Aux premiers jours de la glorieuse Révolution de 2011, un médecin demanda la déchéance du grand Charles Nicolle de son titre de Prix Nobel, dont la Tunisie s’enorgueillit tant, pour cause d’expérimentation de protocoles curatifs sur des citoyens tunisiens, feignant d’oublier qu’à cette époque-là, les choses se passaient ainsi avec des patients de toute manière condamnés avant la découverte de médicaments issus de l’expérimentation de Nicolle. Cette noble réaction posthume ne s’est pas accompagnée de son corollaire, à savoir l’attribution de cette même distinction à Ernest Conseil, autre médecin et grand biologiste, contemporain de Charles Nicolle, qui a servi la Tunisie et les Tunisiens jusqu’au sacrifice suprême. Venu en Tunisie en 1906, il a été affecté à l’hôpital Sadiki (aujourd’hui hôpital Aziza Othmana) en pleine épidémie de typhus, à l’époque récurrente et dévastatrice. Tout en accomplissant sa mission, il menait en collaboration avec Nicolle des recherches dans un petit laboratoire qu’il avait aménagé dans l’enceinte même de l’hôpital et dans lequel il a été contaminé et atteint d’ostéomyélite qui le laissa infirme d’un bras. Nommé en 1909 chef du tout nouveau service de l’hygiène de la ville de Tunis, il a dirigé le lazaret de La Rabta, alors dans la périphérie de la capitale. Au contact de ses malades, il contacta le typhus puis un érysipèle qui lui ont fait frôler la mort. Mais il allait se contaminer lui-même, volontairement, par d’autres affections moins graves, à titre expérimental. Sérieusement atteint, il n’en a pas moins poursuivi son œuvre de recherche, de prévention et de soin parmi «les taudis infâmes de La Rabta de l’époque héroïque, circulant sans souci du danger des poux des typhiques, des puces des pesteux, des pustules des varioleux», selon le témoignage d’un contemporain, ce qui lui valut une affection et une reconnaissance sans limites tant auprès de ses patients que de la population tunisoise, grâce à lui, épargnée par les affres d’une épidémie de peste pulmonaire «qui menaça Tunis d’une catastrophe sans précédent en décembre 1929 et dont il reconnut les premiers cas et montra l’origine». Il entreprit alors d’isoler les malades et de les soigner à la Rabta, mais il décéda lui-même quelques mois plus tard. Inhumé le 28 juin 1930 dans l’enceinte-même de l’hôpital qui allait, depuis lors, porter son nom et son souvenir, il s’est vu progressivement relégué dans l’oubli par les générations suivantes qui ont commencé par rebaptiser l’endroit, lui faisant porter le nom de la colline sur laquelle s’élève l’établissement. Ensuite le carré dans lequel il repose a été abandonné aux herbes folles…
Vous avez dit ingratitude, Docteur contestataire ?…