«Chaque goutte d’eau doit être bien exploitée. Les autorités doivent valoriser l’eau verte, compter davantage sur les cultures stratégiques, disposer des engrais en quantités suffisantes, suivre de très près les campagnes agricoles, revoir le mode de gouvernance et réviser les lois inhérentes au système de l’eau».
Des fruits et des légumes à foison dans les marchés à des prix abordables pour tous. Une grande variété de produits est disponible au début de ce mois de janvier. De la pomme de terre aux tomates, poivrons, oignons, salades, carottes, en passant par les agrumes (oranges et mandarines) et les pommes. L’autre bonne nouvelle se rapporte aux dernières pluies qui ont amené d’importantes quantités d’eau aux barrages.
Certes, il faut faire place à l’optimisme, mais il importe de ne pas fermer les yeux sur les indices qui inquiètent, dont l’augmentation de 0,6% des produits alimentaires en décembre 2023 à la suite justement de la hausse des prix des légumes de 4,6%. Le taux de variation annuel a été de 14,1% pour les légumes frais et de 12,5% pour les fruits frais en 2023. En plus du manque de pluie, deux autres facteurs ont contribué à la hausse de ces prix dans les périodes de grande consommation, à savoir une flambée des prix des engrais chimiques, ce qui a par ailleurs provoqué de vives critiques de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap), ainsi que le recul des surfaces destinées aux cultures maraîchères en raison du réchauffement climatique qui a conduit à la raréfaction des précipitations.
La saison agricole sauvée ?
Dans son analyse des données relatives aux taux de remplissage des barrages et l’impact des précipitations enregistrés ces derniers mois sur la saison agricole, l’ancien secrétaire d’Etat chargé des ressources hydrauliques et de la pêche, Abdallah Rebhi, nous a déclaré que le taux général de 29,8% enregistré en date du 9 janvier 2024 correspond à 689,261 millions de m3. Il est considéré comme étant en dessous de la moyenne des taux enregistrés durant les trois dernières années et qui est de l’ordre de 898 millions de m3. Le manque à gagner est de 209 millions de m3 par comparaison à la moyenne des trois dernières années. «Toutefois, il faut admettre que ces dernières pluies sont une manne du ciel à double titre, car la situation dans d’autres pays voisins, comme le Maroc est pire », nous ajoute-t-il.
La moyenne des apports enregistrés en décembre 2023 a été estimée à 158 millions de m3, ce qui a contribué à sauver la saison agricole. Un autre chiffre à retenir; selon notre interlocuteur, est celui de l’apport enregistré le 9 janvier 2023 qui est de l’ordre de 644 millions de m3, alors que pour la même journée de l’année 2024 ce chiffre a augmenté et s’est situé à 689 millions de m3, ce qui traduit une amélioration du taux de remplissage à la même date.
Il est à préciser qu’en date du 16 janvier 2024, ce taux général s’est amélioré et a atteint 32,8% avec plus de 759,523 millions de m3. La moyenne générale pour les trois dernières années était de 937,143 millions de mètres cubes, ce qui nous donne un léger manque de 177,620 millions de m3, selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri).
Grâce aux précipitations, la campagne céréalière a pu démarrer avec succès
Abdallah Rebhi ajoute, à cet effet, que les précipitations enregistrées en septembre, novembre et décembre ont sauvé le démarrage de la campagne céréalière et celle des grandes cultures de la nouvelle saison agricole, comme l’attestent les emblavures réalisées à des taux importants notamment à Jendouba, Béjà, Bizerte, Siliana, Le Kef. Ces précipitations ont aussi permis de sauver la saison des olives à Mahdia, Sfax, et Sousse en particulier. «Elles ont été aussi bénéfiques aux parcours qui sont des surfaces pastorales assurant l’alimentation des troupeaux».
Selon lui, les toutes dernières pluies enregistrées en janvier 2024 ont contribué à la perméabilisation et la saturation des sols, ce qui a favorisé les écoulements dans les barrages, d’où l’augmentation du taux des apports (40 millions de m3 rien que pour la journée du 8 janvier 2024). Ajoutons que ces pluies ont été bénéfiques aux cultures de légumes, des arbres fruitiers et surtout des agrumes, qui ont bénéficié des précipitations. Ceci sans compter l’effet positif sur les nappes souterraines qui ont souffert durant les cinq dernières années de sécheresse.
Pour l’entretien des lacs et barrages collinaires
Les précipitations ont été enregistrées au moment opportun et à une période critique de l’année. A ce détail près, la moyenne des apports dans les barrages n’a pas été atteinte. On peut qualifier cette situation d’insatisfaisante, mais pas d’inquiétante, nous déclare l’ancien secrétaire d’Etat. Et d’ajouter qu’il faut rester vigilant, car il est important d’ajuster l’offre de l’eau, de maintenir le cap et de serrer la vanne, notamment au niveau des demandes. Les autorités sont appelées à suivre au détail l’entretien des lacs et barrages collinaires, comme l’avait d’ailleurs souligné le ministre de l’Agriculture pour améliorer l’efficience de l’utilisation de l’eau potable.
La situation n’étant pas catastrophique, il faudra penser à s’attaquer en profondeur au problème des pénuries d’eau, selon la stratégie planifiée à l’horizon 2050, fait noter Abdallah Rebhi. Encore faut-il accélérer l’adoption du nouveau code des eaux. «Chaque goutte d’eau doit être bien exploitée dans le pays et l’on doit valoriser l’eau verte, compter plus sur les cultures stratégiques, disposer des engrais en quantités suffisantes, suivre de très près les campagnes agricoles, revoir le mode de gouvernance en la matière et réviser les lois inhérentes au système d’eau qui a pourtant fait preuve de résilience depuis des années».