Comme tous les secteurs publics en net déclin, celui des transports, notamment terrestre et aérien, est en butte à de très grandes difficultés. A la corruption, viennent s’ajouter la mauvaise gestion, le manque de moyens et les actes de vandalisme récurrents et même de sabotage. Le secteur est au stade de la mort clinique.
Le ministère du Transport a réceptionné en août dernier environ 300 bus d’occasion en vue de ravitailler le parc vieillissant de la Société des transports de Tunis, principal opérateur de transport urbain. La vétusté des rames de train de la ligne reliant Tunis, La Goulette, La Marsa (TGM) ainsi que celle des bus et des wagons de la Transtu et des trains de la Société nationale des chemins de fer tunisiens (Sncft), sont les indicateurs saillants de la grave crise qui secoue un secteur vital qui représente 7% du PIB et emploie 40 mille personnes.
Cumul de retard dans l’exécution des projets structurants
Le transport en Tunisie est détenu à près de 70 % par le secteur public. Le diagnostic de ce secteur établi par le ministère du Transport à l’occasion des travaux de préparation du plan de développement 2016-2020, a montré que tout le secteur, terrestre, aérien et maritime, fait face à de sérieux problèmes qui entravent son développement. Les causes de cette crise qui dure, le retard qu’accusent les principaux projets, le manque de réformes, selon les constatations faites par l’ancien ministre du Transport, Anis Ghdira. Il est bien clair que les difficultés ne datent pas d’aujourd’hui et que son successeur, Rabie Majidi, en place depuis octobre 2021, et son équipe ne disposent pas d’une baguette magique pour résoudre tous les problèmes d’un coup qui couvent depuis longtemps et pour rattraper le grand retard d’exécution des projets structurants se rapportant aux moyens de transport.
Il va sans dire que les moyens de transport qui comptent le plus actuellement sont les bus, les métros relevant de la Transtu et les trains de la Sncft. Autrement dit, les moyens de transport terrestres les plus utilisés par la grande majorité des Tunisiens qui ne disposent pas de véhicules individuels. A cet effet, il est utile de rappeler qu’au niveau des transports publics, trois entreprises dominent le secteur, à savoir la Société des transports de Tunis appelée Transtu, la Société nationale de transport interurbain (Sntri) avec une part relativement modeste comparée à Transtu; et bien évidemment la Société nationale des chemins de fer tunisiens (Sncft).
Le spectacle des moyens de transport surchargés (trains et bus) souvent en retard ou en panne lors des heures de pointe constitue un sempiternel calvaire que d’aucuns ne peuvent nier face à l’évidence, et évoque essentiellement un cumul de retard accusé à longueur d’année dans la mise à exécution de projets structurants en raison du manque de moyens. Tout bien considéré, il est plus qu’opportun de dévoiler la mauvaise gestion qui a conduit à ce grand désordre dans l’un des plus importants secteurs du pays après 2011 et qui a été marqué par des recrutements massifs entachés de fraude et de corruption, d’absentéisme à grande échelle, de vol de matériel et de d’autres dérives lors de l’acquisition de matériel roulant.
Corruption à grande échelle ?
Certains dossiers de suspicion de corruption en rapport avec des marchés d’acquisition de matériel par les sociétés nationales de transport, à savoir Tunisair, Transtu, et Sncft, ainsi que des recrutements massifs de personnels après 2011, n’ont pas toujours été clos. Des ministres, de hauts responsables, des cadres et agents ont été rappelés par la justice après avoir été acquittés et bien d’autres ont été libérés pour être auditionnés quelques mois après. Ils font aujourd’hui l’objet de mandats de dépôt. Selon une source syndicale relevant de la Sncft, les accusés dans l’affaire du marché d’acquisition de poutres en bois, conclu en 2017 avec un fournisseur étranger et qui a été entaché de dépassements, ont gagné leur procès.
