Par Tahar AYACHI
Oui, de quoi avoir honte ! Aux dernières nouvelles, la population de l’enclave palestinienne de Gaza, soumise de la part des forces d’occupation israélienne à un traitement inhumain et réduite à la plus extrême des misères, s’en trouve réduite à consommer l’alimentation ordinairement réservée aux animaux.
Encore une fois, oui, de quoi avoir honte. Je ne parle pas des autorités israéliennes qui empêchent l’entrée dans ce territoire de denrées alimentaires et de tous les produits de première nécessité, jusqu’aux médicaments. Celles-là ne sauraient éprouver de sentiments humains, pas même la honte. On les croirait pétries d’inhumanité. Non. Je parle de nous, Tunisiens.
On me dira que la Tunisie, « Etat et peuple », pour reprendre l’expression éculée, est solidaire du « peuple frère » de Palestine et qu’elle lui a même envoyé je ne sais combien de cargaisons d’aides de toute sorte. Certes. Mais aider une population en détresse ne saurait s’arrêter au seul envoi de produits de premiers secours. Il s’agit d’inscrire cette assistance dans la durée. Pour cela, il faut du souffle. Sur le plan matériel, s’entend. Or, nous sommes rongés par le virus du gaspillage, parfaitement antinomique avec la notion d’économie qui, seule, peut dégager un surcroît de ressources sur lesquelles on prélèverait de quoi venir en aide aux autres.
Là, des humains qui se nourrissent d’aliments pour bétail et ici, du bon pain qui est déversé dans les mangeoires…
Notre gaspillage porte justement sur les produits alimentaires, ceux-là mêmes qui, en ces jours de dénuement et de froid à Gaza, font cruellement défaut aux Palestiniens, enfants en tête. Nous gaspillons de la nourriture, en particulier le pain qui, précisément, est converti chez nous en aliment pour animaux ! Là, donc, des humains qui se nourrissent d’aliments pour bétail et ici, du bon pain qui est déversé dans les mangeoires…
Le scandale est monumental. Et il doit cesser. Et il y a pour cela des tonnes de bonnes raisons tant subjectives qu’objectives. Le Tunisien éprouve pour les produits dérivés des céréales un respect qui frise le culte : naamet rabbi (bienfait de Dieu) qui ne doit pas être souillé par les impuretés des ordures ménagères ou avili par les saletés de la voie publique. On peut activer ce levier pour limiter les déperditions. De même, on peut — on doit — augmenter le prix de cette denrée. De toute façon, c’est chose faite avec les 10 millimes que le boulanger encaisse à la place de l’Etat sur l’achat de chaque baguette. Plus encore, à voir les files qui se forment devant les vendeurs de galettes traditionnelles (tabouna) à 700 millimes la pièce de deux ou trois cents grammes, on a la preuve que porter le prix de la baguette à 200 ou 300 millimes ne serait pas ressenti comme une injustice. Cela réduirait considérablement les déperditions et dégagerait plus de moyens financiers pour pouvoir aider les Palestiniens.