Accueil Economie Rym Bedoui Ayari, fondateur de «WeFranchiz», à La Presse:  «Il est essentiel de renforcer la présence des marques tunisiennes en Afrique»

Rym Bedoui Ayari, fondateur de «WeFranchiz», à La Presse:  «Il est essentiel de renforcer la présence des marques tunisiennes en Afrique»

En marge de la 2e édition du salon de la franchise «Tunisia Franchise Show», qui se tiendra les 15 et 16 février 2024, nous avons rencontré Rym Bedoui Ayari, fondateur de «WeFranchiz» et expert renommé en développement des réseaux de franchise à l’échelle internationale pour explorer avec elle des questions cruciales concernant les marques les plus prisées par les candidats aspirant à rejoindre un réseau de franchise. Une occasion aussi pour savoir pourquoi ces marques ne correspondent pas toujours à des réseaux de franchise. Interview.

Qu’est-ce que WeFranchiz et quels sont les principaux avantages pour un franchiseur de recourir à la modélisation en franchise ?

«WeFranchiz» est une plateforme dédiée à la mise en relation entre franchiseurs et franchisés, mais pas seulement. En effet, elle constitue un outil essentiel facilitant les échanges au sein des réseaux de franchise. Parallèlement à cette plateforme, le salon de la franchise est devenu un événement incontournable, offrant une opportunité unique aux franchiseurs et aux franchisés d’interagir directement.

En se penchant sur «WeFranchiz», il est important aussi de noter qu’elle adopte une perspective à long terme, permettant aux investisseurs d’explorer les opportunités qui les intéressent. De même, le «Smart Booster» mérite une mention spéciale. Il s’agit d’un accélérateur spécialisé dans la modélisation en franchise. Si une entreprise existe déjà et il est envisagé de la développer en franchise, le «Smart Booster» l’accompagne dans ce processus de modélisation.

Mais qu’entend-on par modélisation en franchise ? Devenir franchiseur signifie ouvrir son concept à des tiers, à des investisseurs qui créeront une entité juridique et deviendront vos franchisés dans une zone territoriale spécifique. Cela signifie qu’ils auront l’autorisation d’utiliser votre enseigne, qu’ils bénéficieront du transfert de votre savoir-faire et qu’ils recevront un soutien logistique continu de votre part… En résumé, les franchisés ne se contentent pas de représenter votre marque. Ils bénéficient également de votre expertise et de votre assistance, ce qui distingue une enseigne franchisée.

Quels sont les principaux défis rencontrés par les entreprises tunisiennes dans le développement et la gestion des franchises locales ?

En Tunisie, le concept de la franchise est relativement récent, remontant à 2009, lorsque le cadre législatif a été établi. Actuellement, il existe environ 300 réseaux de franchise opérant en Tunisie, dont environ 60% sont des réseaux tunisiens, tandis que les 40% restants se composent principalement de marques internationales, telles que des enseignes françaises et américaines.

En ce qui concerne la part de marché, la majorité des réseaux sont d’origine tunisienne, ce qui démontre un fort engagement local dans ce modèle d’entreprise. Cette dynamique place la Tunisie en tant que référence en Afrique, car le développement de réseaux locaux est souvent moins courant sur le continent où l’introduction de la franchise est généralement accompagnée d’une forte importation de réseaux étrangers.

Toutefois, la fluctuation de la valeur du dinar tunisien par rapport aux devises étrangères, notamment la dépréciation du dinar, complique le paysage financier. Cette situation a ralenti l’introduction de nouvelles franchises, en particulier après 2017 et 2018, lorsque les mesures d’importation et les régulations du ministère du Commerce sont devenues plus contraignantes.

Avant cette période, les franchises internationales ont été les premières à investir, mais les nouvelles règles ont rendu les démarches plus ardues… Malgré les défis existants, la franchise offre toujours un cadre structuré et accompagné dans notre pays. Les entreprises bénéficient de processus bien définis, de formations pour le personnel et de manuels opérationnels, réduisant ainsi les risques associés à leur activité. Ainsi, bien que la franchise puisse sembler coûteuse, elle peut également offrir une certaine sécurité et un potentiel de croissance, à condition d’être bien étudiée et mise en œuvre avec soin.