Une autre affaire de suspicion de corruption a fait couler beaucoup d’encre, impliquant un ancien directeur général de Tunisair Technics qui a écopé de 12 ans de prison et d’une amende de 19 millions de DT. Un autre cadre de Tunisair a été condamné à 10 ans de prison et à plus de 11 millions de DT d’amende. L’affaire est en lien avec un marché conclu pour la réparation de deux réacteurs d’avion de la flotte de Tunisair, malheureusement restés bloqués au Canada depuis 2018.
Ces cas de grande corruption n’ont fait qu’affaiblir un pilier du secteur public et impacter lourdement ses infrastructures et logistiques, sans compter les cas de vol récurrents de câbles en cuivre du réseau ferroviaire des trains et du réseau ferroviaire rapide en février 2023, des actes de vandalisme ciblant le matériel roulant aussi bien de la Transtu que de la Sncft.
Des éléments à prendre en considération, puisque les actes de vandalisme ont causé des pertes à la Transtu estimées à 700 mille dinars jusqu’au 21 septembre 2021. En octobre 2023, la même société a accusé des pertes d’environ 62 mille dinars. Des pertes qui n’ont fait qu’aggraver encore plus la crise financière de cette société en particulier et celle du transport public en général. Il en est de même pour la Sncft qui a pointé du doigt dans un communiqué publié en mars 2023, la recrudescence du pillage et du vandalisme dans des gares à grande affluence. Ces actes ont conduit à l’arrêt de plusieurs trains, en attendant leur réparation.
Grosses pertes à la Sncft
Contacté par le journal La presse, le secrétaire général du Syndicat des chemins de fer, Najib Jelassi, relevant de la Fédération générale des chemins de fer au sein de l’Ugtt, a lancé un cri de détresse. «Les causes de cette panne généralisée sont multiples et sont bien connues, mais on fait semblant toujours de les oublier. Tout d’abord, il faudra mettre le doigt sur la plaie et pointer le manque d’employés, le vol des câbles en cuivre et des batteries pour barrières automatiques, l’absence d’entretien du matériel roulant, due elle-même au manque de pièces de rechange. C’est à l’Etat qu’incombe la responsabilité de l’entretien des rails», nous explique-t-il.
Il nous a déclaré que la société manque cruellement de pièces de rechange et de produits à l’instar des «huiles pour moteurs de locomotive» et «frein à sabot» utilisés dans les transports ferroviaires, ce qui a provoqué des retards et diminué considérablement les performances et le nombre de dessertes. La société fait face aux mêmes problèmes pour le transport des marchandises dont essentiellement le phosphate qui constitue 42% des revenus annuels de la Sncft. «On soutient le Président de la République dans son appel à compter sur nous-mêmes et sur nos richesses, mais comment faire face à la dégradation de la structure de base de notre société? On a besoin de pièces de rechange pour assurer le transport de phosphate. En conclusion, on constante l’absence d’une réelle volonté politique pour développer le transport ferroviaire».
Pour ce qui est du matériel de la Sncft déposé dans les entrepôts dont celui de Nabeul, notre interlocuteur a tenu à expliquer qu’il s’agit d’équipements et de matériel classés, destinés à la vente aux sociétés de recyclage. Toutefois, l’opération de vente requiert de se conformer à la réglementation du marché public, ce qui revient à suivre un long processus administratif. Il ajoute que ces entrepôts ne sont pas bien gardés, ce qui nécessite l’augmentation du nombre d’employés appelés à assurer cette tâche dans les meilleures conditions.
Au demeurant, il semblerait que le secteur du transport public navigue à vue en raison de la situation difficile par laquelle passent toutes les entreprises publiques. Impactés par l’effet domino, les moyens de transport public qui suivent un plan de circulation obsolète ne sont plus au service du citoyen. Des projets sont en vue dans le cadre d’une «vision stratégique sur le secteur du transport et de la logistique, à l’horizon 2040» annoncée par le ministère du Transport. On espère toujours.