du départ de la sélection nationale pour disputer les Jeux méditerranéens d’Alger, en 1975, feu Mounir Jelili m’a convaincu de signer pour son club. Pourtant, quelques jours plus tôt, le président du Club Africain, feu Azouz Lasram, qui était un père spirituel pour moi, m’avait proposé de signer pour le CA. J’ai opposé un refus poli. En tout cas, entre 1975 et 1983, j’ai vécu des moments exquis avec le club de Bab Souika.

Qu’avez-vous fait pour contourner les règlements ?

Mon transfert n’étant possible qu’après deux saisons d’inactivité en Tunisie, j’étais parti en Belgique où j’ai porté les couleurs de Charleroi (D1). J’étais professionnel, certes, mais pour arrondir les fins de mois, j’entraînais en parallèle un club de deuxième division belge, le Pays Noir.

Qu’est-ce qui change pour vous en passant de l’Asptt à l’EST via la Belgique ?

L’Asptt reste une école de handball. Dès le départ, j’en fus le capitaine. Déjà, en 1971-72, nous avons terminé le championnat en deuxième position, juste derrière l’EST. La saison d’avant, c’était le Stade Nabeulien qui avait terminé dauphin, il nous a en quelque sorte inspirés car nous étions pratiquement d’une même dimension, soit des outsiders aux dents longues. Quand vous consultez la liste des joueurs qui ont porté la casaque de l’EST, vous trouvez beaucoup qui venaient de l’ASPTT: Hechemi Razgallah, Mohamed Lassoued, Habib Yagouta, Touati, Nejib Glenza, Rached Rakrouki, Ridha Zitoun, et j’en passe… Razgallah, j’allais l’avoir comme entraîneur à l’EST, tout comme Haj Abdellatif Telmoudi qui m’avait entraîné à l’Asptt. Bref, rejoindre un aussi grand club que l’EST, jouer avec les Naceur Jeljeli, Mounir Jelili, Moncef Besbès, Faouzi Sbabti, Khaled Achour, Rachid Hafsi…. a été pour moi une belle histoire. 

Combien avez-vous gagné en signant pour l’EST ?

Je peux me vanter d’avoir signé à l’Espérance sans aucune contre-partie financière. Personne ne peut dire de moi que je suis un mercenaire. L’EST m’a tout de même donné la notoriété. Pourtant, sans la coupure de deux ans passés en Belgique, j’aurais sans doute participé avec l’équipe nationale aux Jeux olympiques 1976 et 1980. Depuis mon départ en Belgique, on ne me convoquait plus parmi le Sept national. Mektoub !

Comme une dette, vous avez terminé votre carrière à l’Asptt ?

Oui, je l’ai promis à la famille postière. En 1983, j’y était revenu pour faire remonter l’ASPTT en Nationale 1 avant de raccrocher définitivement. A 31 ans, il était temps. A notre époque, on jouait sans suivi ou contrôle médical. Pourtant, on s’entraînait et on jouait sur terre battue. Avec la pluie, le ballon de handball devenait aussi gros et lourd que celui de football.

Comment était le derby ?

Une fête totale. L’amitié l’emportait après une heure de tension et de rivalité sans merci contre notre premier rival. Sbabti et Besbès faisaient la différence. En arrivant, Mounir Jelili avait déjà eu son problème cardiaque. Je l’ai d’ailleurs visité à Paris alors qu’il se soignait. 

Justement, le débat n’en finit pas pour départager Mounir Jelili et Faouzi Sbabti comme meilleur handballeur tunisien. Votre avis ?

Sbabti, c’est la détente, Jelili, c’est la technique. D’ailleurs, de grands joueurs, j’en citerais bien d’autres: Hechmi Razgallah, Moncef Hajjar, Omrane Ben Moussa, Faouzi Ksouri… Wissem Hmam et Issam Tej à une autre époque. On ne peut pas vraiment se prononcer devant toute cette richesse, ce foisonnement. N’oubliez pas que le hand a de tout temps été le deuxième sport du pays.

Quels furent les «animateurs» de l’équipe en votre temps ?

Amor Sghaier était notre chanteur. Il vit actuellement en Allemagne. Moncef Oueslati et Mounir Jelili n’étaient pas mal non plus.

Quels furent vos entraîneurs ?

Abdellatif Telmoudi, des minimes jusqu’aux seniors des Postiers. Un père spirituel, un formateur hors pair qui ne tolère aucun écart de conduite. Pourtant, j’étais ce qu’on appelle une forte tête. A l’EST, Hachemi Razgallah, Habib Touati, Telmoudi qui a rejoint le club sang et or…

Et vos dirigeants ?