Quels sont les principaux éléments opérationnels à prendre en considération pour assurer le succès d’une franchise ?

Il est important de reconnaître que son succès dépend strictement du respect des règles établies par le DIP ou Document d’information précontractuelle. Le franchisé doit comprendre qu’il existe un profil spécifique pour réussir. Ceci implique initialement le paiement des droits d’entrée, lesquels revêtent une importance capitale puisqu’ils financent la formation et l’utilisation de la marque. Il est également primordial que les franchisés reconnaissent l’importance de ces droits. De plus, ils doivent se conformer aux normes et suivre le manuel des procédures établies, sous peine de mettre en péril le réseau et leur relation avec le franchiseur. L’éthique et la déontologie sont aussi essentielles… Un défaut dans ces aspects peut créer une situation où les franchisés ne disposent pas de toutes les informations nécessaires avant de s’engager, ce qui est inacceptable. Il est aussi impératif d’adopter un modèle commercial viable, contrairement à ceux basés sur des pratiques douteuses, telles que l’importation illégale. Les frustrations qui émergent souvent résultent du non-respect de ces fondements essentiels.

Quels sont les facteurs qui contribuent à la divergence entre les avantages perçus de la franchise et ceux qui devraient être privilégiés, selon l’analyse de la «pyramide renversée» ?

Le modèle de franchise en Tunisie est relativement récent et suscite un intérêt croissant parmi les entrepreneurs. Les franchiseurs voient dans ce modèle une opportunité de développer leur réseau à travers le territoire, tandis que les franchisés, qu’ils soient en reconversion professionnelle ou en quête d’investissement, y voient une possibilité de concrétiser leurs projets entrepreneuriaux malgré un manque de fondamentaux.

Il est crucial d’atteindre une phase de maturité où les droits et les obligations des franchiseurs sont pleinement compris en Tunisie. Ce processus est en cours et nécessite une attention particulière. Les secteurs les plus sollicités actuellement incluent principalement l’industrie vestimentaire, avec un intérêt croissant pour les marques tunisiennes, ainsi que les centres d’esthétique et les clubs de sport, des domaines qui ont récemment gagné en popularité dans le cadre de la franchise.

Et bien que les produits technologiques représentent un secteur d’avenir prometteur, aucun réseau de franchise significatif n’est encore établi dans ce domaine. Cette tendance reflète un désir latent chez les investisseurs d’explorer de nouvelles opportunités dans le domaine technologique.

L’analyse de la «pyramide renversée» révèle une divergence entre les avantages perçus de la franchise et ceux qui devraient être privilégiés. En effet, une grande majorité considère la franchise comme un moyen de création d’emplois et de génération de bénéfices, alors que très peu reconnaissent son potentiel en termes de structure et de garanties, éléments pourtant essentiels à la pérennité des investissements.

Il est primordial que les investisseurs comprennent l’importance d’un réseau solide et structuré pour assurer leur sécurité et leur succès à long terme dans le cadre de la franchise.

Selon le baromètre qu’on a réalisé, lorsqu’on interroge les gens sur les inconvénients de la franchise, la plupart mentionnent que le principal inconvénient réside dans le niveau de contrôle accru. Ce contrôle renforcé est intrinsèque au fonctionnement d’un réseau structuré de franchises.

Personne n’aborde le véritable problème de la franchise, à savoir la dépendance à la marque ou les relations entre le franchiseur et le franchisé. Actuellement, seulement 0,2% considèrent la dépendance à la marque ou les relations franchiseur-franchisé comme un problème potentiel, alors qu’en réalité, ce sont là les véritables limites de la franchise.

Lorsque vous investissez des sommes considérables pour obtenir une marque, vous devenez effectivement tributaire de cette marque. En cas de faillite de celle-ci, pour quelque raison que ce soit, vous risquez de perdre tout votre investissement. Mais les gens ne semblent pas toujours prendre conscience de ce risque. Autre exemple, dans le cadre des accords entre franchiseur et franchisé, vous investissez une somme importante et vous vous retrouvez lié à un réseau. Du jour au lendemain, vous pourriez être confronté à des décisions prises par la tête du réseau ou le franchiseur, auxquelles vous seriez contraint d’adhérer. La résiliation s’avère alors être une procédure complexe, avec des conséquences importantes à considérer.

