Ces entreprises sont appelées à traduire la réalisation de la justice sociale et la répartition équitable des richesses. Tout début est difficile et compliqué mais la promptitude n’assure guère le succès.
Visant la réalisation et le développement régional fondé sur l’initiative sociale et solidaire, notamment dans les délégations, en fonction des besoins et des particularités, les entreprises citoyennes lancées suite au décret présidentiel n°15-2022 publié le 21 mars 2022 au Journal officiel de la République tunisienne poursuivent leur bonhomme de chemin. Doucement mais sûrement. Derrière ce concept de l’économie solidaire, une volonté affichée au sommet de la hiérarchie politique œuvrant à instaurer l’économie par la base. L’idée est bien simple, mais c’est au niveau de l’exécution que les choses ont généralement tendance à se compliquer. Toutefois, pour le Chef de l’Etat, tout a été bien tracé et bien étudié au préalable.
Au fait, ce projet entre en symbiose avec la création du Conseil des régions qui sera formé par les élus locaux et avec la mise en place du conseil national des districts. C’est l’un des maillons de la construction de la démocratie par la base qui place le citoyen dans un rôle de décideur au premier degré à tous les niveaux. Une nouvelle orientation désavouée par la majorité des partis politiques et même par des experts en économie en dépit de l’enjeu du projet de Kaïs Saïed, comme est venu le confirmer l’article 2 du décret présidentiel, tourné vers la réalisation de la justice sociale et la répartition équitable des richesses.
Un début timide, mais…
Quelques mois après la publication du décret présidentiel, et plus précisément au début du mois d’octobre 2022, le premier coup d’envoi a été donné pour le lancement de la première entreprise citoyenne à Beni Khiar, dans le gouvernorat de Nabeul, sur des terres collectives d’une superficie estimée à 900 hectares et destinées à l’exploitation agricole et même touristique.
En août 2023, la première entreprise citoyenne pour femmes agricultrices a été créée à la ferme de Borj Toumi, dans le gouvernorat de La Manouba, sur un terrain d’une superficie de plus de 500 hectares relevant de l’Office des terres domaniales. A cette occasion, Kaïs Saïed a mis en exergue, dans sa brève déclaration donnée sur place, «la capacité de la femme tunisienne libre à innover et persévérer pour réaliser la souveraineté alimentaire». Il a également appelé à garantir l’égalité économique et sociale entre femmes et hommes.
Entretemps, plusieurs entreprises citoyennes ont vu le jour dans diverses régions du pays. On ne dispose toujours pas de statistiques officielles concernant la création des entreprises citoyennes depuis la publication au Jort du décret présidentiel, mais une chose est sûre, ce nombre ne dépasserait pas actuellement la centaine, selon certaines sources. Il faut dire que ce concept manque encore de visibilité sur le plan médiatique à défaut d’une stratégie de communication de la partie gouvernementale. Il demeure un peu flou chez le citoyen, sans compter le manque de financement susceptible d’encourager les jeunes à s’investir dans de tels projets d’intérêt général en premier lieu, faut-il encore le rappeler.
Certes, il faut prendre en considération qu’on est au début d’une nouvelle expérience qui, en toute logique, aura tendance à se généraliser encore plus durant cette nouvelle année, en particulier dans les régions de l’intérieur du pays où les taux de chômage et de pauvreté sont élevés et des terres domaniales sont soit délaissées ou très mal exploitées. Il est à rappeler que le Président de la République a toujours mis l’accent sur la nécessité pour l’Office des terres domaniales d’optimiser la gestion des terres de l’Etat de manière à en faire bénéficier la communauté nationale.
Les avis diffèrent
Cette nouvelle orientation n’est pas, bien évidemment, du goût de certains experts en économie et en politique, contrairement à bien d’autres. C’est de la «surenchère populiste», ont commenté les détracteurs de Kaïs Saïed, notamment ceux de l’opposition qui n’ont pas cessé de multiplier les déclarations mettant en doute ce processus de développement. La création de telles entreprises n’aura pas d’impact en l’absence d’une politique nationale œuvrant à encourager l’investissement, selon leurs dires.
En mars 2022, l’expert en économie Radhi Meddeb a déclaré à une radio privée concernant son opinion sur le décret publié à propos des entreprises citoyennes, qu’il ne le comprenait pas beaucoup. Il a par la même occasion exprimé sa conviction qu’il incluait une approche administrative et juridique plus qu’économique, ajoutant : « Ce n’est pas la loi qui stimule l’économie, la loi ne fait qu’encadrer certaines situations à un moment donné, et c’est là le point de discorde.»
Contrairement à cet avis, l’expert en économie Saleh Ben Ahmed avait confirmé dans une déclaration en octobre 2022 qu’il est nécessaire d’offrir toutes les possibilités de succès aux entreprises citoyennes grâce à des institutions solides favorisant la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et le travail en faveur du développement aux niveaux local et régional.
Il a ajouté que le premier objectif de la création d’entreprises citoyennes est de générer de la richesse, et qu’il est très important d’assurer la représentation des femmes au conseil d’administration de telles entreprises, ainsi que celle des représentants du conseil régional, du conseil local et d’autres membres indépendants et experts. Il est également important de se réunir tous les mois pour suivre de très près l’évolution de l’entreprise et de la production, tout en expliquant à la fin que cette nouvelle expérience ne ressemble pas à l’expérience collectiviste d’Ahmed Ben Salah, ni à l’expérience de l’exploitation des terres de l’État pendant la période feu Hédi Nouira.
Accélération du rythme de financement en 2024
La Banque tunisienne de solidarité (BTS) est venue à la rescousse et a lancé, à cet effet, le financement d’une première liste d’entreprises citoyennes, en approuvant durant l’année 2023 le financement de 15 sociétés pour un coût d’investissements estimé à 4 millions de dinars, dans le cadre de la mise en œuvre du programme de financement des entreprises et en coordination avec les ministères des Finances, des Affaires sociales et de la Formation professionnelle et de l’Emploi.
Les entreprises concernées par ces enveloppes sont actives en premier lieu dans les domaines des services agricoles, de l’élevage, des industries alimentaires et des énergies renouvelables, selon la BTS.
«Cette catégorie de prêts a été approuvée dans le cadre d’une ligne de financement créée à cet effet dans le cadre de la loi de finances de 2023 en faveur des entreprises citoyennes, avec des conditions exceptionnelles et faciles ne dépassant pas le montant maximum de 300 mille dinars remboursés sur une période de 7 ans avec une période de grâce d’un an et un taux d’intérêt annuel de 5 %», d’après la même source, de quoi inciter davantage les jeunes à s’investir dans ces projets.
La bonne nouvelle est que le rythme de financement des entreprises citoyennes s’accélérera en 2024 grâce à la consolidation de la ligne de financement créée à cet effet ( 20 millions de dinars) et à la demande croissante pour la création de ces entreprises aux niveaux local et régional, dans divers secteurs économiques, nous annonce la Banque. Avis aux jeunes et moins jeunes, les dossiers de financement devront être déposés sur la plateforme mise à jour sur le site de la BTS.
Des défis se profilent à l’horizon de la nouvelle année 2024 pour les nouvelles entreprises déjà implantées. En réussissant, indubitablement, elles ne feront que des émules.