Une fois ne deviendra pas coutume. Nous allons revenir sur les lieux, un petit square de la Byrsa, où nous avons rencontré un éboueur de quartier que nous avons surnommé Abdallah. Ce n’est pas seulement parce que l’esquisse que nous en avons tracée était trop sommaire mais également parce que, depuis cette rencontre, il est survenu du nouveau dans ce petit coin de la banlieue nord.
Abdallah est un grand quadragénaire bien charpenté mais sans masse superflue. Les traits de son visage inspirent confiance et la marque de piété qu’il affiche sur son front n’a rien d’ostentatoire. Et si elle peut étonner c’est dans la mesure où, contrairement à la croyance généralement répandue, il ne pense pas, lui, que les chiens sont des animaux impurs. Tenez-vous bien, lorsque l’appel à la prière est lancé, il se fait accompagner de certains d’entre eux jusqu’au seuil de la mosquée avant de gentiment congédier ses accompagnateurs au moment de pénétrer dans le sanctuaire ! Tel est Abdallah. Chaque matin, donc, Abdallah retrouve ses protégés dans ce carré de verdure. A son approche, on voit converger vers lui une bonne douzaine de chiens de toutes tailles et de toutes couleurs, de bons bâtards qui sont infiniment moins ordinaires qu’on ne le pense. Il leur donne les déchets «nobles» qu’il aura soigneusement mis de côté au cours de sa tournée : pain rassis, ossements, abats, restes cuisinés, etc. Puis il s’offre un moment de détente en leur compagnie. La nouveauté intervenue entre temps est que l’une des pensionnaires de l’endroit a donné naissance à des petits. Banal, diriez-vous. Sauf que la portée est de neuf chiots ! Leur maman les avait si bien cachés qu’on ne les a vus que lorsqu’ils se sont mis à gambader.
La joie de Abdallah est à son comble, bien qu’il lui en coûte. Neuf bouches supplémentaires à nourrir… de lait, en attendant qu’elles partagent l’ordinaire de leurs congénères. Certains verront de l’invraisemblance dans ce dernier détail, les ressources d’un éboueur ne pouvant autoriser une telle extravagance. C’est pourtant la vérité vraie. Il est tout aussi vrai que Abdallah est parvenu à susciter parmi ceux qui ont eu l’occasion de l’approcher un élan de sympathie qui se traduit par un billet glissé au creux de la main bienfaisante de notre ami. L’une de ces dames était même venue aménager un abri fait de bric et de broc pour accueillir cette famille nombreuse avant de recueillir l’un de ses membres tandis qu’un autre en a ramené deux chez lui. Comme quoi, il n’y a pas lieu de désespérer totalement de l’espèce humaine, malgré tous ses abus.