Pénurie d’huile végétale, de lait, de farine et même de médicaments, pour ne citer que quelques-unes des brimades qui sont devenues notre lot quotidien ; alors, serait-on tenté de dire, si ce n’est le drame des victimes enterrées vivantes sous les gravats, les histoires de vieilles pierres d’un pan de rempart tombé à Kairouan ou la construction — en dur, s’il vous- plait —- de kiosques au voisinage du mur d’enceinte de la vieille ville de Monastir peuvent bien attendre des jours meilleurs pour qu’on s’en soucie.
Les atteintes au patrimoine ne datent pas d’aujourd’hui et il y a peu de chance qu’un terme y soit mis fin un jour. Et nous ne sommes pas les seuls à nous livrer à ce «sport» sur terre. Mais, ce qui caractérise la situation et depuis la fin de l’«ancien régime » dans notre pays, c’est que cette pratique s’est fâcheusement généralisée. Auparavant, comme en toute chose malsaine, le viol du patrimoine était réservé à une frange privilégiée qui agissait avec la certitude de l’impunité. Et les petits qui s’y frottaient payaient pour tout le monde !
Un peu comme agissent les prédateurs
avec la dépouille d’une proie,
qui à coups de griffes, qui à coups de canines,
qui à coups de bec.
Aujourd’hui, la chose s’est «démocratisée». Tout le monde y participe pour ainsi au grand jour et si ce n’est avec la complicité de diverses autorités, du moins avec la conviction d’exercer un droit établi. Un peu comme agissent les prédateurs avec la dépouille d’une proie, qui à coups de griffes, qui à coups de canines, qui à coups de bec. A chacun selon l’opportunité, selon ses moyens et selon sa taille. Ici on jette son dévolu sur un terrain archéologique (Carthage, en particulier et jusqu’à ce jour, en offre un exemple édifiant), là on annexe une partie d’un monument historique (au Bardo, des impudents ont incorporé des piles de l’aqueduc dit romain à leur arrière-cour !), ailleurs on confisquera le paysage patrimonial pour profiter de l’intérêt qu’il soulève auprès des passants et de l’influence qu’il exerce sur la fréquentation des lieux (les bassins aghlabides de Kairouan ou le ribat de Monastir).
Et la tutelle dans tout ça ? Elle a choisi de se coucher dans le lit du passé sur lequel elle est censée veiller. Pour défendre sa bévue, le gouverneur de Monastir a argué de la distance de 7 mètres séparant les nouvelles constructions du mur d’enceinte du ribat, ignorant, le pauvre, que, légalement, cette distance doit être nettement supérieure à ça.
Les dégâts causés aux remparts de Kairouan et ceux qu’on projette pour ceux de Monastir ne sont pas irréversibles. Parce qu’il existe autour de ces monuments un rempart infranchissable : celui de la société civile. Les citoyens de Monastir en donnent le meilleur exemple.