Deux mois jour pour jour séparent le deuxième discours du chef du Hezbollah, cheïkh Hassan Nasrallah, prononcé le vendredi 3 novembre 2023, et celui d’avant-hier.
Ce troisième « speech » du leader chiite libanais, depuis le début de la guerre entre l’entité sioniste et le mouvement de la résistance palestinienne, était initialement prévu pour marquer le quatrième anniversaire de la mort du puissant commandant militaire iranien et architecte des opérations militaires du régime des mollahs au Moyen-Orient, le général Kassem Soleimani, tué par une frappe de drone américaine en Irak commanditée par l’ex-président américain Donald Trump, le 3 janvier 2020.
Mais après l’assassinat de Saleh el-Arouri, numéro 2 du bureau politique du Hamas, dans une frappe sioniste qui a visé le bureau du Hamas dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, et l’attentat sanglant perpétré avant-hier près de la mosquée Saheb al-Zaman, où se trouve la tombe du général Soleimani, à Kerman, dans le sud de l’Iran, faisant 103 morts et 284 blessés; tout le monde se demandait jusqu’où irait Hassan Nasrallah dans ses représailles.
Depuis le 7 octobre 2023, le mouvement de la résistance libanaise a jusqu’à l’écriture de ces lignes fait de son mieux pour éviter tout embrasement régional et surtout une guerre ouverte, considérant les affrontements avec l’armée de l’État voyou au Liban-Sud comme un «front de soutien» destiné à atténuer l’offensive de l’ennemi sioniste sur Gaza, selon la rhétorique du Secrétaire général du parti chiite libanais.
Sauf qu’après le raid israélien meurtrier ayant ciblé le bastion du Hezbollah, tout porte à croire que le gouvernement israélien d’extrême droite veut faire d’une pierre deux coups: provoquer une réaction militaire du Hezbollah, en l’entraînant officiellement dans sa sale guerre, et faire pression sur Washington afin de faire marche arrière sur l’annonce du pentagone de retirer dans les prochains jours le porte-avions USS Gerald Ford — le plus moderne de l’US Navy et arme de dissuasion ciblant l’axe de la résistance anti-sioniste (l’Iran et ses proxys) — du bassin oriental de la Méditerranée.
Certes, le cheïkh Hassan Nasrallah a prévenu que sa formation se battrait « sans limites » si l’entité sioniste déclarait la guerre au pays du Cèdre.
« Pour le moment, nous combattons sur le front de façon calculée (…) mais si l’ennemi pense lancer une guerre contre le Liban, nous combattrons sans limites, sans restrictions, sans frontières (…) », a fait savoir le chef du Hezbollah dans un discours retransmis en direct à la télévision. « Nous ne craignons pas la guerre », a-t-il souligné, en promettant que « le crime d’hier (assassinat de Saleh el-Arouri, vice-président du bureau politique du Hamas-ndlr) ne resterait pas impuni ».
Nul doute, personne ne peut remettre en cause le sérieux et les menaces du patron du mouvement de la résistance libanaise.
Toutefois, il est clair que le Hezbollah n’est plus aussi puissant qu’en 2006. Le mouvement chiite libanais a perdu de sa superbe, notamment avec un Liban confronté à une crise économique et financière aiguë, sans oublier l’impasse politique où le Parlement a échoué, le 14 juin dernier, pour la douzième fois en 7 mois à élire un président de la République pour succéder à Michel Aoun.
Devant un tel tableau, ni les citoyens libanais lambda ni les partisans du mouvement chiites ne tolèreraient une nouvelle guerre qui risquerait d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil d’un pays martyrisé par une kleptocratie éhontée et une classe politique plus que jamais divisée par ses idéologies religieuses et ses bagarres confessionnelles.
Parallèlement, la multiplication des fronts de tensions et des proxys iraniens (les Houthis au Yémen, Katayeb Hezbollah et le Hachd al-chaâbi en Irak, le Hamas à Gaza et les milices pro-iraniennes au Golan, etc.) ont fini par diminuer l’assistance militaire de Téhéran en faveur du mouvement de la résistance libanaise.
De plus, on a tendance à oublier l’effort militaire du Hezbollah en 12 ans de guerre civile en Syrie.
Le parti du cheïkh Hassan Nasrallah a payé un lourd tribut dans le conflit syrien — des centaines de martyrs du Hezbollah sont tombés sur le champ d’honneur.
L’implication du mouvement chiite libanais était assez considérable en hommes et armes pour soutenir l’armée arabe syrienne dans sa lutte armée contre les groupes jihadistes (Daech, Hayat Tahrir al-Cham, etc.).
Et, il ne faut pas minimiser l’impact des bombardements de l’aviation sioniste sur les aéroports de Damas et d’Alep. La destruction de ces deux aérodromes stratégiques et la paralysie du trafic aérien ont privé le «Parti de Dieu» libanais de l’aide militaire du régime des mollahs et du précieux «consulting» du corps des Gardiens de la Révolution.
Ainsi, le discours creux du Secrétaire général du Hezbollah et l’action mi-figue mi-raisin de sa branche militaire au sud du Liban sont des aveux d’impuissance sur fond de crise économique et politique au pays du Cèdre.
Parallèlement, stratégiquement parlant, après l’opération «Déluge d’al-Aqsa», Téhéran n’a aucun intérêt à raviver la flamme de la guerre sur plusieurs fronts, surtout avec les signaux envoyés par les forces navales de l’US Army en Méditerranée et en mer Rouge, notamment après les attaques des rebelles houthis à Bab el-Mandeb contre des navires marchands.
L’attaque-surprise du 7 octobre par les combattants du mouvement de la résistance palestinienne (Hamas) est largement suffisante aux yeux de l’ayatollah Khameni et ses « pasdarans » (Gardiens de la Révolution islamique) : le projet de normalisation entre Riyad et Tel-Aviv a été étouffé dans l’œuf et les Accords d’Abraham ont été annihilés.
De surcroît, depuis 1948, l’entité sioniste n’a jamais été aussi vulnérable et menacée dans son existence : le coup d’éclat de la résistance palestinienne a donné un coup de pied dans la fourmilière et chamboulé toutes les cartes dans la région, en remettant la cause palestinienne de nouveau au-devant de la scène internationale.
Les retombées militaires et surtout politiques de l’opération «Déluge d’al-Aqsa» sont si énormes que le Hezbollah et l’Iran peuvent se contenter de petites escarmouches au Liban-Sud.
Après tout, le « Shatranj » (l’ancêtre du jeu d’échecs) n’est-il pas une création perse ?