Belgacem Daghari, Brahim Mechri et Zouheir Belakhal qui fit les plus belles années de l’ASPTT, et Moncef Ben Yahia à l’EST.

A quel poste avez-vous évolué ?

J’ai été pivot, et occasionnellement ailier. Un bon pivot doit avoir la vitesse, l’agilité, la technique et le courage pour recevoir sans broncher les coups.

Quel a été l’adversaire le plus coriace auquel vous avez eu à faire?

Lassaâd Shabou, du CS Hammam-Lif, Moncef Hajjar de l’EST, Hamadi Khalladi et Sadok Baccouche du Club Africain. Ils alliaient la force et la virilité. Il y eut ensuite Khaled Achour avant que je joue avec lui.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le handball ?

A vrai dire, j’ai eu des parents très cool. On ne m’a certes pas encouragé à pratiquer le sport, mais on ne me l’avait pas interdit non plus. Ma mère Anna, d’origine  italienne, n’était jamais allée au stade suivre mes matches. Très sensible, elle souffrait en me voyant parfois rentrer blessé d’un match houleux.

Est-il vraiment impossible d’allier sport et études ?

Oui, le sport ne vous laisse ni le temps ni l’énergie, et vous êtes tout le temps sur un terrain ou en stage. J’ai été au lycée Carnot jusqu’à la terminale. J’ai ensuite pris des cours d’informatique. Entre 1971 et 1975, j’ai été recruté par les PTT en tant qu’informaticien. En Belgique, j’ai fait un peu de tout, y compris à l’Office tunisien du Tourisme grâce à Si Azouz Lasram.

En rentrant, j’ai intégré la société Le Moteur en tant qu’informaticien, puis en qualité d’agent commercial. J’ai fait par la suite carrière dans une société allemande d’autos-camions. Cela m’a souvent permis de revenir à Stuttgart où nous avions préparé les Jeux olympiques de Munich durant presque un mois. 

Le sport a-t-il été pour vous un moyen de survie ?

Non, jamais. Je jouais pour le plaisir, par amour du sport, un peu dans l’esprit coubertien: participer pour participer.

Quel est votre meilleur souvenir sportif ?

Les deux titres de champion scolaire cadets remportés avec le Lycée Carnot. Il régnait une ambiance formidable de grande fête dans ces championnats scolaires. Le vendredi après-midi, c’était un jour sacré: on jouait les matches inter-lycées. De tout cela, il ne reste plus rien. Dommage ! Le secteur scolaire et universitaire a permis l’éclosion des meilleurs sportifs du pays, toutes disciplines confondues.

Et le plus mauvais ?

La frustration de la défaite en finale des championnats arabes des clubs champions 1978-79, à Manama (Bahrein) contre Ahly Jeddah où jouaient Faouzi Sbabti et Raouf Ben Samir. L’arbitre syrien a tout fait afin que nous perdions cette finale-là.

En raccrochant, pourquoi avez-vous complètement pris vos distances par rapport aux milieux du handball ?

Je crois que l’occasion ne s’était jamais présentée afin que je fasse l’entraîneur ou le dirigeant. J’ai été sollicité par Mohamed Sabbagh pour postuler à une place dans un  bureau fédéral. Seulement, mon travail ne me laissait pas le temps d’honorer une telle charge. Ensuite, je n’ai pas le caractère pour réussir une carrière d’entraîneur.

Parlez-nous de votre petite famille.

En 1982, j’ai épousé Marie-José, une retraitée d’Alitalia. Nous avons deux enfants: Omar, master en finances et gestion, et Skander, titulaire d’un diplôme de management dans l’hôtellerie. 

Comment passez-vous votre temps libre ?

Je ne vais pas au café, je déteste l’odeur du tabac et de la chicha. Je préfère rester chezmoi à regarder les sports. Je suis Interiste pure souche depuis le temps des Facchetti, Mazzola, Burgnich, Suarez, Sarti, Jair… J’aime aussi la musique classique et la variété italienne, Adriano Celentano en premier lieu. A vrai dire, je reste profondément marqué et influencé par la culture italienne.

Votre devise ?

L’honnêteté d’abord, la correction et la rigueur ensuite.

Un message à l’adresse des jeunes ?

Croire en l’avenir, s’accrocher et défendre ses idéaux. Il faut rester quoi qu’il advienne optimiste, et sortir du carcan malgré les difficultés que rencontre la Tunisie. Il ne faut jamais lâcher.

Enfin, si vous n’avez pas opté pour le sport, quel métier auriez-vous choisi ?

J’aurais sans doute poussé mes études un peu plus loin. J’étais littéraire, j’aurais fait interprète. Tiens, tiens, pourquoi pas journaliste ? (sourire).

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