Mais en réalité, la plupart des gens ne sont pas encore conscients de ces défis. Ils sont certes conscients des aspects négatifs, mais cela est souvent le résultat d’une communication défaillante plutôt que d’une mauvaise intention de la part du franchiseur ou du franchisé.

Il est essentiel donc de comprendre que les limites de la franchise vont bien au-delà des contrôles accrus ou des coûts initiaux élevés. C’est pourquoi la disponibilité d’un DIP est primordiale, de même que la réalisation de recherches approfondies avant de s’engager dans un réseau de franchises. Une préparation minutieuse, une compréhension claire des engagements contractuels, ainsi que la consultation de ressources, telles que la plateforme que nous proposons, sont des étapes indispensables pour minimiser les risques et maximiser les chances de succès dans une entreprise de franchise… Il est essentiel d’évaluer le potentiel de rentabilité et d’envisager divers scénarios, tout en négociant le contrat de franchise de manière éclairée.

Existe-t-il des données fiables sur l’emploi dans ce domaine ?

Avant de répondre à cette question, il faut mentionner qu’il est crucial que le franchisé se concentre sur la rentabilité du business plan et autres aspects clés pour examiner les principaux enjeux associés à la franchise.

Certes, il y a la création d’emplois, ce qui stimule les investissements et favorise le développement local. Un exemple pertinent est le «Mall of Sfax», qui a joué un rôle majeur dans l’expansion régionale, accueillant des enseignes qui n’étaient pas présentes auparavant à Sfax.

On cite aussi le passage de l’informel au formel : prenons l’exemple d’un jeune entrepreneur entamant un projet, il est impératif qu’il respecte les normes et s’acquitte de ses obligations fiscales, surtout s’il envisage de rejoindre une franchise.

Mais l’identification des entreprises en franchise reste un défi, car elles sont généralement classées comme des sociétés commerciales ordinaires. Idem pour les données sur l’emploi dans ce contexte qui font défaut, car il n’existe pas de cadre juridique spécifique pour les franchises.

En ce qui concerne les projections, on estime qu’il existe actuellement environ 3.500 points de vente en franchise, ce qui pourrait potentiellement créer entre 15.000 et 20.000 emplois directs. Cependant, ces chiffres restent des extrapolations.

Qu’est-ce que le «Cofo» et comment ce modèle répond-il aux besoins spécifiques des jeunes ?

La franchise attire un large éventail de personnes, mais les jeunes sont particulièrement enthousiastes à investir dans ce modèle d’entreprise.

En outre, une nouvelle approche de la franchise, le «Company-owned, franchise-operated» (Cofo), émerge. Dans ce modèle, le franchiseur possède les points de vente, mais permet aux franchisés de les exploiter comme s’ils leur appartenaient. Cette approche attire particulièrement les jeunes entrepreneurs, bien que cela puisse nécessiter une meilleure compréhension des mécanismes de la franchise.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’égalité des genres, les femmes semblent être davantage intéressées par la franchise, considérant cela comme un moyen de concilier vie professionnelle et familiale. Leur approche est souvent caractérisée par une rigueur et un souci du respect des règles et des procédures.

En somme, la franchise représente un deuxième projet de vie pour de nombreuses femmes, ce qui souligne l’importance croissante de l’égalité des genres dans ce secteur dynamique.

Comment la confiance étendue envers les enseignes locales impacte-t-elle la perception des entrepreneurs sur l’investissement dans une franchise tunisienne ?

L’engagement envers les enseignes tunisiennes est remarquable, comme le révèlent les statistiques fascinantes : 80,5% des Tunisiens affirment leur confiance envers les marques locales. Cette donnée soulève des réflexions importantes pour les entrepreneurs qui envisagent d’investir dans une franchise tunisienne, car elle suggère un soutien solide de la part du marché local.

Toutefois, il convient de souligner que cette confiance ne constitue pas nécessairement une indication que chaque franchise locale représente la meilleure option. Il est déterminant de reconnaître que chaque franchise doit être évaluée individuellement.

Ce qui est tout aussi intéressant, c’est que cette confiance s’étend à travers une multitude de secteurs. Que ce soit pour choisir un hôtel ou une simple boulangerie, les Tunisiens démontrent une confiance inébranlable envers les marques locales. Cette fidélité transversale met en lumière la force du lien entre les consommateurs tunisiens et les enseignes du pays.

Il est également important de noter que cette confiance est observée dans tous les secteurs, sans distinction. Notre étude n’a pas focalisé sur un domaine particulier, ce qui souligne l’omniprésence de cette confiance à travers l’éventail commercial du pays.

Aujourd’hui, peut-on réellement parler d’exportation de concepts tunisiens en Afrique?

En décembre dernier, nous avons exporté deux concepts tunisiens, l’un dans le secteur cosmétique et l’autre dans l’habillement. De plus, j’ai supervisé le développement des deux autres concepts, un en Libye et l’autre au Sénégal, bien qu’il s’agisse de marques non-tunisiennes.

Nous reconnaissons qu’il est essentiel de renforcer la présence des marques tunisiennes en Afrique, tout en étant conscients des différences entre le marché africain et le marché local. Chaque marché à ses besoins et spécificités, notamment en ce qui concerne la protection intellectuelle des marques, la stabilité politique et les aspects financiers, tels que la conversion de devises. Ces éléments sont essentiels à considérer lors de l’expansion commerciale en Afrique.

A la préparation à cette 2e édition du salon de la franchise «Tunisia Franchise Show», nous avons constaté un fort taux de réinscription parmi nos participants, avec un soutien tant du secteur public que privé. Cette dynamique de partenariat public-privé est extrêmement stimulante.

Nous observons aussi un nombre croissant de visiteurs intéressés par notre modèle. Nous accueillerons des délégations de Côte d’Ivoire, ce qui est très significatif, notamment des personnalités influentes souhaitant étudier notre modèle de franchise.

Comme l’année précédente, nous présenterons l’Indice Africain de la Franchise, fournissant des données essentielles sur le potentiel de la franchise en Tunisie et en Afrique, suscitant un vif intérêt auprès de nombreuses enseignes souhaitant pénétrer le marché africain.

Cette initiative contribuera certainement à ouvrir de nouvelles opportunités en Afrique. Personnellement, je suis honorée de faire partie du conseil d’administration de l’Association sud-africaine de la franchise, cette année. Cela me permet de faciliter l’exportation des concepts tunisiens.

Quelles sont vos attentes par rapport à cette deuxième édition ?

Pour cette deuxième édition, les chambres de commerce seront présentes au salon, ce qui démontre notre engagement à promouvoir la transparence et le dialogue dans le secteur des franchises.

En ce qui concerne nos attentes pour cette nouvelle édition, nous avons lancé un incubateur, le «Smart Booster», en partenariat avec «Yessir». Cette initiative est cruciale, car elle met l’accent sur l’innovation et les nouveaux concepts dans le domaine de la franchise. Nous ne souhaitons pas simplement reproduire ce qui existe déjà. Nous explorons également des concepts novateurs comme la franchise sociale, une approche inédite en Tunisie. Il s’agit de franchiser des concepts à impact social, une démarche que nous explorerons avec l’un de nos partenaires italiens qui transforme les déchets plastiques en matières premières valorisables.

Cette évolution est particulièrement pertinente à l’heure où les enjeux environnementaux et sociaux occupent une place de plus en plus importante sur la scène internationale. La Tunisie a l’opportunité de se positionner comme un acteur majeur en exportant des concepts d’Economie sociale et solidaire (ESS) grâce à la franchise sociale. Ce modèle économique, qui combine rentabilité et engagement social, offre un potentiel considérable pour accélérer le développement économique et social du pays.

Notre objectif est d’assurer un retour sur investissement tout en favorisant le progrès social et environnemental. Cette approche aligne les intérêts économiques avec les impératifs sociaux, créant ainsi une dynamique positive pour l’ensemble de la communauté.

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